Designer du mois
Raphaël Navot semble être le « nouveau » designer que tout le monde s’arrache. Avant le monde, peut-être le Tout-Paris. Il livre début février l’Hôtel Dame des Arts, rue Danton dans le 6e arrondissement et sera le Designer de l’Année pour l’édition de janvier 2023 du salon Maison & Objet.
Il est né à Jérusalem en 1977. Diplômé de la Design Academy Eindhoven en design conceptuel, il s’installe à Paris dans le Marais et accorde architecture d’intérieur et design au moment où les matières premières nobles et les techniques de fabrication par l’homme sont au plus haut. Il travaille avec les meilleurs ateliers d’Europe et ses réalisations courent du night-club le Silencio, rue Montmartre à Paris, aux revêtements de sol End Grain pour Oscar Ono ou des tapis artisanaux pour la Galerie Diurne, rue Jacob, de l’Hôtel National des Arts et Métiers à Paris à la bibliothèque et la galerie d’Art du Domaine des Etangs à Massignac en Charentes.
Le Silencio
La première fois qu’Intramuros a écrit le nom de ce jeune quadra, Raphaël Navot, ce devait certainement être en 2011, lors de la rédaction du Paris Design Guide où une place non négligeable était accordée au Silencio, réalisé par David Lynch à la demande d’Arnaud Frisch et Antoine Caton, club culturel d’un nouveau genre, « une histoire de casting regroupant l’agence d’architecture Enia, le concepteur de lumière Thierry Dreyfus et le designer Raphaël Navot. »
Trois séries de mobilier originales étaient alors créées par David Lynch et réalisées sur mesure par la maison Domeau & Pérès. Le design, mais aussi le cinéma, l’art, les spectacles vivants, la littérature, la musique comme la gastronomie ont toujours leur place au sein de la programmation dédiée aux membres du Silencio de 18h à minuit. Au delà, le Silencio devient un night-club ouvert à tous et tous les trois mois, un artiste est invité à y réaliser un projet. Rue Montmartre, il faut descendre dans la cave, pour se retrouver chaleureusement enveloppé d’or, sur les murs, les plafonds, les meubles et les bars à cocktails derrière lesquels s’activent quelques barmen insensibles à la faune nocturne du lieu… de Pharell Williams à Jean-Charles de Castelbajac, Virgil Abloh ou Agnès Varda. Tous se retrouvent là, dans des salles privatisées ou devant la scène où se joue, quart de queue et guitares vintage à l’appui, l’avenir de la musique. Comme un hommage au cabaret de Mullohand Drive, la scène ressemble à un ancien cinéma, encadrée avec des rideaux qui coulissent. À ses pieds, une piste de danse accueille les pas les plus sages comme les plus débridés. Un lieu où vivre des expériences originales.
Jouer Paris
L’Hôtel Dame des Arts qui ouvre le 1er février 2023, propose ce même type d’expériences mais à une échelle plus large. Les 109 chambres de l’hôtel, écrin 4 étoiles, portent en elles, l’esprit de la rive gauche et de la Nouvelle Vague. Inspiré par les philosophes, les artistes et les intellectuels du quartier, il déploie tout l’esprit de Saint-Germain-des-Prés. Dans ce bâtiment des années 50, l’hôtel conjugue chambres avec vue, rooftop à ciel ouvert, charmantes terrasses, jardin verdoyant, studio de fitness avec sauna, salles de réunion pas comme les autres. Un point de départ parfait pour explorer la capitale et l’art de vivre parisien. Avec son décor Nouvelle Vague, ses œuvres d’art et sa signature olfactive signée Arthur Dupuy, l’hôtel joue les jeunes premiers.
Lignes simples, formes graphiques, matières minérales et naturelles, il a sollicité les meilleurs artisans pour atteindre un résultat cosy et chaleureux. Loro Piana Interiors, Veronese, Cappellini, Oscar Ono ou Roche Bobois fabriquent pour lui. Le restaurant 39V, avenue George V et l’Hôtel des Arts et Métiers à Paris, l’Hôtel Belle Plage à Cannes ou la Bibliothèque du Domaine des Etangs en Charente, lui ont déjà livré leurs espaces. Tout a été fait ici sur mesure (à l’exception de deux chaises Roche Bobois, DOT et Identities). Le demi-cylindre cannelé en chêne massif qui recouvre certains murs des espaces publics et des chambres fait écho au sol en chêne noir carbonisé à la flamme et recouvert d’une résine protectrice. Un design chaleureux et bienveillant dans des chambres de 15 m2 pour les plus petites, avec lit Queen Size et chaque soir, cinéma privé à tous les étages à 21h et 23h.
Des rencontres
Le POH (Patchwork Oval Hemisphere), édité par Cappellini en 2014, est une pièce composée, mariant le fait-main, le fait par ordinateur et le fait à la machine. L’assemblage d’un volume chaotique, sculpté par une machine selon un modèle généré par un ordinateur, pour à chaque fois obtenir un objet unique qui ne peut être répété, un peu à la Gaetano Pesce. Conçu pour l’exposition « Post Fossile » dans le musée Holon, par Lidewij Edelkoort au printemps 2011, il a intégré la collection permanente de Cappellini. Chaque pièce est unique et découle de l’inversion du principe de conception. « La forme suit la fonction » devient « la fonction suit la forme ». Une révélation au Holon Museum, le célèbre musée complété en 2004 par Ron Arad d’une extension tout en acier Corten, un musée fondé par Moti Masson, maire d’Holon, (à l’initiative de la médiathèque, du centre culturel, du centre multimédia, du musée du design et du musée israëlien de la bande dessinée) et Hana Hertsman, directrice générale de la municipalité qui depuis 1993 cherchent à positionner Holon comme « La ville des enfants ».
Pour Pas de Calais, jeune marque japonaise créée en 2015 par Ykari Suda en hommage à la dentelle de Calais, qui développe ses propres textiles avec coton, lin et soie et une combinaison de teintures traditionnelles ou techniques de pointe, il signe une boutique parisienne rue de Poitou. Habitée par l’Arte Povera ou arte povera pour faire plus modeste, la simplicité des matériaux – bois fissuré, métal corrodé ou calcaire poudreux – sont une véritable ode à la nature. En 2014, il signe la suspension TOH pour Véronese. En 2019, Roche Bobois lui demande de refaire la boutique du boulevard Saint-Germain où l’on trouve ses collections au détour des escaliers. Pour la galerie Friedman Benda, il signe des canapés voluptueux et soyeux.
Au fil du temps, Raphaël Navot a su se démarquer avec des projets d’architecture d’intérieur remarqués. Parmi ses derniers projets de rénovation, on note un hôtel 4 étoiles, le Belle Plage à Cannes, livré cet été, et qui vient de mettre en service un grand espace spa également aménagé par Raphaël Navot. On peut également citer la rénovation du restaurant 39 V, qui a par ailleurs été récompensé en octobre dernier par le prix Paris Shop Design dans la catégorie « Hôtels, Cafés, Restaurants ».
Un hall circulaire sur Maison & Objet
L’Apothem Lounge à l’entrée du hall 7 sur Maison & Objet à Paris Villepinte, doit offrir une émotion, un concentré d’hospitalité, ou « Le monde fantastique de Raphaël Navot ». Son grand hall circulaire sera comme une installation immersive de lumière et de textures procurant une émotion visuelle où les visiteurs seront invités à découvrir les intérieurs indépendamment de leur fonctionnalité ou contexte comme dans un théâtre où les visiteurs sont les comédiens.
Le design est pour lui une forme de scénographie qui vise à créer une ambiance, soutenue ici par les luminaires et l’expertise Flos. Sans client, sans contexte, sans fonctionnalité, l’espace lui permet de faire accéder le visiteur à un royaume plus imaginatif et de créer un intérieur… inattendu. Le hall circulaire, protégé par deux rangées de murs courbés et qui permet aux visiteurs d’entrer et de sortir par ses 12 portails, s’offre comme un labyrinthe simplifié avec liberté et simplicité. À tester obligatoirement.
Faire simple, il n’y a pas plus compliqué. Adrien Messié en sait quelque chose. Toute sa carrière de designer, depuis la direction des licences et des partenariats au Studio Andrée Putman à la création de mobilier, en passant par la DA de Le Gramme, qu’il a cofondé, sans oublier les événements qu’il éditorialise via l’agence H A ï K U, a été jusqu’ici vouée à la recherche de cette nue perfection.
L’univers d’Adrien Messié peut tour à tour être délicat et sensible, rigoureux et précis ou alors très électrisant. Dans un dédale de courbes, de lignes, de séquences, de fractales et de tangentes qu’il manie à l’échelle nano, pour ses bijoux masculins ou en format XXL, pour son projet Villers (une table de plusieurs centaines de kilos en pierre de lave et terre cuite imprimée en 3D destinée à accueillir jusqu’à 14 convives), son monde intérieur recèle plein de surprises. On ne le voit pas forcément, mais ce que l’on devine à travers le fruit de ses recherches, c’est qu’Adrien Messié est très sensible à la magie des chiffres. Qu’il vibre face aux forces de la nature qui dans un parfait ordre cosmique donnent un sens au beau, une cohérence. « Une évidence » préfère-t-il dire.
Proximité créative
Formé aux industries créatives et à l’univers du luxe, Adrien Messié commence son parcours créatif auprès d’un très grand nom du design, Andrée Putman. Il intègre son agence en 2004. Il aime à dire qu’il y a « infusé »… autant qu’il s’y est enrichi en bénéficiant de la proximité de (futurs) créatifs de renom « tant l’agence était un véritable incubateur » tient-il à souligner. Élise Fouin, Rodolphe Parente, Antoine Simonin, Bertrand Thibouville Nicolas Dorval Bory ou encore Maximilien Jencquel ont été ses collègues. De stagiaire, il termine directeur des Éditions et Licences. Il y développe des collaborations avec les plus grandes marques et éditeurs internationaux avec en autres des collections avec Christofle, Emeco, Nespresso, La Forge de Laguiole ou encore Fermob.
Émotion
Son tropisme naturel vers les mathématiques n’est pas encore révélé quand il imagine le concept Le Gramme en 2012. Et pourtant. Ce projet, dont la raison est la création d’objets portés ou fonctionnels déclinés des formes élémentaires en métaux précieux – or 750 ou argent 925 – et nommés par leur poids en grammes, semble sortir d’un cerveau de scientifique.
Quand il raconte sa genèse, on entre dans le registre de l’émotion. « Ma sœur m’avait ramené de voyage un petit ruban en argent ultra simple, pur et sans fioritures. Je lui ai cherché en vain des « frères » afin de le porter « en fratrie » à mon poignet, comme une sorte de monade. Je me suis résolu à le faire faire en France chez un petit artisan dont le discours s’apparentait à celui d’un alchimiste… Au moment de payer les trois prototypes, le faiseur m’explique qu’il y a deux coûts à additionner : le temps de façon d’un côté et de l’autre le poids de la matière “utile” pour la confection de chaque pièce » se souvient-il. Pour plus de facilité, chaque prototype est nommé en fonction de son poids en gramme. 7, 15 et 21, puis 33 et 41 sont les petits noms des 5 premiers bijoux et Grammes leur nom de famille. Bientôt ce sera Le Gramme.
Fondamentaux utiles
Les prototypes au poignet, le nom en tête, Adrien Messié est rejoint par Erwan Le Louër. Celui qui avait créé la marque de joaillerie éthique Jem (et est devenu le directeur artistique de Le Gramme depuis le retrait des opérations d’Adrien Messié en 2019), lui permet de « synthétiser les fondamentaux utiles » et « cofonder une marque aboutie en 4 mois ». Pendant 7 ans, Adrien Messié dirige l’ensemble de la création, du produit jusqu’à l’univers de présentation. De Dover Street Market à Londres à Colette, le temple de la fashion hype à Paris jusqu’à sa fermeture en 2017, tous les points de vente les plus prestigieux, en mal de marques de bijoux modernes, contemporains et design référencent les collections Le Gramme.
Événementiel
Parallèlement, il cofonde en 2013 avec son ami et associé Nadir Sayah, l’agence H A ï K U. Elle intervient en Direction Artistique globale pour des clubs. Comme toujours avec Adrien Messié, même quand il s’agit de moments et d’endroits pour lâcher prise, tout est carré, rigoureux… mathématique. Inauguré en septembre dernier, leur dernier gros chantier en date concerne le club techno underground Carbone.
L’agence produit mensuellement des soirées éponymes de musique électronique H A ï K U, en invitant des artistes et DJ, au rayonnement international tels que Dixon, Jennifer Cardini, Bedouin, Âme, Adriatique, &Me, Adam Port, Rampa… « Nous collaborons régulièrement avec les labels référents du secteur musical comme Keinmusik en produisant leurs propres évènements. Le dernier en date, « Lost In A Moment » (concept du label allemand Innervisions) a eu lieu le 10 juillet dernier, en journée, sur le Domaine national de Saint-Germain-en-Laye avec 4000 personnes et vue sur tout Paris ».
Nombre d’or
Enfin, dans sa dernière création pour Théorème Editions, depuis mars 2022, la poésie mathématique d’Adrien Messié saute aux yeux. Pour cette maison d’édition française créée par David Giroire et Jérôme Bazzocchi, il utilise la céramique émaillée craquelée et le bois laqué, et s’inspire de la courbe de Fibonacci, cette séquence de chiffres liée au nombre d’or, qu’il décline en deux premières fonctions : une table à manger sur 3 pieds ainsi qu’un petit meuble versatile ; un tabouret / petit bout de canapé. De nouvelles couleurs et finitions sortent régulièrement, d’autres déclinaisons sont prévues pour 2023 et le prix, inférieur à 800 euros, rend accessible une table en céramique made in France.
Cette gamme Fibonacci est une dérivée du projet Villers. Réalisée en commande spéciale et sur mesure pour un couple de particuliers en Normandie en 2021, la table conviviale (260 x 160 cm) devait avoir une forme qui permette d’accueillir de grandes tablées « mais aussi des tête-à-tête sans être éloignés ». En forme de médiator pour les profanes mais selon la courbe de Fibonacci pour les esthètes, le plateau est en pierre de lave de Volvic (caractérisée par ses pores très serrés). Les ondes visibles en surface montre le « temps » qu’il a fallu à la nature pour créer cette matière agréable au toucher. Maxence De Bagneux, artiste pluridisciplinaire et artisan céramiste, a réalisé le piètement. Ces 2 pieds XXL en grès rouge chamotté (qui font écho à la structure en brique rouge de la maison – ancien lavoir) imprimé en 3D, reprennent cette même courbe mais « extrudée », divisés puis éloignés pour obtenir la stabilité nécessaire. L’ensemble a été imprimé et cuit au Pôle Céramique Normandie. « Ce fut une vraie aventure au regard du temps de séchage des pièces avant cuisson, de la nécessité de trouver un four d’une grande capacité, et des nombreuses manipulations », indique Adrien Messié, pas peu fier d’avoir participer à une grande première.
