Luca Nichetto, designer tout-terrain

Luca Nichetto, designer tout-terrain

Tranquillement installé derrière son bureau à Stockholm, (dans sa Villa Rose), simplement vêtu d’un pull rouge et blanc, Luca Nichetto donne une impression de douceur, de chaleur et de tranquillité. Quand on le rencontre en personne, on est frappé par sa taille et son aisance à se mouvoir dans des univers qui ne sont pas forcément adaptés à son gabarit. C’est un géant du design, et le monde du design se l’arrache.


Bernhardt Design, lounger Jackson, design Luca Nichetto

L’esprit Luca Nichetto est un savant mélange d’ingrédients de couleurs et de goûts, longtemps et savamment testés comme le sont les Spritz, ces apéritifs vénitiens qui s’adaptent très bien aux grands froids de la Suède. Le Nichetto Spritz a besoin dans sa version très spéciale de très bons ingrédients : une bouteille de Cava, un vin fou, une bouteille d’Aperol, de l’eau pétillante, des oranges et des glaçons. Pour les proportions, cela reste un peu flou. Mais les résultats sont pleins de conforts, de couleurs et de bon goût.

Un Vénitien de souche

On ne peut pas parler de Luca Nichetto sans évoquer sa famille. Né à Venise en 1976, il est toujours fier de faire visiter la pharmacie du Musée du verre de Murano et de pointer le blason accordé à sa famille par la Sérénissime pour leur travail du verre en tant que spécialiste. La fabrication du verre a longtemps été un secret, et la simple visite d’un atelier de soufflage permet de réaliser la grande qualité et coordination des ouvriers pour aboutir à des formes et des coloris indescriptibles qui nécessitent autant en puissance dans le souffle qu’une connaissance pointue des teintures et autres poudres de couleurs. Enfant, on aime l’imaginer courant partout, d’un point A à un point B de la ville, pour aider son père ou sa mère à la confection des verreries de Noël.

En 2017, sur le off du Salon du meuble de Milan, il avait apposé le blason sur une chaise-fauteuil Canal dessiné pour Moooi, le fabricant hollandais, avec différents types de tissus et sur différentes formes de pieds à la Eames. Via Savona, dans un espace régulièrement loué par la marque, il faisait face à la projection d’un bison à la marche forcée mais calme, allégorie à la disparition de certaines espèces rares.

Moooi, chaise-fauteuil Canal avec blason de la famille Nichetto

Manier le froid et le chaud

Après des études d’Art et un diplôme de design industriel obtenu à l’Institut Universitaire d’Architecture de Venise, il dessine ses premières formes en verre de Murano en 1999 pour la Maison Salviati et une série de projets pour l’éditeur Foscarini. Mais l’île ne lui suffit pas, un appétit insatiable de découverte du monde l’entraîne au-delà des frontières et pour s’assurer la capacité de voyager, il fonde son agence en 2006 à Venise, puis cinq ans plus tard à Stockholm. Ces deux géolocalisations lui permettent aujourd’hui de jouer des effets de froid et de chaud et de tempérer sa culture latine. Il injecte du fun et du flamboyant dans un paysage d’objets produits pour une liste surprenantes de fabricants italiens et internationaux. Arflex, Cassina, De Padova, Ethimo, Established&Sons, Foscarini, Gandia Blasco, Ginori 1735, La Chance, Molteni&C, Offecct, Venini, &Tradition, Lodes, Rubelli, Hermès… ou l’éditeur chinois Zao Zuo.

Offect, sofa Linea, design Luca Nichetto

Design et industrie

Sa définition du design reste liée à la production en série car le travail du designer est dédié à l’industrie. Comme le disait Vico Magistretti, l’entreprise est la mère, le designer est le père, et l’identité propre s’atteint par un nombre infini d’échanges entre les exigences de l’usine et la conception et la créativité du designer. Si l’art ne connait aucune limite, le design en connaît beaucoup. Plus les contraintes sont fortes, meilleure est la réponse. Directeur artistique de l’éditeur chinois Zao Zuo en 2015, il a signé les boutiques physiques du label qui en compte aujourd’hui quatre, à Pékin, Shanghai, et d’autres villes chinoises. Le succès du design en Chine est un succès de masse. Il touche ainsi le mainstream, des populations qui ne lui étaient pas accessibles via des marques plus haut de gamme comme Wittmann, Offecct ou Bernhardt Design. Il a attaqué l’Empire du Milieu avec la même énergie qu’un Pierre Paulin ou Achille Castiglioni en Europe en embarquant dans son aventure Constance Guisset, Noé Duchaufour-Lawrance, Richard Hutton ou Philippe Malouin.