La suite de Fibonacci ? Des marques de bijoux pourraient-elles réveiller l’envie d’Adrien de se plonger dans la création d’objets à porter tout contre soi ? Des marques de mobilier auraient-elles besoin d’un œil neuf et mathématique pour repenser le confort moderne ? En tout cas, une maison d’édition portugaise est sur le point de se lancer, début 2023, avec un objet art déco désigné par Adrien Messié.
Il fait souvent partie des designers les plus cités. Il a travaillé avec les plus grandes marques, une liste sans fin : Hermès, Pierre Frey, ToolsGalerie, Ligne Roset, Habitat, Lexon, Tefal, Karakter ou Berluti. Guillaume Delvigne nous reçoit dans son studio à Montreuil, un espace qu’il partage avec une dizaine de « co-locs », heureux de co-habiter dans un lieu où chacun gère son temps à sa façon.
Après quelques années à travailler avec un assistant, depuis l’arrivée du Covid il exerce de nouveau seul. « J’ai eu un peu peur de devoir « charetter » tout le temps, faire du 24h/24h… mais avec l’expérience on devient efficace, j’ai trouvé mon rythme de croisière et ça marche plutôt bien. Mon emploi du temps est finalement dicté par les horaires de l’école de mon fils : 9h-18h, pas une amplitude énorme pour un designer mais depuis 6 ans je me suis habitué à ce rythme-là. Plus jeune je travaillais 12 heures par jour… mais c’est loin maintenant. »
Formation Nantes Atlantique
Il a été formé à l’Ecole de Design Nantes Atlantique à ses tout débuts quand elle avait encore un format presque familial. L’Ecole a déménagé cette année sur l’Ile de Nantes dans un nouveau bâtiment signé Marc Mimram, GPAA et l’agence Jouin Manku. Elle est passée de 100 à 1750 étudiants, 400 enseignants, 11600 m2 de superficie et 700 m2 d’espaces de fabrication. Depuis son diplôme en 2002, l’Ecole de design Nantes Atlantique a grandi et s’est installée sur le marché international des écoles de design.
« J’y ai fait les 5 années de formation en design industriel, à l’époque davantage vouée à former des designers intégrés que des indépendants. Beaucoup des alumni travaillent pour de grandes entreprises comme Decathlon, Airbus, Brandt… c’est une école qui a bonne réputation. J’ai fait partie des premiers à profiter du programme Erasmus, un élément clé dans mon parcours. J’adorais l’histoire du design italien, riche, fascinant, j’avais envie de vivre l’expérience italienne. Je suis parti au Politecnico de Milan et là-bas j’ai trouvé l’inverse de Nantes Atlantique, une sorte de grosse fac du design, pas très humaine. Mais il y avait des légendes parmi les enseignants, comme Andrea Branzi, Vico Magistretti ou Alessandro Mendini. J’ai choisi de suivre le projet encadré par Andrea Branzi ; il était là toutes les semaines et on avait des entretiens avec lui, ça m’a beaucoup marqué. On avait aussi des cours de 3D… on ne comprenait pas grand-chose mais on y allait. J’ai appris à parler italien aussi. Puis j’ai trouvé mon stage de fin d’étude chez George Sowden. J’ai travaillé deux ans chez lui et c’est là qu’on a lancé « In dust we trust ». C’est là aussi que j’ai rencontré d’autres jeunes designers comme Philippe Nigro ou Samuel Accoceberry, c’était il y a déjà presque 20 ans ! »
Le projet Villa Albertine
À New York, d’où il revient à peine, il travaille sur un projet lancé par le Mobilier national pour la Villa Albertine, un bâtiment classé du début du 20ème siècle, situé face à Central Park juste à côté du MET. L’intérieur est plutôt baroque, avec à chaque étage une intervention différente. L’objectif est de rénover la pièce du haut, un bel espace vouté de 60 m2 qui était l’atelier d’Helen Hay Whitney, riche artiste et poétesse de l’époque. Dans les années 1950 la demeure est rachetée par la France, qui y installe les services culturels de l’Ambassade de France aux Etats Unis.
« Pour faire court c’est un peu comme une Villa Medicis depuis laquelle la France répartit tous ses artistes aux USA. Le rez-de-chaussée est ouvert au public avec la plus grande librairie française de New York, au premier on trouve une salle de conférence puis au-dessus des bureaux. Le fameux dernier étage sera à la fois salle de réunion et de réception, type cocktail où dîner privé. On a carte blanche pour aménager la pièce mais sous un plafond classé en cours de rénovation, auquel on ne peut pas toucher, c’est un vrai défi. On doit aussi réfléchir à un mobilier spécifique qui s’adaptera aux changements de fonction de la salle. Quand j’ai vu ce projet passer, j’ai senti que je devais m’associer à un architecte, j’ai proposé l’idée à mon ami de longue date Vincent Eschalier qui a tout de suite accepté. Vincent gère maintenant une agence avec laquelle il mène de gros projets comme la Fédération Française de Rugby ou BlaBlaCar. On s’est rencontré quand on travaillait tous les deux chez Marc Newson à Paris, il était l’assistant de Sébastien Segers, l’architecte de Marc. Avec Vincent, nous partageons beaucoup de choses, c’est un amoureux du design et du détail, on se comprend. Il y a cinq équipes en lice sur ce concours : Hugo Toro, Dorothée Mélichzon, Maison Leuleu avec Sommer Lamm et le Studio Haddou Dufourcq. Nous sommes en train de concevoir le projet, résultats début novembre… »
Des projets Français
Pour rééquiper la salle Ovale de la Bibliothèque Nationale de France de la rue de Richelieu, il a été invité il y a 4 ans à concourir pour dessiner la chaise, en face de quelques designers comme Patrick Jouin (lauréat) ou Constance Guisset. Il y croyait, mais son projet n’est pas passé. « Pour la Villa Albertine, le travail des autres concurrents me semble plus « déco » que le mien, cela pourrait plaire au goût des américains mais le jury sera surtout français. Faut-il aller vers un « design-décor », certains proposeront de la tapisserie, du papier peint, du motif… On verra. Je suis resté 5 jours à New York pour m’immerger dans l’esprit de la ville. Je suis concentré sur cet objectif, je travaille l’essentiel de mon temps sur le projet… »
À l’international
« Pour l’aménagement de la Villa Albertine il y a une grande table modulable à dessiner, un véritable projet dans le projet. Bien sûr je compte proposer certains meubles récemment édités chez Pierre Frey, ils s’y prêtent et la maison connait bien le marché américain, ils y sont reconnus. On est également invité à puiser dans les collections du Mobilier national. J’y découvre des pièces fascinantes, le travail de Pierre Paulin évidemment me parle beaucoup, mais j’y trouve aussi des choses plus étranges, c’est très hétéroclite, un certain reflet de la création française ?»
Depuis deux ans il travaille pour Berluti, Maison de luxe du Groupe LVMH née en Italie en 1895 qui cultive un savoir-faire dans la maîtrise du cuir et de la patine. La rencontre a lieu grâce à Domeau & Pérès qui collaborent avec la marque depuis de longues années. Berluti cherchait un designer pour les aider à développer une ligne de mobilier et d’objets utilisant le cuir emblématique de la Maison, un souhait de leurs plus fidèles clients. Guillaume Delvigne a alors retrouvé avec plaisir le cuir, matériau auquel il avait goûté à l’occasion de sa collaboration avec Hermès il y a quelques années.
Pour Lexon, il a dessiné une collection d’accessoires nomades qu’il va bientôt compléter par une gourde, une brosse à dent de voyage et des couverts de pique-nique. Avec Loïc Bigot de la ToolsGalerie, chez qui il exposait en janvier 2022 une série de table d’appoint massives, ils observent que les ventes arrivent principalement par le biais d’internet, moins directement en galerie.
« Quand on regarde le paysage actuel on s’aperçoit que ce sont surtout les pièces extravagantes qui se vendent bien, et principalement à l’étranger, ajoute-t-il. Quand c’est plus sobre, c’est plus difficile, mon nom n’est pas assez bankable ! (rires) » Elisabeth Leriche l’a malgré tout invité à dessiner pour la CFOC des pièces en verre et laque, des coupes, des miroirs et des boîtes. Avec Maison Matisse, il prépare une collection d’objets autour d’une matière et d’une technique qui feront des clins d’œil au fameux Mille et Une Nuits du peintre. Un designer dans l’air du temps.
Une rentrée sous le signe des premières : Charlotte Juillard a fait partie des quatre designers sélectionnés pour « Talents So French », nouveau stand spécifiquement dédié aux designers et à l’autoédition à Maison & Objet en septembre 2022. Un coup de projecteur bienvenu, car cette boulimique de travail multiplie les projets avec les éditeurs tout en jonglant entre son studio et l’aventure d’Hava, maison qu’elle a cofondée. Carnet et stylo toujours à portée de main, elle dessine sans répit toutes les idées qui surgissent. Un rapport singulier au trait, qu’elle juge essentiel à sa création.
C’est à Gassin dans le Var que Charlotte Juillard a grandi. Élevée dans une famille de médecins, elle développe très vite un attrait pour l’esthétique. « Depuis toute petite, j’ai cette sensibilité au beau et l’art m’a toujours attirée. En plus, j’ai eu la chance de beaucoup voyager plus jeune, je pense que ça a forgé ma personnalité car aujourd’hui j’ai toujours la bougeotte. » À 18 ans, son bac S en poche, elle quitte son Sud natal pour la capitale qui l’avait « toujours fait fantasmer.» Elle suit une prépa en Arts Appliqués avant d’intégrer l’école Camondo, en parcours architecture d’intérieur/design. « J’ai intégré cette école sans savoir où ça allait me mener. Moi qui étais assez scolaire et qui n’aimais pas trop sortir des sentiers battus, c’était un saut dans le vide pour moi.»
Du trait à l’objet
En réfléchissant à son parcours, elle se rend compte de l’importance du trait. « À l’école, mes copies devaient toujours être parfaites, avec chaque titre bien souligné. J’ai toujours eu ce rapport très fort à l’esthétique, qui se ressent encore aujourd’hui. » Tous ses projets commencent par un dessin, sans exception. Elle a même développé la manie d’avoir toujours le même stylo, avec une mine de 0,38mm, qui l’accompagne partout. Sans lui, elle en est persuadée, le rendu ne sera pas bon.
Malgré un parcours axé vers l’architecture d’intérieur, son attrait pour le design se distingue rapidement. À tel point qu’elle choisit cette spécialité pour son sujet libre des épreuves de diplôme. Commence alors son aventure avec la Manufacture de Sèvres, avec laquelle elle édite la série Morphose, qui reste une expérience marquante de sa carrière. « Ça a été ma première émotion de design. C’était la première fois que les dessins de mon carnet ont pris vie. »
Un passage à la Fabrica et aux Ateliers de Paris
Un an après son diplôme, elle est sélectionnée pour une résidence à la Fabrica, centre de recherche et de communication du groupe Benetton, situé à Trévise en Italie et fondé par Oliviero Toscani et Luciano Benetton. Elle y mène des expérimentations durant un an et demi, sous la direction de Sam Baron avec qui elle entretient toujours de très bonnes relations. « C’est une personnalité très généreuse à qui je dois beaucoup. Je pense qu’une carrière est faite avec beaucoup de choses. Un peu de talent certes, mais surtout grâce à nos rencontres » confie-t-elle à son sujet. Elle cite également parmi ses rencontres marquantes de l’époque David Raffoul, du studio libanais David & Nicolas, ou encore la designeuse Giorgia Zanellato qui possède le studio Zanellato/Bortotto en Italie, devenue plus tard témoin à son mariage.
À son retour à Paris, cet « esprit de colonie » envolé, elle ressent le besoin de continuer à évoluer dans un espace partagé. « Après cette expérience et la liberté créative que j’avais pu acquérir, il était impossible pour moi de m’imaginer travailler en agence.» Elle intègre l’incubateur des Ateliers de Paris pour deux ans l’année suivante. Les collaborations avec les maisons d’édition démarrent dans la foulée.
Daybed, collection Lavastone, désignée par Charlotte Juillard et édité par l'entreprise italienne Ranieri. Pièce présentée lors de Maison & Objet en 2016 © Morgane Le Gal
Création de son studio
Diplômée à 23 ans, elle acceptera quelques missions d’architecture d’intérieur. « À cette époque, j’avais beaucoup de doutes. Je sentais que mon style et ma personnalité n’étaient pas encore affirmés. Je me suis lancée dans ces projets, mais j’ai très vite été confrontée à la réalité de ce métier qui ne me correspondait finalement pas tant que ça. » Après cette expérience qui l’a “essorée”, elle décide de se recentrer sur le design et fonde son studio en 2014, avec l’envie d’auto-éditer ses pièces. « L’auto-édition permet d’avoir une liberté absolue dans mon travail. » En 2016, elle participe au salon Maison & Objet en tant que Rising Talents. Elle y présentera la collection en pierre de lave Lavastone, qui dévoilera son fameux daybed, une pièce importante pour elle qui lui permettra de gagner en notoriété. « Avec ce projet, j’avais réussi à produire quelque chose de sobre qui faisait sens avec mes dessins et ma personnalité. C’est une pièce que j’ai su défendre et avec laquelle j’ai tout de suite été à l’aise. »
Des collaborations diversifiées
Aussi loin qu’elle se rappelle, le point de départ de ses collaborations avec les maisons d’édition sera l’envoi d’un de ses dessins à Michel Roset (Ligne Roset) le bureau Brina, qui sera édité par la suite. Charlotte Juillard est également sollicitée par Duvivier Canapés, pour valoriser ses savoir-faire traditionnels avec des collections à l’esprit contemporain : le canapé Jules comme la table basse Adèle verront le jour. En 2021, elle s’associe à Parsua et crée le tapis Sirocca à l’occasion des 20 ans de la Galerie Chevalier. Avec Made.com, elle aspire à proposer un design « ouvert à tous » et imagine les collections Kasiani, Anakie et Toriko.
Cette liberté d’action à 360° est aujourd’hui devenue omniprésente. « Tout ce que je fais, c’est avec envie. Je suis toujours enthousiaste, une vraie pile électrique ! Je suis incapable de dédier une journée à une seule tâche. Mais c’est ma façon de fonctionner et je ne pense pas réussir à faire autrement. » Et si cette liberté l’anime, elle n’empêche pas une réelle exigence de sa part. « Je suis très perfectionniste. Quand je ne suis pas satisfaite d’un dessin ou d’une pièce, ça se ressent tout de suite. » Ses créations, elle les imagine et les esquisse dans des carnets, toujours les mêmes, aux pages écrues, avec une pochette en cuir noir ou bleu.
L’ expérience de l’édition… de A à Z
C’est dans le cadre d’une interview en 2014, qu’elle fait la rencontre de la journaliste Marie Farman. Très vite, elles se lient d’amitié et décident de monter une maison d’édition, Hava (« vent » en hindi), qui voit le jour en 2019. Une nouvelle façon pour la designeuse d’être au cœur de la création. « Je pense qu’Hava est la bouffée d’air de Charlotte, une sorte d’échappée parmi tous ses projets. C’est une vraie créative, qui aime dessiner et créer en permanence. Comme nous ne nous donnons pas de contraintes, ça lui permet d’exprimer son potentiel à fond. » explique Marie Farman. Ensemble, elles présentent des pièces comme l’applique ISO en métal plié et le tabouret Hestia fait en bois brûlé, présentés lors de son passage à M&O en septembre.
Donner sens aux projets
Consciente des questions liées à la surconsommation, Charlotte Juillard questionne de plus en plus le sens d’une production. « On ne peut plus consommer comme on le fait aujourd’hui. Être à l’initiative de la création me permet de réfléchir à des alternatives. » C’est notamment ce qu’elle fait avec Noma, maison d’édition de mobilier haut de gamme qui met l’écoconception au cœur de son positionnement, et avec qui elle a collaboré sur les collections Laime, Art et Ghan . « Dès notre première rencontre, Charlotte a été partante pour le projet. On se lançait à peine, mais elle nous a fait confiance. C’est quelqu’un de très solaire qui sait être à l’écoute et dans l’échange sur son travail. Au départ, elle devait nous dessiner un fauteuil mais nous en a finalement proposé deux, que l’on a gardés et même décidé d’éditer. » confie Bruce Ribay, cofondateur de Noma.
Ce caractère spontané et créatif que Charlotte Juillard traduit à travers ses dessins, est le fondement principal de sa réflexion. « Mes dessins sont assez instinctifs, mais ils ont toujours le même trait. » Une cohérence de son univers créatif retrouvé notamment dans sa scénographie à Maison & Objet en septembre 2022, sur le stand « Talents So French », auquel elle a participé, aux côtés de Pierre Gonalons, Bina Baitel et Samuel Accoceberry. Pour cette participation, Charlotte Juillard présentait la collection Hestia en bois brûlé, l’applique en métal plié Iso et la table Opus en pierre de lave.
Une expérience dont elle est fière, malgré des délais de préparations très serrés et l’apprentissage d’un exercice d’auto-promotion délicat pour elle : « Je ne suis pas très familière avec le fait de me vendre, mais j’ai pris cela comme l’occasion d’avoir de la visibilité et de rencontrer un public avec lequel je n’ai pas l’habitude d’échanger. J’ai eu des discussions très intéressantes sur l’artisanat français, l’auto-édition et le travail de designer aujourd’hui. Le public était assez varié, de qualité, et les retours sont très positifs. »
Elle est née en 1980 à Pordenone, une petite ville de la Vénétie Julienne dans le Frioul, à une heure de Venise, non loin de Udine, dans le Triangle de la Chaise. Enfant, elle s’intéressait aux dessins de couleur et aux jeux créatifs mais pas plus. Aujourd’hui, elle rénove des espaces fabuleux avec discrétion et délicatesse, juxtapose des matériaux remarquables pour des expériences tactiles exceptionnelles. Pour cette édition de septembre, elle a été nommée « designer de l’année » à Maison & Objet.
La terracotta, le marbre, le velours n’ont pas de secret pour elle. « J’ai compris mon intérêt pour le design et l’aménagement intérieur au collège avec mon professeur d’arts plastiques qui était architecte et qui nous a donné de passionnants cours sur les maîtres du Novecento. J’ai donc décidé d’étudier l’architecture à l’Iuav de Venise (Università Iuav di Venezia) dans un environnement idyllique. Diplômée en 2005, j’ai travaillé dans différents studios à Florence et Milan qui dessinaient des produits et des aménagements pour des marques réputées puis j’ai ouvert mon propre bureau. Pour me donner de la visibilité, j’ai décidé d’exposer sur le salon Satellite en 2012. J’ai présenté à cette occasion plusieurs produits dont la table Florian dessinée pour un ami suisse qui avait une galerie d’art – table d’exposition, table basse et miroir mural. À ce moment j’avais déjà lancé Attico Design, une marque qui m’a servi à faire comprendre mon design. En 2013, ma fille est née et j’ai décidé de me consacrer à temps plein à l’architecture intérieure. »
Des débuts fulgurants
« À partir de là, j’ai été contacté par des sociétés pour commencer à travailler avec elles sur des commandes ou comme directrice artistique. La première direction artistique que j’ai fait était pour les mosaïques Botteganove en 2016 et dans la suite immédiate pour Fendi à Design Miami où j’ai présenté The Happy Room. Cette année, j’ai entamé de nouvelles collaborations avec des marques internationales comme Etel, fabricant de mobilier moderniste brésilien, Kaldewei fabricant allemand d’équipements de salles de bains en acier émaillé et la marque hollandaise moooi. Nous avons renforcé notre collaboration avec Billiani (fabricant de chaise en bois à Manzano) et Fornace Brioni (carreaux en terre cuite), dessiné un nouveau lit pour Gervasoni et de nouveaux sols avec De Maio. Sergio Rossi vient d’ouvrir une nouvelle boutique via Della Spiga à Milan, que j’ai conçue avec mon équipe, une ‘magic box’ ou les chaussures de luxe sont en surexposition dans un univers comme aquatique. Elle doit servir de modèle dans le monde entier. »
2020, année ‘smart working’
« Le Covid n’a pas entaché mon activité. Ma pratique du design est restée la même et j’ai appliqué de nouvelles stratégies pour aller toujours de l’avant. Mon travail se fait en équipe, ce métier est fait de relations, de confrontations et d’échanges tout autant que de contacts directs avec les prototypes, les matériaux et les finitions. Le toucher est essentiel et le « smart working » ne peut être un futur envisageable. Il y a des problématiques que la pandémie a porté au centre de notre attention : le développement durable, les process, les matériaux, le concept de produits lui-même, l’hybridation des fonctions à la fois dans l’espace et dans le mobilier. Ces sujets vont encore plus faire partie de notre création. Depuis mon studio, un espace choisi en septembre 2019, plus conçu comme une seconde maison que comme un bureau, je peux accueillir mes clients pour leur montrer mon approche des matériaux, des intérieurs, des couleurs. »
À Milan, via Pietro Maroncelli, en juin 2022, elle présentait chez ETEL, la collection Panorama (photo Filippo Bonberghi), une collection de meubles en noyer brésilien travaillée avec des techniques ancestrales, traditionnelles comme la marqueterie et le bois courbé, par ses maîtres, Jorge Zalszupin et Oscar Niemeyer. Dans une harmonie parfaite qui embrasse les deux continents, Amérique et Europe, Etel entame le troisième chapitre d’une collection internationale. Fondé en 1985 par Etel Carmona, designer autodidacte qui a commencé sa carrière dans les années 80 en restaurant des meubles dans sa maison de campagne à Sao Paulo, Etel s’est affirmé comme le fabricant de mobilier moderniste brésilien. Ses meubles s’affichent comme des bijoux comme la haute couture du mobilier brésilien avec une production irréprochable – artisans qualifiés rodés aux techniques traditionnelles et connaissance parfaite des bois locaux. Elle fut en 2001, une des premières entreprises à obtenir la certification FSC (Forest Stewardship Council).
Directrice artistique de la société Billiani (créée en 1911 et basée à Manzano), Cristina Celestino vient de faire entrer deux nouveaux designers au sein de cette entreprise plus que centenaire : Constance Guisset qui signe Fleuron, tout en bois ou dans une version rembourrée et Philippe Bestenhelder qui signe la collection Edelweiss, des chaises, tabourets et fauteuils avec dossiers pleins ou perforés, photographiés (par Mattia Balsamini Studio) dans une villa des année 1950 de Carlo Scarpa. L’atmosphère intimiste des clichés démontre la volonté de la marque de se positionner sur le terrain du domestique.
Des collaborations hors pairs
Pour Gebrüder Thonet Vienna GmbH, elle signe en 2018 la table basse Caryllon qui exprime la puissance de la technique du bois courbé. Chez Moooi, elle présentait en juin un fauteuil au sein de l’exposition « A life extraordinary », Salone dei Tessuti, via S. Gregorio, dans un focus spécial sur la créativité associée à la technologie. C’est avec le Palazzo Avino et sa rénovation qu’elle s’est faite remarquer poussant ses recherches sur Ravello, la côte amalfitaine et ses villas aux jardins merveilleux comme la Villa Cimbrone et la Villa Rufolo. Le Palazzo Avino, propriété de la famille Avino se devait de devenir un objet de désir, en haut de ruelles pavées et accidentées. L’Hôtel apparait comme un mirage au milieu d’oliviers, de citronniers et d’orangers en terrasse. La vue imprenable sur la mer Tyrrhénienne doit se mériter et les détails de l’architecture mauresque se révéler dans des matériaux nacrés qui font référence à la flore environnante.
Fauteuil Aldora, design Cristina Celestino pour Moooi
Ses topiaires pour Fornacebrioni font des accessoires idéaux pour ses rénovations. Ses boîtes et banquettes-canapés en rotin pour Maison Matisse, ses marbres pour Margraf créent des ambiance aigue-marine, sable et corail aux accents roses, moka ou onyx, des effets de bois patinés, des céramiques craquelées, des miroirs aux effets vieillis raffinés avec insertion de laiton brossé. Coton et lin sont proposés dans des dimensions XXXL avec des motifs surdimensionnés. Ses têtes de lits monochromes (Pianca) et ses tapis au grain soyeux (CC Tapis) conviennent même aux espaces les plus brutalistes des Dolomites. Élue Designer de l’Année 2022 sur Maison & Objet, elle prépare une surprise… À suivre.
Le binôme italo-danois GamFratesi, formé par Stine Gam et Enrico Fratesi, voit le jour en 2006. Tous deux influencés par leur héritage culturel respectif, ils conjuguent leurs acquis avec l’artisanat traditionnel danois et l’approche conceptuelle du design à l’italienne. De Hermès à Porro, GamFratesi n’a de cesse de se démarquer par une création élégante et fonctionnelle qui force le respect.
Quand l’une étudie et travaille en tant qu’architecte en Italie et au Japon, l’autre fait de même en Suède et au Danemark. Stine Gam et Enrico Fratesi se rencontrent durant leurs études en Italie à l’université d’architecture. Ils découvrent alors qu’ils partagent la même vision du design : « Nous avons un profond respect pour les maîtres scandinaves dont le travail se traduit par une combinaison entre son artisanat unique et son design fonctionnel. L’estime que nous portons aux maîtres italiens est suscitée par leur approche intellectuelle du design. C’est pour ces raisons que nos inspirations viennent à la fois de la tradition artisanale du mobilier classique danois et de la démarche intellectuelle italienne. » Avec humilité, le duo développe ainsi un regard aiguisé et analytique sur l’histoire de leur domaine d’expertise, le design de mobilier.
Un style, deux cultures
Installés au Danemark depuis 2006, GamFratesi conçoivent leurs projets « à l’italienne » ; leur concept d’origine aboutit le plus souvent au produit final. « Nous essayons de préserver jusqu’à la fin l’idée de départ. C’est très italien comme façon de travailler ! » Mais le résultat reste toujours hybride puisque réfléchis en symbiose de deux cultures, tout en apportant une nouvelle lecture à un objet familier. Vient ensuite la phase de production, traitée de manière scandinave dans sa simplicité et sa fonctionnalité mais aussi dans le respect de l’ADN du client. « C’est une fusion honnête qui rend la collaboration toujours très intéressante. »
Le binôme collabore avec plusieurs entités internationales tant en Scandinavie, Italie et France qu’au Japon.
Chaise Miau, éditée par Koyori, design GamFratesi
Reconnus par leurs pairs, ils reçoivent de nombreuses récompenses importantes comme le prix Vico Magistretti par DePadova, the Chicago Atheneum Museum of Architecture’s Good Design Award, Best Danish Designer 2012 par Bolig Magasinet, ‘Walk the Plank award 2009’ et Best Danish Designer 2009 par RUM.Young Designer of the Year 2013, EDIDA (Elle Decoration International design award).
« Nous avons eu une longue collaboration avec Hermès pour des expositions et des vitrines, nous travaillons avec des branches italiennes telles que Minotti, Poltrona Frau, De Padova, Porro et Gebruther Thonet Vienna. » Au Danemark, Gamfratesi travaille avec Louis Poulsen, Royal Copenhagen, Hay et Kvadrat.
Dix ans après
La chaise Beetle, inspirée par la carapace du scarabée, est composée de deux coques en guise d’assise et de dossier. Editée par le danois Gubi, elle est la pièce la plus symbolique des créations de Gamfratesi. « C’est l’un des projets les plus complexes que nous avons réalisés. De nombreux échantillons ont été nécessaires au développement du premier prototype. »
Il a fallu ensuite près de deux ans avant de pouvoir lancer le produit sur le marché. Depuis, le siège a subi de nombreuses améliorations et est aujourd’hui décliné en fauteuil et en tabouret de bar, le tout proposé dans de nombreuses finitions. « C’est devenu une pièce iconique qui contient tous les ingrédients de notre philosophie et l’essence même de notre design : harmonie, rondeur, originalité et qualité sont conjuguées dans un produit très personnel. » Un best-seller dont les multiples contrefaçons signent son succès à l’internationale !
En symbiose à la scène comme à la ville
Les contrastes sont au centre des inspirations de Stine Gam et Enrico Fratesi qui vivent et travaillent ensemble. Leurs différences, qu’elles soient individuelles ou culturelles, combinées à leurs centres d’intérêts et leurs compétences mis en commun, permettent des confrontations très constructives. Toutes les étapes du processus de recherche et développement sont faites à quatre mains. « Nous sommes tous deux si impliqués qu’il est souvent impossible de distinguer qui a commencé ou terminé quoi. Et le résultat est finalement une fusion de nous deux. »
Cette diversité se retrouve dans le choix des entreprises auxquelles Gamfratesi s’associent. « Les entreprises italiennes sont toujours très liées à la communication, au langage ou aux détails techniques. Pour les nordiques, le processus est différent, il valorise la recherche d’une simplicité formelle et la relation à la nature. Nous aimons garder cette dualité très stimulante. »
La nature, une inspiration sans limite
Très inspiré par la nature, le duo en découvre sa simplicité et sa beauté avec le temps. « Tout est en quelque sorte parfait. Cela ne signifie pas qu’il faut la transcrire dans le design, mais utiliser certaines de ses nuances en écho, subtilement. C’est un travail parallèle que nous faisons en regardant la nature ». Et ce n’est sans doute pas par hasard que Stine affectionne le bois comme matériau de prédilection. L’interaction entre un individu et un produit est un des aspects pris en compte par GamFratesi dans leur approche créative. Ils restent convaincus que l’impact de l’environnement intérieur peut être positif sur l’individu et générer de la bonne humeur, à l’image de la collection de vaisselle « Royal Creature » imaginée pour Royal Copenhagen. Ici, après une étude poussée d’animaux à écailles, ils ont réinterprété une faune très poétique avec beaucoup de légèreté et dans le respect de la tradition. « Le produit devrait être capable de créer une relation personnelle avec son utilisateur, en espérant qu’elle puisse durer sur plusieurs générations. »
Si Gamfratesi sélectionnent avec parcimonie les projets qu’ils acceptent pour continuer de travailler de manière artisanale et dans l’intimité de leur binôme, ils tendent à créer de façon plus globale ces derniers temps. « Nous aimons interagir avec les intérieurs et l’espace dans son entièreté afin d’y intégrer notre philosophie. C’est un nouveau défi intéressant. »
Florent Coirier travaille seul dans son studio de 65 m2, rue d’Aubervilliers, entre le Centquatre, espace culturel et artistique installé sur le site du service municipal des pompes funèbres de Paris et face aux zones d’expédition de la Gare du Nord. Entre son four, ses écrans et son imprimante 3D, il ne s’ennuie pas, travaille pour Emu, Serralunga à grande échelle ou moule et cuit ses propres pots en terre pour bonzaïs japonais.