Luca Nichetto assure la direction artistique de Zao Zuo et a signé les boutiques physiques

L’option de La Manufacture

En France, avec La Manufacture, la maison d’édition de Robert Acouri, il a retrouvé cette possibilité de développer une large gamme de produits qui vont de l’objet au vêtement. Donner forme à des projets est ce qui compte le plus pour lui, du mobilier à l’architecture en passant par la scénographie d’expositions. Les prochains salons sur lesquels on risque de le revoir sont Milan, le plus grand salon en matière de créativité, ou les Biennales comme celle de Venise qui draine une population haut de gamme d’aficionados du design.

La Manufacture, sofa Liaison, design Luca Nichetto
La Manufacture, Shirt Block C, design Luca Nichetto

Difficile de trouver un territoire sur lequel il ne s’est pas exprimé. Toujours à surprendre, à l’image des formes originales de la collection Paradise Bird pour Wittman (retrouvez le bureau dans la sélection de la rédaction Les Intemporels 2021-2022). À venir en 2022, une cuisine-salle de bains pour Scavolini, des fauteuils pour Arflex, des chaises de conférence pour Bernhardt Design… Il boucle une proposition de coque de pianos Steinway&Sons en édition limitée, tout en respectant l’intérieur de la « boîte ». Pas de son révolutionnaire, on respecte le clavier et ses touches en feutre. Une nouvelle lampe doit sortir chez Barovier & Toso. Il signe une gamme de parfums d’intérieur pour Ginori 1735 et une extension de marque d’accessoires via la Home collection. Une table est en préparation pour Offecct, une chaise longue pour Swedese, une lampe pour &Tradition.

Wittman, sofa de la collection Paradise Bird

À la tête d’un studio de 8 personnes, il vient de gérer avec succès le déménagement de ses bureaux suédois passant de Hägersten à Stockholm à une jolie maison rose où les visiteurs pourront venir tester en vrai la qualité du confort de ses produits. L’hospitalité, est peut-être le mot qui lui vient le plus souvent à la bouche. Il ne voit pas ses ‘collègues’ comme des concurrents mais utilise le design comme un outil de rapprochement. Pour la Manufacture, il n’a pas hésité à convier certains à la construction de la collection dans les règles les plus strictes du développement durable et de la production locale. Il ne se prend pas pour un grand. Son honnêteté intellectuelle est à louer. Canapé, chaise, tabourets, luminaires, vases, textile… peu de typologies n’ont éprouvé sa créativité. S’il est une marque qui le ferait rêver d’une collaboration, peut-être citerait-il Opinel.

Visiter son site

Rédigé par 
Bénédicte Duhalde

Vous aimerez aussi

Temps de lecture
21/11/2024
À la Tools Galerie, Döppel Studio mets la lumière sur l’amphore avec « Néophore »

Jusqu’au 11 janvier, Döppel Studio présente à la Tools Galerie son exposition de 12 pièces uniques intitulée « Néophore ». Un projet qui croise les matières et surtout les usages avec un seul objectif : faire entrer la lumière.

Créer des objets lumineux à partir d’objets d’atmosphère, d’était un peu l’idée directrice de « Néophore ». Un projet carte blanche mené par Lionel Dinis Salazar et Jonathan Omar qui forment Döppel Studio depuis 2016. « On a fait beaucoup de collaborations avec des marques et on voulait repasser sur de la pièce unique avec une galerie. On a très vite pensé à Tools pour son esprit avant-gardiste et les prises de risques qu’elle avait pu prendre sur certaines collections. Nous avons rencontré le directeur Loïc Bigot il y a un an et demi avec qui il y a eu un réel échange d’idées tout au long du projet » raconte le duo.

Un symbole : l’amphore

L’idée de partir de la symbolique de l’amphore, ce vase antique le plus souvent utilisé comme contenant, est venu assez instinctivement. Le duo avait en effet eu l’occasion de travailler sur le thème de l’amphore lors de sa participation au concours de la Villa Noailles en 2016. Pour cette exposition, l’objectif de cette collection était cette fois-ci de lui faire prendre une toute autre fonction. « On a voulu retravailler la valeur d’usage de l’amphore en lui retirant cette faculté de contenant pour apporter de l’immatériel avec la lumière. On a confronté l’artefact de ce vase avec un objet plus technique, qui est ici le néon flex. » Pour réaliser les pièces, le duo s’est accompagné de la céramiste tourneuse Aliénor Martineau de l’atelier Alma Mater, situé à la Rochelle. Une première pour le duo, qui a dû sortir de l’aspect industriel pour se tourner vers l’artisanat et accepter l’aléatoire. Toutes les pièces sont par ailleurs recouvertes d’un émail avec nucléation, dont la composition permet d'obtenir des effets complexes qui laissent une part d’imprévu et rendent ainsi chaque pièce unique.