Une famille de « castors »
Au collège, il apprend en 4e qu’il existe dans l’Éducation Nationale, une section Arts appliqués grâce à son professeur d’Arts plastiques, Monsieur Tenot, professeur génial, artiste à ses heures à côté de l’enseignement, passionné d’architecture et de chaises, qui leur apprend la perspective, trace des bâtiments et leur donne envie de dessiner des objets ou des meubles pour les équiper. Ses perspectives à la Blade Runner, ses dessins de chaises à l’échelle 1/5e, en 4e, en 3e, sont toujours dans le grenier de la maison de ses parents. Au Lycée à Nantes, il passe un Bac Arts appliqués, anciennement F12 et intègre l’ENSAMAA, Olivier de Serres à Paris pour un BTS.
« Dans ma famille, une famille de ‘castors’, tous mes oncles savaient monter une maison ». Avec Olivier de Serres, il profite d’un échange de deux ans et demi en Angleterre où il passe une licence encore « à la campagne », à Birmingham où il apprend l’autonomie dans le travail. Son projet, il devait le suivre seul, se débrouiller seul, « indirectement, c’est formateur » et son travail au Midlands Art Centre de Birmingham ne servait qu’à compléter sa Bourse de Mérite anglaise.
De retour en France, il travaille directement en agence sur de la PLV mais avant de se lancer seul, fait trois ans « de classes » chez Christophe Pillet pour apprendre le B.A. BA du design : combien coûte une prestation, comment la facturer et à quel taux s’élèvent les royalties. Réputé pour ses collaborations avec de grands architectes, Christophe Pillet le met d’emblée à travailler sur des projets de meubles. Il participe aux concours Ligne Roset ou Cinna… mais son premier projet qui sort et qu’il signe, c’est avec la marque belge Modular, spécialiste du spot ultra technique, destiné aux espaces de ventes, musées ou galeries d’art en tout genre. La lampe à poser Polka sort chez Habitat et y est toujours en vente. Il quitte alors le studio de Christophe Pillet et se met à son compte profitant de la mise à disposition d’espaces par les Ateliers de Paris, rue Faidherbe (aujourd’hui BDMMA, Bureaux du Design, de la Mode et des Métiers d’Art de la ville de Paris).
Démarcher les plus grands
Florent Coirier se met alors à démarcher les plus grands pour une diffusion plus large et sa chaise Lyze pour Emu a été éditée aujourd’hui à plus de 6000 exemplaires. Chez Emu, la chaise Mom, est éditée à plus de 10000 exemplaires par an. Elle est devenue leur deuxième best-seller. Ils sont passés d’une production manuelle à un assemblage robotisé. La Lyze aux USA est tout en acier inoxydable. Coût supérieur pour des normes plus exigeantes ? « Il faut poser la question à Emu. Mais sa présence dans les Starbucks suffit à valider son humanité.»
Il entretient une bonne relation avec Modular qui chaque année le fait travailler sur un brief, qui prend suite très souvent comme avec la ligne de spots Qbini, développés en plusieurs tailles et formes.
Avec David Design, le suédois d’Helsingborg, il a développé une série de canapés Goliath. Il a croisé le « boss » sur son stand lors du salon du meuble de Milan en 2018. L’entreprise lui a plu pour son côté familial. Il s’est déplacé jusque là-bas, passant par Copenhague, Helsingborg puis en voiture avec le ‘boss’ jusqu’à l’usine à Ulricehamn, pour seulement deux heures de réunion mais un contact avec l’équipe qui ne pourrait exister par Zoom ou par Skype. Un an après il dessine un daybed Planar particulièrement efficace à l’heure du Covid où tout le monde a dû affronter les règles du confinement, de la distanciation et du travail à domicile. Le fauteuil de bureau est en étude pour une sortie à Stockholm en février 2023.
L’aventure Serralunga
Contacté il y a un an par Marco Serralunga pour une chaise de bistrot à lattes en plastique, en tecno polymère ou plastique injecté et recyclé, Florent Coirier a tenté l’aventure de repenser sa chaise. « C’est la première fois que je reçois un mail d’entreprise qui me demande de dessiner une chaise ». Car « comment dessiner une nouvelle chaise quand on en a déjà dessiné une ? » lui demande souvent ses amis. Réaliser un moule à 250000 euros demande une certaine confiance de la part du fabricant.
Il a donc passé un mois à travailler son projet et a envoyé une dizaine de dessins différents en espérant que Marco Serralunga choisirait le bon, son préféré. Bingo, cette chaise dédiée à la collectivité avec ses lattes plates a tapé dans l’œil de Marco, classique de l’inconscient populaire et le fabricant s’est fait plaisir dans les connexions de matière et l’a rendu possible, toute en plastique injecté. Son premier prototype, il l’a vu par photo, avec un prix estimé à 138 euros.
Pour communiquer, il utilise Instagram, n’ayant pas les moyens de s’offrir des pages de publicité dans les magazines. Pourtant une autre presse s’intéresse à lui, une presse spécialisée non pas dans les fleurs mais dans les bonsaï. Tout comme son ami Adrien de Melo, designer au sein de RDAI, le Japon le fascine et il n’a pas hésité à s’offrir un mois de formation auprès d’un maître bonsaï, Kunio Kobayashi, propriétaire du Shunkaen Bonzaïs Museum de Tokyo Edogawa.
Avec lui, il apprend la vie du bonzaï et la fusion entre l’arbre et la céramique. D’abord en balayant simplement l’atelier puis progressivement en prenant la main sur l’art de la taille. A Paris, sur son tour et dans son four, il fait des essais de couleurs et de matières, allant du charbon le plus noir à l’ocre le plus rouge en passant par le sable le plus doré et le blanc le plus crayeux.
Ses pots déclinés en plusieurs dimensions font le bonheur des amateurs de bonzaïs qui rêvent de cultiver un chêne, un bouleau ou un ficus à l’échelle de la miniature. Mais dans son studio, il suffit d’ouvrir la porte coulissante de sa mini-serre pour comprendre que Florent Coirier est capable de résister à tous les climats, humide ou froid, ensoleillé ou brumeux, flatteur ou critique.
Au moment de l’interview, Milan sortait d’une « pollution incroyable ». Un grand coup de vent par-dessus tout ça, et la ville était à nouveau vivable. Patricia Urquiola est née à Oviedo dans les Asturies et son enfance est liée à la mémoire des lieux, des formes, des odeurs. Son odeur de référence, c’est la Cantabrie, battue par les vents et les embruns de l’Espagne verte. Son esprit comme le Pays Basque et ses Pyrénées est Atlantique.
Fille, dans une fratrie de trois enfants, elle a su trouver sa place entre une sœur aînée mariée à un architecte et un frère cadet qui travaillait dans une banque. Elle était « celle du milieu », celle qui doit s’adapter, un cas typique entre un père ingénieur, basque, qui a déménagé dans les Asturies et une mère spécialiste en philosophie et philologie anglaise. De son père, elle garde l’image d’un homme séduisant, magique, « pas autoritaire du tout », un personnage « bello », dans tous les sens du terme : beau, généreux, ouvert d’esprit.
Pour son éducation, dans les années 70, elle est passée par l’Ecole des Ursulines d’Oviedo, avec comme professeurs les sœurs qui portent la coiffe mais qui l’après-midi n’hésitaient pas à remonter leur jupe pour faire faire un peu d’exercice à leurs pupilles/élèves attentives. Pour devenir ce qu’elle voulait devenir, architecte, elle doit quitter les Asturies pour Madrid où elle intègre le Politecnico. « Toute ma famille est une famille d’architectes, mes cousins, mes oncles… mon père était un architecte manqué. Il fallait que je m’éloigne. Il fallait que je bouge. Deux, trois ans à Madrid et je suis partie faire mon pre-Erasmus à Milan, un territoire beaucoup plus complexe. Quand je suis arrivée à Milan, j’ai découvert des matières plus complexes comme le design et je me suis positionnée entre architecture et design au Politecnico de Milan. J’ai toujours été une ‘bonne’ étudiante. J’étudiais mais j’aidais beaucoup aussi les autres à finaliser leur projet. Je crois beaucoup à l’entraide, à la collaboration qui donne à tous la possibilité de faire. Il faut bouger, bouger, aller voir, ne pas hésiter à partir au Japon, en Amérique, à explorer des territoires nouveaux. Il ne faut pas hésiter à sortir de son confort. »
Les clients de Patricia Urquiola
Le langage n’est pas une barrière pour Patricia Urquiola. Elle a appris le français à 6 ans et si elle pense en italien, elle rêve en français, en espagnol ou en basque. Son premier chef fut une femme, Maddalena de Padova avec qui elle a collaboré cinq ans. Mais comme elle y manquait d’un peu d’air, elle n’a pas hésité à partir chez Piero Lissoni chez qui elle avait la responsabilité du design. « C’est devenu un ami, et collaborer avec son bureau (80 personnes), un vrai plaisir. »
Son deuxième ‘premier client’ fut également une femme : Patrizia Moroso avec qui elle met au point son premier fauteuil (le Fjord) qui lui donne une grande confiance en elle. Dans les premiers chantiers sur lesquels elle travaille, il faut citer le Mandarin Oriental Hôtel à Barcelone, qui lui fait aborder la complexité d’un hôtel. « Maria Reig, avec qui j’ai collaboré sur le projet restera une grande amie pour la vie. C’est elle qui m’a élevé à la dimension complexe d’un projet d’architecture. J’aime travailler aussi sur des projets éphémères. Ce sont des dimensions, des échelles qui font partie de ma vie. »
En 2001, Patricia Urquiola ouvre son agence avec quatre, cinq personnes, une taille humaine. Le bureau en compte aujourd’hui 70. « Ce n’est pas une contradiction dans le rapport à la dimension. Je fais toujours plus de design et toujours plus d’architecture. Mais cela implique plus de personnel en matière de gestion. Pendant la pandémie, de nombreux projets ont été congelés. Mais ce fut une expérience intéressante et forte pour l’équipe rapprochée. Ma maison d’habitation colle à l’agence et cette continuité a été facile à gérer. »
La famille, les modèles, les mentors de Patricia Urquiola
En 1995, elle a une fille Giulia et dix ans plus tard Sofia qu’elle a beaucoup emmené dans ses voyages. « Nous avons grandi de manière organique. Les équipes travaillent en étroite collaboration et la recherche des matériaux est fondamentale avec un double accès pour le design. C’est une belle chose pour mon travail. J’ai travaillé avec de nombreuses compagnies avec la joie de voir les échantillons et les premiers prototypes. On doit tous faire beaucoup plus et on peut faire beaucoup plus »
« Je cite souvent comme mes mentors Achille Castiglioni et Vico Magistretti. Mais après ces deux années de pandémie, il faut réaliser que nous sommes dans une nouvelle jeunesse. C’est aujourd’hui l’espace de la révolution qui est associé à la jeunesse. Dans la période où l’on apprend, on peut parler de mentor mais la vie est devenue plus complexe, plus large. J’aime beaucoup lire les écrivains Gianluigi Ricuperati et Hans Ulrich Obrist qui recommande de ne jamais laisser quiconque dire que vous êtes éclectique. Éclectique est un mot limitatif et il faut savoir se laisser solliciter au-delà de notre secteur. La curiosité est essentielle et infinie aujourd’hui. »
Patricia Urquiola soutient l’idée que la coopération et la solidarité pratiquée tout naturellement par les femmes au sein de leur famille sont la voie qui permet de réformer la société civile. Elle est curieuse de Björk et de son approche musicale de l’espace. Elle se rêve en productrice comme Donna Haraway et n’hésite pas à citer Legacy Russell qui a inventé le Glitch Feminism, qui incarne l’erreur comme une perturbation du binaire de genre, comme une résistance au normatif.
« Quand je faisais ma ‘thesis’, j’avais associé À la recherche du temps perdu de Proust à mes descriptions et je décrivais les maisons comme Marcel Proust que j’ai lu dans presque toutes les langues. Les personnages d’une maison font la philosophie de la maison. C’est Patrizia Moroso qui m’a initié à la forêt et à l’art avec cet aspect expansif de la nature qui submerge tout comme un blob. J’ai tenu des conversations avec Cassina pour mettre en valeur le travail de Charlotte Perriand, une grande amoureuse de la nature et toujours sur le fil de la recherche en matière d’habitat. Au Palais de Tokyo, j’aime aller puiser l’énergie à la Patti Smith d’une Anne Imhof qui fait performer sur le même espace-temps, acteurs, faucons ou drônes. »
Une pensée caracole
Passant de l’art à la philosophie, du bio-mimétisme à la biologie, du numérique aux sciences du vivant, Patricia Urquiola fonctionne comme une ‘boîte à outils’ et son rapport au monde ne s’envisage que par son rapport aux autres et inversement, comment les autres sont pour elle. Cette fluidité, elle la puise dans le monde végétal et son ambition est de remettre les matériaux dans une circularité.
« Pendant cette pandémie, nous avons vécu avec des œillères, comme des chevaux de trait. Il faut élargir notre vision, ouvrir les yeux et réviser notre approche des choses et voir comment tout explose. Différents champs sont fondamentaux. Il n’y a pas d’algorithme qui mène le monde. La phase la plus évoluée de notre parcours, c’est la perception. Il faut garder nos antennes les plus ouvertes comme des biologistes ou des philosophes qui travaillent à réaménager des espaces publics. Je travaille avec Mutina sur les surfaces et les accompagne dans le déménagement de leur siège social. A Capodimonte, à Naples, je travaille sur une vision botanique de la porcelaine en travaillant à partir du moule comme base. Je glisse un bois autour. »
Cecilia Alemani, la nouvelle commissaire de la Biennale d’art contemporain de Venise, a aussi choisi comme thème le ‘Milk of Dreams’ qui reprend les notions de la représentation des corps et la métamorphose, délicatement tout en effectuant en même temps le travail de rénovation de l’architecture. « Mes travaux se passent à différents rythmes et différentes intensités. Mon travail de direction artistique est celui qui me prend le plus de temps et peut courir sur deux ou trois ans. Il faut remettre les temporalités dans une vraie vision, donner des messages de proximité à la team tout en faisant l’effort de travailler à distance. Être près de ceux qui font de la 3D, c’est prendre le téléphone et leur parler. Une image ne peut pas être congelée. Il faut avoir beaucoup d’espace pour raisonner notre travail et élargir notre vision. Le numérique a élargi notre vision, a ouvert notre horizon. Il faut rentrer dans ce numérique. En février 2019, il y avait une Mostra en cinq parties sur mon travail à Madrid. La dernière partie sur la « contamination positive » comprenait également un projet avec Federico Pepe, ‘Don’t treat me like an object’ dans un tout petit espace avec un casque de réalité augmentée. Comment élargir cette expérience ? On rentrait dans une communauté de chaises qui dansaient le flamenco provoquant un mixte d’émotivité. On est là dans le metaverse. Je prône cette curiosité élargie de la biologie à l’art. »
Comme un clin d’oeil au proverbe bien connu, c’est en designant que Frédéric Sofia est devenu designer : autodidacte accompli, son parcours est un exemple de ténacité et prouve qu’il n’y a pas que les voies académiques qui mènent au succès. Du 24 au 28 mars, il signe la scénographie de l’Intramuros Café à Maison & Objet : une occasion de revenir sur sa collaboration avec Fermob, et d’exposer une partie de son travail caractérisé par le souci d’inscrire dans une histoire de marque des produits profondément intemporels.
Créatif et bricoleur depuis l’enfance, c’est jeune adulte que Frédéric découvre le milieu du design, et comprend, surtout, qu’il est vraiment fait pour ça. Sa rencontre avec Andrée Putman est un déclencheur : « Elle a pris le temps de me recevoir et de regarder attentivement mon portfolio, avec des projets qui partaient dans tous les sens ! Elle m’a conseillé. Nous étions en 1993 et j’ai compris avec Andrée Putman que mon avenir immédiat de designer était plus chez les Trois Suisses ou Tati qu’à la galerie En attendant les Barbares. Même si les choses ont bien changées depuis, cette prise de conscience a été déterminante.» Il s’associe pour créer Wombat, qui aura un certain succès d’estime. Puis intègre l’agence Cent degrés, où il travaille aussi bien sur le développement pour des projets industriels de matériel médical que sur des flaconnages de parfums. Depuis 2000, conçoit des produits pour l’habitat, indoor et outoor, en tant qu’indépendant.
La rencontre avec Fermob
Parallèlement en 2001, il se penche pour Fermob sur la réinterprétation et l’adaptation des assises mythiques du jardin du Luxembourg. Il revoit et transforme tout de fond en comble sur les modèles Sénat présents dans le « luco » depuis 1923. En dessinant des accoudoirs en forme d’ailettes et des lattes d’assise en triple galbe il signe une adaptation originale, qui lui a demandé un intense travail d’observation et de détails. « C’est la même mais elle est différente » aime-t-il dire sur Sénat et Luxembourg en référence à une publicité Volkswagen pour la New Beatle.
Ainsi, et ce avant son tout premier lancement en 2003, l’ensemble fauteuil bas/repose-pieds Luxembourg se retrouve exposé au sein de l’exposition « Placenta » organisée à Paris par l’agence BETC Euro RSCG. Présenté en rose bonbon, l’objet fait alors un effet retentissant, nouveau et subversif dans l’univers du mobilier de jardin. Son accueil incite la société Fermob à intégrer plusieurs teintes de rose dans sa propre gamme couleur.
Le fauteuil Luxembourg sera le premier élément d’une longue collection : aujourd’hui, en comptant les ajouts de pièces (tables de formats différents, tabourets, rocking chair…, les actualisations, la gamme compte une trentaine de pièces ! Et une collection best-sellers pour le fabricant français, devenu référence à l’international dans le mobilier de jardin.
Confiance et complicité
Fermob a fortement marqué le parcours de Frédéric Sofia : « Avec Bernard Reybier – président de Fermob – s’est installée au départ une collaboration très liée à un fort esprit d’entreprise industrielle que nous avons en commun. Pendant les années 2000 nous construisions quelque chose, c’était passionnant. J’ai puisé dans l’identité profonde de la marque que j’ai développé en créant aujourd’hui 5 collections. J’aime être « au service de », ça fait partie de ma démarche, c’est important pour moi. » Au contact du fabricant, au fil des années, le designer a développé des compétences importantes dans la conception de mobilier avec l’aluminium : « Ses capacités plastiques et de recyclage sont exceptionnelles, et aussi ses possibilités uniques en terme de finition « . « Je suis un designer heureux avec Fermob, mes créations sont pensées et produites industriellement, c’est tout ce que j’aime dans mon métier, la création industrielle».
Après Luxembourg, il signe Sixties la première gamme tressée de la marque, puis l’innovant Ultrasofa, conçu comme une aire de repos.
Viendra ensuite Lorette, un travail long sur l’identité d’assise: «J’ai développé un motif, un graphisme, qui associe la nature (la fleur) et l’architecture (le losange). Lorette est un objet hybride à la croisée des archétypes « J’ai voulu créer une chaise en acier qui évoque l’esprit de la campagne française dans une version légère et sophistiquée. Ce projet a maturé pendant des années, il est le résultat de beaucoup de ruminations. »
Des produits qui ont un sens et une histoire
Frédéric Sofia se définit comme un praticien du design : «Je suis un créateur mais ma façon de faire du design est classique. Je ne « pense » pas le design, ça ne me pose pas de problème. Pour moi l’enjeu est de faire du design, c’est comme une question de survie. » Il aime ancrer les objets dans une histoire : « Faire des objets pérennes est un enjeu majeur aujourd’hui. Je n’essaie pas de faire un design qui soit remarquablement nouveau ou à la mode, mais qui soit une sorte de mise à jour subjective et personnelle d’une typologie qui m’est chère »
Ainsi, la collection Luxembourg, est le fruit d’une réadaptation de la chaise du jardin du Luxembourg : « Je l’ai adaptée, redesignée, transformée aux besoins industriels, aux codes d’aujourd’hui. La chaise Lorette est une vision urbaine de la chaise champêtre à médaillon. J’aime partager avec les gens la perception de cette continuité dans l’histoire des objets. »
Il conçoit ainsi Airloop comme un pur produit de l’histoire de Fermob : le fabricant conçoit depuis toujours des chaises en fil, comme la chaise 1900, et la Lune d’Argent de Pascal Mourgue : « la première s’inspire des Arts déco, la deuxième est une icône des années 80. J’ai longtemps cherché un dessin qui fusionnerait ces deux typologies clairement identifiées Fermob. Airlooop est ronde, en fil, comme la chaise 1900, elle a le même type de piétement que la chaise Lune d’argent, et les fils de dossier et d’accoudoirs sont solidarisés par deux anneaux forgés à la main. C’est un détail qui révèle l’identité profonde et l’histoire de Fermob. Et j’en suis fier : dans un coin de l’atelier industriel, il y avait un artisan. Ce n’est pas juste un concept, ou un effet de style, ça s’inscrit dans une histoire. »
Une collection Habitat en perspective
Avant tout Frédéric Sofia aime inscrire ses collaborations dans le temps. En 2002 sort une collection qui est le fruit d’une collaboration murie de longue date avec Habitat : « J’ai commencé avec une table, et depuis deux ans, j’ai une carte blanche pour créer toute une gamme de mobilier, luminaires, tapis, d’accessoires d’art de la table, autour de la salle à manger. » Le mobilier est en chêne massif, intemporel et légèrement rustique, à l’image de la marque.
Le designer a également travaillé des duos de couleurs la fois, doux et pop, pour une série de lampes à poser.
Dans ses recherches, Frédéric Sofia a travaillé également une recherche autour des arts de la table, en interrogeant nos pratiques et nos usages alimentaires, quitte à hybrider les bols et les assiettes, à repenser le dessin de couverts.
Une idée toujours logée dans un coin de la tête, le crayon au bout des doigts, il mûrit petit à petit ses esquisses d’une façon obsessionnelle, tout en prenant le temps comme un allié.
Retrouvez prochainement le portrait complet dans le numéro 211 d’Intramuros.
Découvrez la scénographie de l’Intramuros Café à Maison & Objet, du 24 au 28 mars, Hall 7, parc des Expositions de Villepintes.
Sous l’appellation Bold Design se cachent deux designers : William Boujon et Julien Benayoun, qui ont fondé en 2008 cette agence de design pluridisciplinaire entre atelier de création et laboratoire d’expérimentation. Ils incarnent une nouvelle génération de designers qui travaillent en 3D et, à coup de fichiers numériques, produisent des « boutures » d’objets.
Ils se sont rencontrés à L’Ecole supérieure d’art et de design de Reims en 2003, sont devenus amis et ont décidé de faire leur Erasmus ensemble aux Pays Bas à l’AKI ArtEZ, Academy of Art and Design en hollandais Academie Beeldende Kunst & Vormgevung d’Enschede, dans la région de Twente, à 80 km au Nord-Est d’Amsterdam, dans la Ligue hanséatique. Acceptés dans une section « architecture » qui allait fermer, malins, ils passent un accord avec leurs professeurs pour travailler et expérimenter pendant six mois seuls, sur l’intégralité de leurs projets qui touchaient toutes les matières : le bois, la céramique, la sérigraphie, la terre, les matières recyclables, les mousses, le liège… Ils en feront un livre, perdu ou égaré, qui retrace tout ce travail d’Erasmus, des projets expérimentaux, réalisés ensemble, à deux, dans un travail de ping-pong.
Digital Object On Demand
Bold Design fête bientôt ses 15 ans, et leur mode de travail a évolué. Pendant 8 ans, ils ont partagé le même bureau à Paris, jusqu’à ce que Julien parte s’installer à Orléans. Ils produisent alors un cahier d’idées et de formes pour utiliser cette technologie du dépôt de fil pour fabriquer des objets à la demande. Dans l’ouvrage de Jean-Louis Fréchin Designer(s) du Design, elle est décrite : « Elle dispose d’un châssis en acier breveté, sa sole chauffante permet d’imprimer tous types de matériaux et décrypte elle-même les fichiers 3D qui lui sont soumis. » Ils offrent ainsi un pouvoir d’action à l’utilisateur et partage le pouvoir des outils numériques. Leurs collections offrent des formes spectaculaires. La collection de vases « Poilu » apporte du chaos à l’organique. C’est une expression mathématique du désordre. La machine interprète un code composé de coordonnées à mi-chemin entre logique informatique et loi naturelle et dont le rendu ne peut s’apprécier qu’une fois l’objet créé. Postée sur Instagram, comme les cheveux dans le vent, décoiffée, elle sera vue par la AYBAR gallery de Miami qui leur commande une collection de trois vases, imprimés à partir d’un matériau chargé en fibres végétales qui leur donne leur couleur brune, rousse ou blonde. Ils exposent au côté de pièces plus fantasmagoriques comme celles de Formafantasma, le tandem Mario Trimarchi et Simone Farresin, à l’écoute des forces écologiques, historiques, politiques et sociales qui façonnent la discipline du design aujourd’hui.
Produire à grande échelle
« Notre souci est avant tout de faire un objet fonctionnel et utilitaire produit par la machine. » Ils se rapprochent alors de Batch.Works, installé à Londres et Amsterdam, studio de conception et de fabrication de l’industrie 4.0 qui construit un réseau d’usines vers des produits concrets comme des petits accessoires de bureaux. Ils expérimentent le filament. Le PLA (Polylactic acid) ou acide polylactique, un polymere biodégradable en compostage industriel (à une température supérieure à 60°) présente un double intérêt en chimie verte. Résultant de la fermentation des sucres ou de l’amidon sous l’effet de bactéries synthétisant l’acide lactique, ce plastique recyclé peut être produit à partir de betteraves à sucre. La Quincaillerie moderne produit un de leur modèle de luminaire, une grosse boule de verre épais sur un pied technique qui permet d’acheminer l’électricité en toute sécurité. Trois motifs, quatre couleurs, cette collection est entièrement réalisée en thermoplastique.
Au 3DPrint Show, en octobre au Palais des Congrès, porte Maillot, ils ont pu exposer des pièces d’exception, comme la start-up bayonnaise Lynxter. Chez Lynxter, ils apportent un regard extérieur sur leurs machines, des machines d’impression 3D de grandes dimensions, dix fois plus lourdes que la petite DOOD, et stockées dans un bâtiment de 3000 m2, toujours en recherche d’extension. Pépite technologique de la technocité de Bayonne, Lynxter produit des imprimantes 3D nouvelle génération et s’est affirmé comme pionner dans le monde sur l’impression de silicone. Des machines S600D sont exportées actuellement en Europe avec un service de conseil à la carte. L’équipe de 25 personnes est ouverte à toutes les propositions.
Fab labs et start ups
Grâce aux speed-datings du VIA/The French Design, ils ont été mis en relation avec la Camif pour qui ils ont imaginé un canapé (en collaboration avec le fabricant Mousse du Nord) qui s’adapte aux différentes morphologies pour un confort plus adapté. De pièces expérimentales en accumulation de prototypes, de recherches avec des artisans locaux, ils sont devenus les experts sur l’outil et l’impression en terre, ce qui leur ouvre des perspectives avec de futurs architectes. La terre n’a pas qu’une qualité décorative mais peut s’utiliser en matériau d’isolation ou de conservation de la chaleur ou de la fraîcheur. Les adeptes en témoigneront. Avec France Relance, ils travaillent à la possibilité et la faisabilité d’imprimer des micro-architectures avec XtreeE, un producteur de Rungis, et hors studio, spécialisé dans la mise au point de matériaux issus de la valorisation de déchets, fondé par Rébecca Fézard et Elodie Michaud. Eté 2021, ils ont été invités par Christopher Dessus, lauréat de la Bourse Agora de la Curation à exposer au Pavillon de l’Arsenal un vase imprimé en grès au sein duquel trônait un bouquet de tulipes.
Ce petit studio (2 personnes) qui rassemble autour de lui et crée des synergies, croule sous les demandes de collaborations avec des start-ups ou des artisans toujours à la recherche de doigts en or pour prendre la relève. Le CNAP, Centre National des Arts Plastiques, a acheté quatre de leurs collections – Poilu, Tuile, la collection de boîtes H, E et I, initiée pour leur collaboration avec Habitat Design Lab et Fabrik, objets imprimés en grès noir et blanc au sein du 8Fablab dans la Drôme.
Actuellement designer dans le monde rural, à Crest à 30 km de Valence, Julien y a rencontré les acteurs de la céramique et travaille avec la designer et céramiste Emmanuelle Roule sur l’usage de l’eau. De projets en projets, ils se sont même rapprochés de l’Université de Paris-Saclay pour accompagner des laboratoires de recherches dans leurs projets innovants et ont dessiné un fauteuil pour permettre aux personnes à mobilité réduite de danser, des outils pour vérifier l’état des ailes des avions et des luminaires à leds Innled produites à Castelnau-le-Lez.