Exposition "Néophore" par Döppel Studio à la Tools Galerie © Ophélie Maurus

3 dessins, 12 possibilités

L’exposition « Néophore » présente ainsi douze pièces, sur une base de trois dessins qui ont ensuite été déclinés en fonction du passage du néon dans le vase. « On a volontairement pensé à des formes simples et archétypales, car on savait que la complexité, on l’amènerait avec le tressage et le néon. » Une technique minutieuse, puisque chaque vase est entouré ou enroulé de 2 à 3 mètres de néon, tressés par le duo lui-même. Une exposition qui ne manquera pas de retenir l’attention, à l’heure où les journées se raccourcissent et la lumière naturelle se fait de plus en plus rare…

Exposition "Néophore" par Döppel Studio à la Tools Galerie © Ophélie Maurus
Temps de lecture
18/11/2024
Meljac au salon Interior Exterior & Design Meetings !

Organisé à Cannes du 19 au 21 novembre, le salon Exterior & Design Meetings prend ses quartiers au Palais des Congrès. Un salon axé sur l’échange entre professionnels, pour présenter une large gamme de matériaux, d’objets et de mobilier pour les projets de luxe et haut de gamme. Parmi eux, le fabricant français d’appareillages électriques haut de gamme Meljac.

Sur le stand D18 du salon, la marque française Meljac, spécialisée dans la conception d’interrupteurs haut de gamme présentera une large gamme d’interrupteurs, prises de courant, liseuses. En effet, les visiteurs pourront découvrir les diverses gammes standards mais également quelques exemples de réalisations sur-mesure, qui sont un des incontestables atout de la marque.

Allier savoir-faire, qualité et personnalisation

Meljac c’est surtout des pièces qui mettent en avant la noblesse du laiton, proposé sous divers formats et combinaisons possibles de mécanismes. La marque présentera également à ses visiteurs tous les offres en termes d’habillages, qu’il s’agisse de thermostats, de systèmes domotiques, de commandes de climatisation, de stores, de son… Des pièces proposées avec 29 finitions, issues d’un traitement de surface effectué en interne, gage du savoir-faire minutieux de la marque, permettant de fait de pouvoir proposer des Nickels, des Chromes, des Canon de Fusil, des Bronzes ou encore de la dorure.

En parallèle, la marque propose une offre de personnalisation qui fait sa force. En effet, qu’il s’agisse de gravures, de résines, de leds, rétroéclairage… Meljac offre de nombreuses options avec plusieurs designs et finitions de leviers ou de boutons-poussoirs, que les visiteurs auront l’occasion de découvrir sur le stand.

Temps de lecture
19/11/2024
Unheimlichkeit, « l'inquiétante étrangeté » d'Edgar Jayet

Le designer Edgar Jayet propose Unheimlichkeit, une nouvelle collection plus complète que ses précédentes et pensée comme un hommage au siècle des Lumières.

Voici une collection aux origines aussi diverses qu'à l'inspiration hors du temps. Hommage aux métiers d'art du XVIIIe siècle ainsi qu'au tissage vénitien, Unheimlichkeit est une collection contemporaine construite sur l'héritage du passé. Une dualité porteuse d'un concept et « d'un supplément d'âme » évoqué dans le nom même de la collection : Unheimlichkeit. Un mot concept inventé par Freud et traduit il y a plus de trois siècles par la reine Marie Bonaparte comme une « inquiétante étrangeté ». Une évocation aussi floue que intrigante réhabilitée par le designer, Edgar Jayet, dans cet ensemble de sept modules.

©Stéphane Ruchaud

Une association de techniques et de connaissances

Derrière son nom allemand, Unheimlichkeit est le fruit d'une rencontre transalpine. Inspiré par l'Hôtel Nissim de Camondo et sa vaste collection de pièces du XVIIIe siècle, Edgar Jayet avait depuis quelque temps l'idée de conjuguer son goût pour le mobilier d'antan et la création contemporaine. Une envie « de prolonger l'histoire » concrétisée en 2022 lorsqu'il rencontre à Venise où il séjourne fréquemment, la designer textile Chiarastella Cattana. Débute alors une collaboration faite de savoir-faire croisés où le travail de l'ébénisterie historique rencontre celui du tissage. Un projet nouveau pour le designer qui mêle ainsi « la structure d'un meuble typiquement français du XVIIIe siècle réalisée avec des pièces en fuseau (modules de forme pyramidale) reliées entre elles par des dès d'assemblages (petits cubes situés aux intersections du meuble), et un travail de passementerie issu d'un tissage italien originellement utilisé pour les lits de camp et nommé branda. » Une association esthétique mais également technique. « Avec la réutilisation de cette structure constituée de modules développés au XVIIIe siècle, nous pouvons facilement ajuster nos pièces en fonction des besoins de nos clients. » Un atout renforcé par l'absence de contrainte structurelle de l'assise, uniquement maintenue par deux cordons de passementerie. Une finesse grâce à laquelle « la toile semble flotter sur le cadre comme par magie, dégageant ainsi cette notion d'inquiétante étrangeté » résume le créateur.