Bold, qui veut dire en anglais « audacieux » n’a rien à craindre si ce n’est de monter trop vite au firmament du design. Une première rétrospective a déjà été organisé fin 2021 à la Chapelle des Calvairiennes à Mayenne à l’invitation de Mathias Courtet et du Centre d’Art Contemporain Le Kiosque, exposition trop courte de seulement un mois. L’exposition collective « Tant qu’il y aura des fleurs… » est en préparation à l’Ecole Supérieure d’Art et de Design d’Orléans. Mais le moyen le plus sûr de tester leurs produits est de s’inviter à boire un café au Mignon Café, dans le 18e arrondissement à Paris ou à Saint-Malo, véritable showroom de la maison d’édition Kataba avec laquelle ils collaborent depuis sa création pour la qualité de sa démarche environnementale et sociale. Loin d’être des Ayatollahs du bilan carbone, de l’écologie et du 100% Bio, ils ont le souci de l’impact moindre, une véritable conscience du design et une ambition : sortir la 3D du gadget.
Tranquillement installé derrière son bureau à Stockholm, (dans sa Villa Rose), simplement vêtu d’un pull rouge et blanc, Luca Nichetto donne une impression de douceur, de chaleur et de tranquillité. Quand on le rencontre en personne, on est frappé par sa taille et son aisance à se mouvoir dans des univers qui ne sont pas forcément adaptés à son gabarit. C’est un géant du design, et le monde du design se l’arrache.
L’esprit Luca Nichetto est un savant mélange d’ingrédients de couleurs et de goûts, longtemps et savamment testés comme le sont les Spritz, ces apéritifs vénitiens qui s’adaptent très bien aux grands froids de la Suède. Le Nichetto Spritz a besoin dans sa version très spéciale de très bons ingrédients : une bouteille de Cava, un vin fou, une bouteille d’Aperol, de l’eau pétillante, des oranges et des glaçons. Pour les proportions, cela reste un peu flou. Mais les résultats sont pleins de conforts, de couleurs et de bon goût.
Un Vénitien de souche
On ne peut pas parler de Luca Nichetto sans évoquer sa famille. Né à Venise en 1976, il est toujours fier de faire visiter la pharmacie du Musée du verre de Murano et de pointer le blason accordé à sa famille par la Sérénissime pour leur travail du verre en tant que spécialiste. La fabrication du verre a longtemps été un secret, et la simple visite d’un atelier de soufflage permet de réaliser la grande qualité et coordination des ouvriers pour aboutir à des formes et des coloris indescriptibles qui nécessitent autant en puissance dans le souffle qu’une connaissance pointue des teintures et autres poudres de couleurs. Enfant, on aime l’imaginer courant partout, d’un point A à un point B de la ville, pour aider son père ou sa mère à la confection des verreries de Noël.
En 2017, sur le off du Salon du meuble de Milan, il avait apposé le blason sur une chaise-fauteuil Canal dessiné pour Moooi, le fabricant hollandais, avec différents types de tissus et sur différentes formes de pieds à la Eames. Via Savona, dans un espace régulièrement loué par la marque, il faisait face à la projection d’un bison à la marche forcée mais calme, allégorie à la disparition de certaines espèces rares.
Manier le froid et le chaud
Après des études d’Art et un diplôme de design industriel obtenu à l’Institut Universitaire d’Architecture de Venise, il dessine ses premières formes en verre de Murano en 1999 pour la Maison Salviati et une série de projets pour l’éditeur Foscarini. Mais l’île ne lui suffit pas, un appétit insatiable de découverte du monde l’entraîne au-delà des frontières et pour s’assurer la capacité de voyager, il fonde son agence en 2006 à Venise, puis cinq ans plus tard à Stockholm. Ces deux géolocalisations lui permettent aujourd’hui de jouer des effets de froid et de chaud et de tempérer sa culture latine. Il injecte du fun et du flamboyant dans un paysage d’objets produits pour une liste surprenantes de fabricants italiens et internationaux. Arflex, Cassina, De Padova, Ethimo, Established&Sons, Foscarini, Gandia Blasco, Ginori 1735, La Chance, Molteni&C, Offecct, Venini, &Tradition, Lodes, Rubelli, Hermès… ou l’éditeur chinois Zao Zuo.
Design et industrie
Sa définition du design reste liée à la production en série car le travail du designer est dédié à l’industrie. Comme le disait Vico Magistretti, l’entreprise est la mère, le designer est le père, et l’identité propre s’atteint par un nombre infini d’échanges entre les exigences de l’usine et la conception et la créativité du designer. Si l’art ne connait aucune limite, le design en connaît beaucoup. Plus les contraintes sont fortes, meilleure est la réponse. Directeur artistique de l’éditeur chinois Zao Zuo en 2015, il a signé les boutiques physiques du label qui en compte aujourd’hui quatre, à Pékin, Shanghai, et d’autres villes chinoises. Le succès du design en Chine est un succès de masse. Il touche ainsi le mainstream, des populations qui ne lui étaient pas accessibles via des marques plus haut de gamme comme Wittmann, Offecct ou Bernhardt Design. Il a attaqué l’Empire du Milieu avec la même énergie qu’un Pierre Paulin ou Achille Castiglioni en Europe en embarquant dans son aventure Constance Guisset, Noé Duchaufour-Lawrance, Richard Hutton ou Philippe Malouin.
L’option de La Manufacture
En France, avec La Manufacture, la maison d’édition de Robert Acouri, il a retrouvé cette possibilité de développer une large gamme de produits qui vont de l’objet au vêtement. Donner forme à des projets est ce qui compte le plus pour lui, du mobilier à l’architecture en passant par la scénographie d’expositions. Les prochains salons sur lesquels on risque de le revoir sont Milan, le plus grand salon en matière de créativité, ou les Biennales comme celle de Venise qui draine une population haut de gamme d’aficionados du design.
Difficile de trouver un territoire sur lequel il ne s’est pas exprimé. Toujours à surprendre, à l’image des formes originales de la collection Paradise Bird pour Wittman (retrouvez le bureau dans la sélection de la rédaction Les Intemporels 2021-2022). À venir en 2022, une cuisine-salle de bains pour Scavolini, des fauteuils pour Arflex, des chaises de conférence pour Bernhardt Design… Il boucle une proposition de coque de pianos Steinway&Sons en édition limitée, tout en respectant l’intérieur de la « boîte ». Pas de son révolutionnaire, on respecte le clavier et ses touches en feutre. Une nouvelle lampe doit sortir chez Barovier & Toso. Il signe une gamme de parfums d’intérieur pour Ginori 1735 et une extension de marque d’accessoires via la Home collection. Une table est en préparation pour Offecct, une chaise longue pour Swedese, une lampe pour &Tradition.
À la tête d’un studio de 8 personnes, il vient de gérer avec succès le déménagement de ses bureaux suédois passant de Hägersten à Stockholm à une jolie maison rose où les visiteurs pourront venir tester en vrai la qualité du confort de ses produits. L’hospitalité, est peut-être le mot qui lui vient le plus souvent à la bouche. Il ne voit pas ses ‘collègues’ comme des concurrents mais utilise le design comme un outil de rapprochement. Pour la Manufacture, il n’a pas hésité à convier certains à la construction de la collection dans les règles les plus strictes du développement durable et de la production locale. Il ne se prend pas pour un grand. Son honnêteté intellectuelle est à louer. Canapé, chaise, tabourets, luminaires, vases, textile… peu de typologies n’ont éprouvé sa créativité. S’il est une marque qui le ferait rêver d’une collaboration, peut-être citerait-il Opinel.
Au printemps 2021, le nouveau site web d’Intramuros a été lancée. Dans cette version, la rédaction met désormais à l’honneur chaque mois un designer dont le portrait est consultable en home page. Une traduction d’une volonté de multiplier les rencontres et les portraits, dans le magazine comme sur le site. Retrouvez les designers du mois de 2021 !
Avril 2021 : Marie Christine Dorner, la passion d’un métier, une chance
Elle a fait la couverture du n° 12 d’Intramuros, juste avant Philippe Boisselier, son professeur et même Philippe Starck, son héros. À 26 ans, diplômée de l’Ecole Camondo, elle revenait d’une année à Tokyo avec des projets plein les poches. 2020 n’aura pas été une année morte pour elle. Elle sort de nouvelles collections pour Cinna, Ligne Roset, le musée du Louvre avec la RMN, Zeus…Tout en parlant de son actualité, Marie Christine Dorner revient sur ce qui a façonné son parcours avec pudeur… et bonheur !
Mai 2021 : Sebastian Herkner, le design jusqu’au bout des doigts
Sebastian Herkner est aujourd’hui l’une des figures internationales que les éditeurs se disputent. Il n’est pas aisé d’établir de manière exhaustive la liste de ses collaborations, tant elle est diverse et variée, à l’image de la curiosité sereine du designer allemand, qui travaille aussi bien avec des petits éditeurs comme La Manufacture qu’avec Cappellini et Thonet.
Juin 2021 : Elise Fouin, la pensée en arborescence
Au cœur de la Bourse de Commerce-Pinault collection, Michel et Sébastien Bras viennent d’inaugurer La Halle aux grains, leur premier restaurant parisien. Pour ce lieu extraordinaire, ils ont confié à Elise Fouin la signature des arts de la table. Dans une totale osmose avec la thématique de l’offre culinaire développée autour de la graine, la designeuse a développé la collection Sillon, des assiettes, bols, tasses qui relient la terre à la terre et font du moment du repas une expérience unique. Un projet qui voit son aboutissement au bout de trois ans, effets collatéraux de la crise sanitaire inclus.
Juillet-août 2021 : Chafik Gasmi, luxe, calme et désirabilité
Tout a démarré avec la construction d’une maison à Alger, puis d’un hôtel à Paris, dont il conçoit le mobilier. Viendront par la suite la signature de flagships pour de grandes maisons comme Baccarat et la réinvention des concepts magasins et de leurs parcours clients aussi bien pour Sephora que pour Lancôme, physiques comme digitaux. Ainsi, depuis 1987, Chafik Gasmi s’est construit à l’international un parcours dense et extrêmement varié, entre design, architecture et architecture d’intérieur. Avec un engagement de son studio clairement affiché depuis 2005 : allier luxe et écologie.
Septembre 2021 : Samuel Accoceberry, de l’omnipotence du designer
En juin 2021, Samuel Accoceberry exposait au sein de Maison Molière, à Paris, ses graphismes, version tapis ou version dessins, à saisir sous l’œil averti de Karine Scherrer de la galerie The Art Design Lab. Depuis trois ans, il fait partie de tous les Top 100, Top 50 ou même Top 20. La pandémie ne l’a pas empêché de travailler, d’éditer et de finaliser des projets qu’il avait « en attente », mais aussi d’initier de nouvelles collaborations. Depuis son studio du 13e arrondissement ou depuis Biarritz, il peaufine ses produits avec passion et avec un engagement de tous les instants. Verre, bois, métal, textile n’ont pas de secret pour lui.
Octobre 2021 : A+A Cooren, entre technique et poésie
À la Carpenters Workshop Gallery, dans l’exposition de « Tiss-Tiss, Flexible Rigidity » les créations de A+A Cooren se confrontaient à celles de Simone Prouvé, dans un dialogue sensible. Au Mobilier national, ils présentaient pendant la Paris Design Week leurs fauteuils et canapé « Dans un nuage de Pixels ». Retour sur un duo de designers qui, depuis la création de leur studio, en 1999, ont travaillé sur des projets d’aménagement d’intérieur, de produits, de meubles ainsi que de scénographies pour entre autres Shiseido, Artemide, ClassiCon, L’Oréal, Cartier, Yamagiwa, Saint Louis, Boffi Bains, Vertigo Bird, Noma…
Novembre 2021 : Stefan Diez, l’esprit de laboratoire
Le 21 octobre 2021, Stefan Diez était à Barcelone avec une partie de son équipe pour le lancement de sa dernière collection de luminaires pour la marque espagnole Vibia. Auprès de Pére Llonch, le CEO de Vibia, il assurait le lancement de Plusminus, « The New Era of Lighting ». Le showroom Vibia construit par Francesc Rifé Studio et aménagé par Saus Riba Llonch architectes et Carlota Portavella, reflétait cette parfaite révolution dans la manière de faire l’éclairage, la lumière, l’électricité.
Décembre 2021 : Germain Bourré, de la terre à l’assiette
Germain Bourré nous accueille dans son atelier-maison à Montreuil, dans le Grand Paris. Sur une table en Formica jaune, avec derrière lui la Taccia de Castiglioni (Flos) et sous une Tolomeo Mega de Michele de Lucchi (Artémide), il nous explique les objectifs du bureau Germ-Studio : cultiver une expertise d’accompagnement par le design pour apporter une pluralité de réponses sur mesure au service de l’alimentation de demain.
Germain Bourré nous accueille dans son atelier-maison à Montreuil, dans le Grand Paris. Sur une table en Formica jaune, avec derrière lui la Taccia de Castiglioni (Flos) et sous une Tolomeo Mega de Michele de Lucchi (Artémide), il nous explique les objectifs du bureau Germ-Studio : cultiver une expertise d’accompagnement par le design pour apporter une pluralité de réponses sur mesure au service de l’alimentation de demain.
Formé à l’ESAD de Reims, de 1995 à 2000, Germain Bourré n’hésite pas à citer ses mentors : Marc Brétillot, Mathilde Brétillot, Stéphane Bureau, Matt Sindall, Vincent Beaurin… avec Gervais Jassaud aux commandes, tous présents à l’école dans un bouillonnement créatif sans limite. Créée trois ans en amont, la section design avait tout à prouver. Chacun arrivait avec son background. Marc Brétillot, « garçon boucher » formée à Boulle, Mathilde, « dame de porcelaine » enseignante à Camondo… avec des pratiques du design complémentaires et des croisements de fers où chaque élève pouvait trouver son territoire d’épanouissement.
La pêche à la mouche et le design
« Mon mémoire a porté sur « La pêche à la mouche et le design » et il est toujours valable. Tout était là dans le rapport au dessin, le rapport à l’outil et avec cette volonté d’être à l’écoute. Je pratique la pêche à la mouche depuis toujours. Ma famille habite Blois. J’y ai fait un bac S, avec option dessin pour pouvoir faire tous les concours d’écoles d’architecture. Quand j’ai eu le concours de l’École Supérieure d’Art et de Design de Reims et que j’ai réalisé tout ce que pouvait faire le designer, à toutes les échelles, de l’architecture à l’objet, j’ai tout de suite adhéré. »
Pendant ses années d’études, il se retrouve seul à Reims et se met à cuisiner. Il était pour lui hors de question de « mal manger ». Il se met à cuisiner avec sa mémoire, la mémoire de la cuisine de sa mère et de ses grand-mères et des plats traditionnels aux différentes étapes de leur cuisson.
« Je goûtais tout, tout le temps et je posais le même regard sur la cuisine que sur un bois ou un plastique. Vous saisissez la viande, vous faites un roux… je demandais pourquoi et mes grands-mères me répondaient, c’est comme ça. Après, à la lecture d’Hervé This, le physico-chimiste, ça été le grand bouleversement. Avec Pierre Gagnaire, ils sont toujours fidèles au poste et n’en finissent pas d’expliquer l’alchimie de la cuisine dans des démonstrations sans faille comme L’œuf de 100 ans ».
Avec Marc Brétillot, il choisit de présenter son diplôme avec simplement des objets que l’on mange, présentés sur des plaques en verre pour s’abroger de la question du support et dire qu’on peut avoir une vraie démarche de plasticien et de designer, associée avec un chef. Il travaille avec Arnaud Lallemand, fils de chef pour ouvrir de nouveaux champs au design. Il présente donc cinq plats et obtient son diplôme avec Félicitations ce qui offre à Marc Brétillot, une porte ouverte pour créer cette formation design culinaire à Reims.
Concept de bar à soupes et quenelles mobile, pouvant s’implanter de manière éphémère aussi bien en extérieur qu’en gare ou aéroport. Travail sur la transparence et l’évocation de l’ultra-fraîcheur et la saisonnalité des produits.
Le voyage à Tokyo
En 2000, il fait ses classes chez Jean-Marie Massaud. En 2005, il ouvre son studio et commence tout de suite à travailler à Tokyo sur des événements culinaires pendant la Tokyo Design Week. Quand il va à Tokyo, il reste une dizaine de jours pour mettre en place l’événement et travailler avec Mathieu Taussac, chef cuisinier, sur place.
« J’ai commencé à dessiner des objets naturellement en lien avec le culinaire, avec le végétal, avec le vivant jusqu’à développer une maison d’édition, Miloma, qui produit en 2007 des étagères potagères aujourd’hui très à la mode. Leurs copies récoltent des Design Awards partout. »
Entre 2008 et 2012, il travaille pour Veuve Clicquot et crée des menus dégustations pour éclairer les particularités des gammes millésimées de Champagne. C’est le projet qui lui permet de reprendre la parole sur le design culinaire. Il fait un peu d’événementiel pour les 90 ans de la Vache qui rit ou la BNP. Avec Giraudet, soupes et quenelles, il assure un accompagnement beaucoup plus long où il prend le rôle fondamental du designer dans l’entreprise : il reprend leur histoire, leur savoir-faire, contextualise leur zone géographique, remet à plat, et propose une image, des boutiques (trois à Paris) et une cuisine mobile et autonome pour leurs évènements intérieurs et extérieurs. À Chaumont-sur-Loire, il propose une vision pour l’avenir de la rue qui devient un jardin partagé où le vivant et la biodiversité deviennent les éléments structurels.
Cocon végétal au cœur des rues de Paris qui accueillent 35 couverts le temps d’un service. Comme une place ou un deck à la pointe du Médoc, les tables d’hôtes accueillent des instants de partage et de convivialité comme des banquets ou marchés improvisés en découvertes de produits. Un mobilier conçu sur mesure pour répondre aux enjeux d’une implantation urbaine. Dotés de volumes de terre conséquents pour un développement végétal fructueux et naturel. Le temps d’un service, les plateaux de table viennent s’y greffer pour une dégustation en immersion.
Le design au service du vivant
Aujourd’hui il coordonne et enseigne au sein du Master Design & Culinaire de L’ESAD de Reims. Un espace supplémentaire de recherche où il s’assoit autour d’une table pour partager sa passion de la matière vivante et questionner avec ses étudiants l’avenir du métier de designer face aux enjeux culturels et économiques de l’alimentation de demain. Il a fondé Germ-Studio, pour se doter d’un outil de travail plus ouvert encore à toutes les compétences invitées dans des projets de plus en plus ambitieux. « Germ, parce qu’à l’image du microbe nécessaire à tout équilibre de vie, le design c’est aussi le grain de sable dans l’engrenage qui permet de prendre du recul et d’ajuster méthodes et visions. Un nom qui a trouvé une résonnance toute particulière en cette période de pandémie où le vivant s’est imposé en venant bouleverser nos mécaniques de croissances sans vergogne. »
Germain Bourré cultive un regard indiscret sur les matériaux et savoir-faire qu’il aborde jusqu’à constituer un bestiaire formel et coloriel lui qu’il partage avec les plus grands chefs.
Selon lui, « demain nous aurons accès à des produits, d’un côté plus techniques et sophistiqués, de l’autre d’une qualité brute inégalée, pour lesquels il convient de concevoir des postes d’observation et de contemplation. »
C’est ainsi qu’il a imaginé de rendre visible ce que l’on range habituellement dans un réfrigérateur. Par le truchement de cloches tempérées, conçues pour optimiser la conservation et pour offrir des points de vue particuliers sur les produits, il créé des compositions qui, telles des natures-mortes contemporaines, se renouvellent au gré des marchés. Le garde-manger, reprend une place de premier choix dans l’espace de la cuisine, magnifiant le produit brut et naturel, avant sa transformation.
À l’échelle de la ville
Les commandes d’installations végétales à l’échelle de la ville, à l’échelle des façades où les champignons poussent en se nourrissant de carton, bois, marc de café, sont l’allégorie d’un réseau de communication ultime pour les sols. Son installation (Surfaces Comestibles) en 2017 à la Cité de la Mode et du Design en témoigne : La ville redevient fertile pour les terres avoisinantes.
« Avec le projet de Laboratoire SOLS intégré au studio, nous sommes en quête d’une intelligence économique pour mener de la recherche, notre sujet et mettre en lumière les énergies tangibles et sensibles, de la terre à l’assiette, pour choisir notre alimentation de demain ».
Surfaces Comestibles, design prospectif 2017
Hauteur : 9 mètres // Matériaux : structure acier, peinture époxy
Avec « Surfaces Comestibles », les façades ombragées et intérieurs des bâtiments accueillent un vivant micellaire pour nos assiettes tout en transformant sans transport supplémentaire, nos rebuts de carton, papier, bois, café en un substrat ultra-fertile pour les terres avoisinantes.
La ville et sa densité participent à la dynamique des sols de demain.
Grand Prix de la création
« Être Lauréat du Grand Prix de la Création de la Ville de Paris 2018, m’a notamment conforté et encouragé à poursuivre la recherche en parallèle et avec mes clients. 95% de nos clients ont trait à l’alimentation. Je viens de développer une session sur l’identité culinaire à l’Institut Paul Bocuse de Lyon et j’accompagne les agriculteurs sur des questions nouvelles par rapport à l’agriculture, comment se diversifier et comment être acteur de l’alimentation de demain.
Le projet en décembre, c’est l’épanouissement des boutiques C’Juste, marque de fruits et légumes et que nous accompagnons à 360°, du positionnement aux boutiques en passant par l’identité visuelle et les prises de parole et l’écriture du positionnement culinaire du restaurant du MOBHOUSE dont l’ouverture est prévue en début d’année. »
Une belle collaboration avec Cyril Aouizerate, l’entrepreneur philosophe défenseur du bio et du local.
L’expérience client
Au sein de La Réserve Paris, de Michel Reybier, il accompagne le chef deux étoiles Jérôme Banctel dans son positionnement, son identité culinaire et l’écriture de l’expérience client du restaurant Le Gabriel. En coordination avec l’équipe de salle et les équipes de cuisine, les réponses sont multiples : il a imaginé des « Voyages immobiles » pour un embarquement immédiat au gré des explorations culinaires du chef qui prennent racine en Bretagne.
La création d’un passeport, donné à l’entame du périple culinaire, permet de partager des anecdotes d’enfance, des histoires de plats et des découvertes de techniques de cuisson.
Les arts de la table sont dessinés ou sélectionnés avec précision pour évoquer, inviter, suggérer. La collaboration avec l’Atelier Lucile Viaud permet l’apparition d’alignements de pierres levées en verre marin Opale. Un chariot à mignardises vient clôturer l’expérience avec une apparition surprenante de « cartes postales » sucrées comme autant de souvenirs du voyage.
Chariot de Mignardises, Restaurant Le Gabriel, 2019
© GermStudio
Réalisation : Atelier Archétype
Le 21 octobre 2021, Stefan Diez était à Barcelone avec une partie de son équipe pour le lancement de sa dernière collection de luminaires pour la marque espagnole Vibia. Auprès de Pére Llonch, le CEO de Vibia, il assurait le lancement de Plusminus, « The New Era of Lighting ». Le showroom Vibia construit par Francesc Rifé Studio et aménagé par Saus Riba Llonch architectes et Carlota Portavella, reflétait cette parfaite révolution dans la manière de faire l’éclairage, la lumière, l’électricité.
En 2017, au MAKK de Cologne (Museum fur Angewandted Kunst Köln), Stefan Diez avait fait le plein des espaces de ce gigantesque musée, en remplissant de ses créations la « Full House » ou Maison Pleine. Cette rétrospective couvrait déjà les 15 dernières années de sa production avec des produits pour e15, Thonet, Hay, Wilkhahn, emu, Flötotto, Rosenthal, Sammode… mais aussi des projets pour les céramiques Arita, et les caisses en plastique pour Authentics. Une section spéciale était réservée aux projets « invisibles » qui ne sont jamais entrés en production. Mais chez Vibia, on pouvait enfin voir le résultat d’un processus de développement qui a couru sur trois ans et demi.
Plusminus pour Vibia
Trois ans et demi, c’est le temps qu’il aura fallu à Vibia et Diez Office pour mettre au point le programme Plusminus. Avec Plusminus, il explore le potentiel de l’électricité qui peut faire des illuminations étonnantes en intérieur. La grande intelligence de Plusminus est de faire courir l’électricité dans un ruban, un ruban plat au tissage savant de fils de cuivre et de fibres synthétiques, dans lequel une basse tension de 42 volts seulement circule sans danger.
Emanciper la lumière de l’architecture, tel a toujours été le souhait de Pére Llonch, le CEO de Vibia fondée en 1987 et présente dans 103 pays (en six langues). Sur les salons du Luminaire, Euroluce à Milan, Light + Building à Francfort, Vibia brille par ses installations signées par les plus grands designers. Au nouveau siège, à 15 mn du centre de Barcelone et 10 mn de l’aéroport, une galerie de portraits en témoigne : Fernando Brizio, Lievore Altherr Molina, Sebastian Herkner, Arik Levy, Note Design Studio, Antoni Arola, Ramos et Bassols… sont présents comme parrains de la marque. Le showroom de 2050 m2 côtoie une usine de 16000 m2 dans laquelle sont assemblés et expédiés les produits.
…et la lumière fut
Un « simple » métier à tisser, Sächsisches Textilforschunginstitut (STFI) celui de Karina Wirth, designer textile au sein du TPL, Textile Prototyping Lab, un consortium financé par l’état et deux instituts de recherche, a suffi pour faire courir le fil conducteur dans la sangle. En 2019, pendant Euroluce, le produit a été montré en phase de développement comme un « work in progress ». Aujourd’hui, il en reste quatre sangles et une tool box, une boîte à outils avec tous les accessoires imaginaires pour faire de cette révolution une révolution innocente, sans danger même pour les enfants.
« Il faut conduire la lumière dans l’espace pour aider les gens à aimer l’espace dans lequel ils sont, explique Pére Llonch. Ce ne sont pas de simples produits mais des produits pour des gens. Quand nous avons développé le produit, on s’est attaché à l’usage du produit. Son usage dans son aspect fonctionnel pour réaliser combien l’espace est important. On ne parle pas d’architecture de lumière mais simplement d’émotion, d’une lumière invisible. Ce que le design veut dire aujourd’hui, c’est Vibia. Ce n’est pas le produit seul mais toute son installation et la façon dont il est livré au consommateur qui importe. »
Une relation constante
Repris par Hay, « Rope Trick » tentait déjà de créer des atmosphères. La LED a atteint aujourd’hui un niveau de flexibilité et de sophistication qui en fait le couteau suisse pour la création d’ambiance lumineuse. Plusminus offre la possibilité de placer des sources lumineuses en tout point de l’espace. Et l’éclairage a pris de nouvelles formes. Il crée des atmosphères et c’est aux designers de signer les formes. C’est un produit flexible qui ne nécessite qu’un configurateur en ligne pour faire les installations les plus aériennes.
Avec la crise du Covid, les modes de travail et de fonctionnement ont été radicalement perturbés ou améliorés. Plus besoin de se rendre sur place pour surveiller la fabrication d’un objet. Les configurateurs automatiques se chargent de calculer le nombre de pièces nécessaires à la mise en place d’un tel équipement. Plusminus entre dans l’ère du produit numérique (digital en anglais) dont l’aspect physique implique l’intervention de designers et les connexions la présence de programmeurs pour une offre infinie.
Une économie circulaire
Ces dernières années, le bureau Diez s’est consacré à l’élaboration de lignes directrices pour une économie circulaire, convaincu que les designers peuvent contribuer de manière significative à la transformation du système économique mondial. Son canapé Costume pour Magis en est la démonstration. Il doit s’adapter à des conditions d’utilisation changeantes mais témoigne aussi d’une garantie de vie utile tout au long de sa durée de vie. « La conception des produits doit accepter cette réalité en privilégiant autant que possible la flexibilité et la modularité. Les produits sont fabriqués à partir de différentes pièces et matériaux qui s’usent à différentes vitesses. Il est important de comprendre cette variabilité et de concevoir autour d’elle, de sorte que tous les composants puissent être réparés ou remplacés par l’utilisateur ou des ateliers de réparation locaux. (…) Un produit circulaire peut être mis à jour. Le design doit accepter de travailler avec cette imperfection en créant des produits dans lesquels des éléments individuels peuvent être améliorés et réincorporés prolongeant leur durée de vie sur le marché. » La consommation d’énergie doit être limitée et appliquée sur toute la durée de vie du produit, de la fabrication au recyclage. Enfin, le transport ne doit pas augmenter son impact environnemental. Et, paradoxe, un produit circulaire doit être aussi peu produit que nécessaire, presque sur commande.
A bonne école
Avec une formation d’ébéniste, un diplôme de design industriel obtenu en 2002 à l’Académie de Stuttgart sous l’influence positive de Richard Sapper pour lequel il portera pendant deux ans le projet de micro-informatique « wearable computers » pour IBM puis un poste d’assistant chez Konstantin Grcic à Munich, Stefan Diez maîtrise tout. Méticulosité, intuition, expérience technique, productivité et originalité. Son passage chez tous les fabricants lui a servi à compléter et confirmer encore et toujours son intuition. He’s got the feeling, dirait-on aujourd’hui en anglais.
À partir du 11 novembre 2021, le grand public pourra voir dans les espaces vacants du Palais de Preysing, derrière la Feldherrenhalle sur l’Odeonsplatz, entre l’Opéra et le 5-Höfe, l’une des places les plus animées de Munich, les projets de Diez Office dans l’expérimentation du « 4e mur ». Des amis artistes, designers, photographes sont incités par la Société immobilière munichoise Cocon GmbH à s’exprimer derrière ce mur imaginaire comme s’ils n’étaient pas vus. Fin novembre Plusminus sera mis sur le marché en même temps que sera mis en route le configurateur, flexible, fluide, d’un usage intuitif. Une expérience à voir et une bonne raison de revoir Munich.