©Stéphane Ruchaud

Travailler le présent pour ne pas oublier le passé

« Concevoir des collections contemporaines en y incorporant les techniques du passé est presque un exercice de style auquel je m'astreins pour faire perdurer ces savoir-faire, explique Edgar Jayet. C'est la raison pour laquelle on retrouve la passementerie dans plusieurs de mes créations. » Convaincu par l'importance de rassembler les époques, le designer précise avant tout travailler l'épure de chaque projet. « Unheimlichkeit montre qu'il est possible de faire du contemporain avec les techniques anciennes. Mais cela passe par la nécessaire obligation de faire fit de l'ornementation car c'est elle qui vieillit dans un projet, pas la structure. Ce décor servait autrefois à transmettre des messages ou des idées. Au XIXe siècle son utilisation surabondante et en toute direction menant à l'éclectisme signe véritablement sa fin et conduit progressivement vers le XXe siècle et sa maxime : form follows function. » Une lignée dans laquelle le designer s'inscrit. « A l'agence, nous essayons de récupérer l'essence même du mobilier en le dégageant au maximum de l'ornementation contextuelle et souvent anachronique. De cette façon, nous pouvons restituer des pièces de notre temps, mais semblant malgré tout flotter entre les époques. » Une démarche engagée dans les dernières collections d'Edgar Jayet où se retrouvent des typologies de meubles aujourd'hui disparues. On note par exemple le paravent d'un mètre de haut présenté à la galerie Sofia Zevi à Milan en 2023, mais également le siège d'angle. « Finalement, je crois que la permanence du style passe par le travail de la main. C'est elle qui apporte le supplément d'âme, le Unheimlichkeit théorisé par Freud, mais c'est également par son biais que les techniques refont vivre les époques passées » conclut-il.

©Stéphane Ruchaud
Temps de lecture
18/11/2024
Bellhop glass, la réinterprétation de Barber Osgerby pour Flos

Le duo britannique Barber Osgerby réinterprète la lampe Bellhop de Flos dans une version suspendue et une autre à poser.

Imaginée en 2016 pour le restaurant Parabola et la Members room du Design Museum de Londres, la Bellhop a depuis été repensé à quatre reprises. Cette année, c'est au tour du duo de designers Barber Osgerby de proposer une nouvelle approche de ce classique de la maison italienne Flos. Dessinée originellement en aluminium puis déclinée en polycarbonate, la Bellhop s'offre une nouvelle enveloppe en verre soufflé. Une approche différente en termes de matériaux mais également une diversification avec l'apparition d'une suspension en complément d'une version à poser présentée lors du Fuorisalone 2024.

©Flos



Le fonctionnel réinventé

« Lorsque nous travaillons avec Flos, notre point de départ n'est jamais la forme, mais la qualité de la lumière, explique Jay Osgerby. Dans le cas présent, nous souhaitions une lumière d'ambiance chaude et accueillante, homogène et douce, capable d'éclairer un volume spacieux sans générer de forts contrastes. » Un enjeu qui a amené le duo à se tourner vers l'utilisation d'un verre opalin triplex. Un matériau nouveau, mis au point avec l'équipe R&D de la marque, constitué de deux couches de verre transparent intercalées d'une autre en verre blanc. Néanmoins désireux de proposer une lampe tout aussi adaptée au moment d'intimité qu'au travail, les designers ont allié à la diffusion du globe de suspension, un faisceau plus direct orienté vers le bas. Une source émanant de la même ampoule, mais entourée en partie basse d'une bague en aluminium de sorte à diriger le fuseau pour éviter l'aveuglement.

©Flos

Adaptée pour les vastes espaces comme les plus étroits, la suspension Bellhop glass est proposée en trois dimensions (18, 33 et 45 cm de diamètre et uniquement 33cm pour celle à poser). Disponible dans les coloris Cioko, White et Aluminium Brill, les éléments en aluminium apportent au verre une touche de brillance issue des différents bains de fixation préalables. À noter enfin, la présence très visuelle du câble, voulu comme un « apport  chorégraphique et source de mouvement. Il s'agit presque d'une représentation visuelle du flux d'électricité » conclut Edward Barber à propos de cette ultime réinterprétation d'une silhouette toute en rondeur, devenue familière.

©Flos
Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir chaque semaine l’actualité du design.