À la Carpenters Workshop Gallery, rue de la Verrerie à Paris, l’exposition de « Tiss-Tiss, Flexible Rigidity » est visible jusqu’au 15 octobre 2021. Les créations de A+A Cooren se confrontent aux créations textiles de Simone Prouvé, la fille de Jean Prouvé, dans un dialogue sensible et évident qui replace le travail de la main au cœur de leurs préoccupations. Au Mobilier national, ils profitaient pendant la Paris Design Week d’une première mise en visibilité hors pair de leurs fauteuils et canapé « Dans un nuage de Pixels », habillés par une création textile numérique de Miguel Chevalier. Retour sur un duo de designers qui, depuis la création de leur studio, en 1999, ont travaillé sur des projets d’aménagement d’intérieur, de produits, de design de meubles ainsi que de scénographies pour Shiseido, Artemide, ClassiCon, L’Oréal, Cartier, mais aussi la Manufacture Nationale de Sèvres, Yamagiwa, Saint Louis, Boffi Bains, Vertigo Bird, Noma…
Aki et Arnaud Cooren, identifiés sous le studio A+A Cooren, se sont rencontrés à l’Ecole Camondo. Elle, japonaise, est née à Paris, a grandi à Tokyo, un peu aux États-Unis et est venue étudier à Paris où elle a rencontré Arnaud. Lui, a fui la France après sa seconde pour faire ses humanités artistiques à Saint-Luc, La Cambre et finalement intégrer Camondo, à l’époque la seule école qui offrait un double cursus : « À La Cambre, on faisait beaucoup d’atelier, beaucoup de peintures, des grands formats, des anamorphoses par rapport à l’espace et l’atelier auquel je participais avait pour dénomination « Espaces urbains et ruraux lumière couleur ». Les gens réfléchissaient sur notre environnement, l’espace, la lumière et tout ce qui était de l’ordre du sensible. Cela a éveillé ma curiosité sur l’espace, plein d’autres choses et j’ai eu envie de travailler sur l’objet et sur ce qu’un objet voulait dire ou ne voulait pas dire. »
Rencontre… du textile et du métal
Quand ils se rencontrent avec Aki, ils détiennent déjà un fond commun et peuvent dialoguer : Aki, formée à l’intensité et Arnaud avec un background de réflexion sur le sujet, le contexte et le sens. Ensemble, ils voient les choses et avancent. « Nous avons grandi tous les deux dans des familles créatives, explique Aki. Mon père a créé un textile au Japon, il a appris à tisser, à faire des teintures sur soie. Il est devenu avec ma mère un créateur de bijoux en argent, dans un principe de fabrication à cire perdue. Il fabrique des modèles de tout, à la main, avec une facilité déconcertante. Il maîtrise l’Art nouveau. Il sait faire du Guimard à la main, de tête. Mais aussi des créations contemporaines… Avec lui, un jouet n’était jamais cassé, il le réparait dans la foulée. Ma mère tissait. Elle avait importé un métier à tisser de Scandinavie au Japon au début des années 70. C’était extrêmement rare. Et ma grand-mère qui était d’une grande famille avait des kimonos pour toute sa vie avec les motifs réservés à certains âges, hyper codifiés. J’ai grandi avec ce code textile autour de moi et l’odeur du métal…C’est toute mon enfance. »
Le textile et le métal, font partie de leur univers depuis toujours. Depuis 1999, date de création de leur studio, ils réfléchissent sur ce même sujet, la combinaison du textile et du métal.
« Nous, ce qu’on aime, c’est cette espèce de flexibilité et de fragilité du tissu. Il peut être super souple mais également super dur, régulier et en même temps irrégulier. C’est le côté main-humain du tissu qu’on adore. Il y a toute une instantanéité que l’on voyait en faisant le travail qu’on essaie de retransmettre quand on fait les lampes Ishigaki par exemple. Les lampes sont grandes, mais en même temps, elles tiennent. Il y a un jeu technique, un jeu poétique et on essaie de faire en sorte que l’un ne domine pas l’autre. »
En complémentarité
Ils capturent le moment où le tissu se pose et où les détails de qualité certifient le travail de la main. Ce sont des choix d’instantanés qu’il faut prendre tels qu’ils viennent. Pour eux, les accidents sont des atouts. Quand les gens en fonderie expliquent comment l’accident est arrivé et comment il aurait pu être évité, la coordination est superbe et tous les gens de la chaîne de fabrication sont heureux de livrer un tel produit. « La table Tiss-Tiss fait 2,80m mais elle se porte à deux. Elle est en aluminium avec des reliefs de textile. Pour l’atelier de la Carpenters Workshop Gallery, l’assemblage était léger et rapide. Tous les modules ont voyagé à plat. Et cela se voit sur la vidéo du montage. »
Ils se revendiquent tous les deux, chacun de leur planète, gravitant l’un autour de l’autre avec leur qualité et leur force, homme et femme associés, chacun avec son éducation. « L’éducation à la française t’aide beaucoup plus à développer ton idée. Au Japon, tu ne dois pas sortir du schéma. Tu apprends tout par cœur et sans comprendre ce que tu apprends. À deux, on ne voit pas de la même manière. Cela laisse le champs libre à l’imaginaire de l’autre et nos produits sont comme des jouets pour adultes. Quand on veut que nos objets aillent dehors… on met au point des vernis qui font qu’ils puissent aller dehors. On les teste nous-mêmes, on vérifie tout. Cet hiver, on a laissé nos meubles dehors pour constater les variations, pour les fragiliser, les cramer, les brûler… ça a l’air fragile mais ça ne l’est pas du tout. C’est à l’épreuve de la vie. »
La création numérique
Ils ont fait le grand écart au Mobilier national avec Miguel Chevalier, qui travaille sur le numérique, et Simone Prouvé qui travaille à la main de façon intuitive depuis très longtemps. Ils se sont rendu compte de leur proximité avec Simone Prouvé quand ils ont vu son approche de la photo. Ils photographient les mêmes accumulations comme des enfants que l’on laisse jouer avec un appareil photo. « La beauté est tout autour de nous. Ce qu’on veut montrer aux gens, c’est que si tu changes de point de vue, la beauté est là. Mais s’exprimer dans un milieu qui relève de l’industrie au moment où l’industrie meurt, c’est compliqué. A l’atelier de la Carpenters Workshop Gallery, les artisans étaient très attentifs à ce que je voulais et moi, je ne savais pas ce qu’ils pouvaient. Leur champ des possibles était tellement large. Pareil avec le Mobilier national. C’est finalement tombé au même moment mais il nous a fallu six ans pour développer l’ensemble numérique, un ensemble complet développé entre artistes et designers et artisans d’art de la Savonnerie ou de l’ARC. Miguel avait des dessins, on en a discuté, on a proposé un ensemble sur lequel ses dessins pourraient s’appliquer. On a travaillé le mobilier, on a parlé confort, redessiné les assises. Il y a eu plein d’aller et retour dans tous les sens. Ce qui fait qu’on arrive à quelque chose qui a du sens. On y est bien assis. Il n’y a qu’un set et toute la question est : est-ce que des éditeurs français vont se sentir capable d’éditer cette pièce ? Avant même de fabriquer, au Mobilier national, ils pensent à la restauration. Donc, là c’est tout simple, l’habillage tissu est déhoussable, se lave et se repositionne. (Cela peut paraître compliqué à comprendre). Dans les deux cas, on a essayé de faire des choses pérennes. »
Le Prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main remporté en 2017 dans la catégorie Dialogues avec le fondeur David de Gourcuff, leur a permis de donner une visibilité à leur projet Tiss-Tiss. Une conjonction d’étoiles positives dans un pays où le droit d’auteur est fortement protégé et où le designer trouve une place quoi qu’il fasse, en tant que créateur ou chef d’entreprise. « Depuis 20 ans nous avons réussi à vivre/survivre de notre profession » et c’est un exemple pour les jeunes générations.
En juin 2021, Samuel Accoceberry exposait au sein de Maison Molière, à Paris, ses graphismes, version tapis ou version dessins, à saisir sous l’œil averti de Karine Scherrer de la galerie The Art Design Lab. Depuis trois ans, il fait partie de tous les Top 100, Top 50 ou même Top 20. La pandémie ne l’a pas empêché de travailler, d’éditer et de finaliser des projets qu’il avait « en attente », mais aussi d’initier de nouvelles collaborations. Depuis son studio du 13e arrondissement ou depuis Biarritz, il peaufine ses produits avec passion et avec un engagement de tous les instants. Verre, bois, métal, textile n’ont pas de secret pour lui.
Il est né à Bordeaux, a étudié le design à La Souterraine et a décroché son diplôme de designer à l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts de Nancy. En 2008, il présente un projet d’étagère « souple » avec le VIA et se fait remarquer, après quelques années de collaboration dans des studios milanais et parisiens : Arik Levy, Antonio Citterio ou Rodolfo Dordoni. En 2010, il crée son propre studio et commence alors à collaborer avec différentes marques telles que Alki, Aéroports de Paris, Staub… puis son carnet d’adresses s’étoffe peu à peu : Bosc, Flexform, La Boite Concept, Widatic en passant par Laudescher.
Les tissages Moutet : « de la collection à l’identité »
Juste avant l’été, il vient de lancer une collection de linge de table avec les tissages Moutet : « Ça faisait un petit moment que j’avais identifié la qualité de leur travail à travers des produits découverts à Biarritz. Ainhoa, Arcachon, Biarritz, c’est mon triangle d’or avec Paris. Les tissages Moutet fabriquent à Orthez et distribuent sur la côte, dans les musées nationaux et internationaux. Ils font aussi de nombreuses collaborations avec des restaurateurs tel que Michel et Sébastien Bras, père et fils, à la Halle aux grains à Paris au sein de la Bourse de Commerce, pour qui ils réalisent les tabliers, les torchons et les liteaux. Je suis allé les rencontrer il y a un peu plus d’un an et je suis arrivé au bon moment puisqu’ils étaient en train de travailler sur le label IG, identité géographique. Il existait une belle affinité entre mon attache au pays basque et le savoir-faire historique de Moutet (une entreprise centenaire) en terme de linge basque. Catherine Moutet et son fils Benjamin m’ont donc laissé carte blanche pour réinterpréter le linge basque dans ses codes, sans les transgresser. La collection ETXE (« la maison »), décline nappes, torchons, serviettes… dans des couleurs identitaires du pays basque mais pas seulement. » Elle est en vente sur le site internet et va suivre dans toutes les boutiques qui distribuent Moutet.
Dans la suite immédiate, il a été missionné à la refonte de l’identité de la marque, son aspect graphique, son logo, à la façon de présenter le produit, de le distinguer des autres éditeurs basques. Comment faire la distinction entre du Moutet, du Jean Vier, du Lartigue ou de l’Artiga.
« Une nappe basque fait toujours son effet. Les produits sont vendus dans des magasins très choisis. Ils n’ont cependant pas de magasins en propre. On trouve des textiles Moutet presque plus facilement en Allemagne, en Angleterre, aux USA qu’à Paris. Or les textiles Moutet, c’est une histoire de famille. Benjamin Moutet est de la cinquième génération d’une famille de commerçants qui vendait des produits de la région. En rachetant un atelier de fabrication, ils ont lancé leur propre marque Moutet qui a vraiment explosé pendant la période après-guerre et a suivi l’histoire du textile avec une légère perte de position avec l’arrivée des produits en fibre synthétique venant d’Asie. Une collaboration avec Hilton Mc Connico dans les années 90 initiée par Catherine Moutet avait permis de relancer la marque. Benjamin Moutet, qui a fait des études de commerce a décidé de reprendre la maison, il y a 4 ans, avec sa mère. Ils ont consolidé la marque en initiant de nombreux projets dont l’IG faisait partie, mais aussi l’initiative de la création d’une filière du lin en Béarn. Il a lancé cette IG qui certifie une fabrication française à Orthez. Lartigue qui a son siège à Ascain fait fabriquer à Oloron-Sainte-Marie. Moutet et Lartigue sont montés au créneau pour avoir l’IG. La matière, première qui est le coton, est acheté brut, et teint pas loin de Pau, à Nay, localement, et ensuite tissé par les machines de Moutet pour un made in local basco-béarnais. Benjamin Moutet a initié un projet de redéveloppement de lin local, pour une partie de la production des tissus, dans le but de renforcer l’approche vernaculaire de la marque. »
Mobilier urbain et mobilier vertueux
Le projet de mobilier urbain a été piloté par le syndicat des mobilités Pays Basque Adour, un regroupement de communautés de communes sur Biarritz, Anglet, Bayonne, Tarnos. Il s’agissait de développer un abri voyageur sur les arrêts emblématiques de chaque commune (mairies) de la nouvelle ligne de Tram’Bus, en complément du mobilier JCDecaux déjà disposé. Un projet installé partiellement à ce jour, proche de la mairie de Bayonne, de Biarritz et d’Anglet.
La collaboration avec Kataba date de 2018 mais les produits ont été lancés il y a un an et demi. « C’est une petite maison d’édition dont le propos est de faire du mobilier vertueux en réduisant fortement l’impact carbone ou en recyclant ce qui est possible. Les entreprises qui ont des bureaux à La Défense achètent, consomment du neuf mais certaines au bout de deux, trois ans, décident de déménager, bennent alors tout et se réinstallent ailleurs avec un nouveau mobilier. VALDELIA, organisme avec lequel nous collaborons étroitement, récupère beaucoup de choses et c’est alors qu’avec Kataba nous donnons un nouveau cycle de vie à ces meubles usagés ou à ces matériaux. » L’éditeur Kataba (du nom de la petite scie japonaise souple qui permet de faire les finitions), lancée par Luc Monvoisin, fait réaliser les structures en chêne massif en Touraine dans un petit atelier et tout ce qui est plateau est alors récupéré, rhabillé, ou reteinté, avec de nouvelles finitions pour repartir comme s’ils étaient neufs. Une initiative verte par le porte-monnaie car cela permet à certaines entreprises de défiscaliser une partie de ces équipements.
Actuellement, cela est peut-être lié à la période post-Covid, mais Samuel a développé plus de projets de design industriel que de mobilier. Le secteur de l’hôtellerie et de la restauration étant restée totalement à l’arrêt pendant plusieurs mois, la rénovation est allée bon train. Son mobilier équipe un hôtel à Biarritz. Mobilier urbain, des produits pour des startups dans le milieu du digital, il développe actuellement un dispositif avec un chercheur en acoustique qui est incubé au CEA du plateau de Saclay, ou une solution de pointe avec une start-up qui œuvre dans le secteur du laser de pointe. A la limite du design, de l’art, de l’innovation et de l’artisanat, Samuel prend plaisir à produire différentes typologies d’objets vendus aux quatre coins du monde. Des collaborations à travers lesquelles il privilégie toujours le rapport humain, la curiosité et l’échange.