Designer du mois
Tout a démarré avec la construction d’une maison à Alger, puis d’un hôtel à Paris, dont il conçoit le mobilier. Viendront par la suite la signature de flagships pour de grandes maisons comme Baccarat et la réinvention des concepts magasins et de leurs parcours clients aussi bien pour Sephora que pour Lancôme, physiques comme digitaux. Ainsi, depuis 1987, Chafik Gasmi s’est construit à l’international un parcours dense et extrêmement varié, entre design, architecture et architecture d’intérieur. Avec un engagement de son studio clairement affiché depuis 2005 : allier luxe et écologie.
Chafik Gasmi est le designer invité du dernier numéro d’Intramuros : en complément de l’interview vidéo ci-dessous, retrouvez ses interventions tout au long du magazine #208 et découvrez sa cabane écologique en réalité augmentée.
Au cœur de la Bourse de Commerce-Pinault collection, Michel et Sébastien Bras viennent d’inaugurer La Halle aux grains, leur premier restaurant parisien. Pour ce lieu extraordinaire, ils ont confié à Elise Fouin la signature des arts de la table. Dans une totale osmose avec la thématique de l’offre culinaire développée autour de la graine, la designeuse a développé la collection Sillon, des assiettes, bols, tasses qui relient la terre à la terre et font du moment du repas une expérience unique. Un projet qui voit son aboutissement au bout de trois ans, effets collatéraux de la crise sanitaire inclus.
Une question de curiosité
« Je dis souvent que je suis arrivée à ce métier par tâtonnements. Je n’ai pas tout de suite su que je deviendrai designeuse. C’est un cheminement progressif. J’avais des activités artistiques, je faisais du piano, de la peinture… C’est à mon arrivée à l’Ecole Boulle, après mon diplôme des métiers d’art, que je me suis intéressée à la création et au métier de designer. Je viens d’une famille paysanne puisque mon père est agriculteur, mes grands-parents paternels et maternels l’étaient aussi. Au moment de mon orientation, je savais que je voulais faire quelque chose dans le domaine des arts, au départ plus les Beaux-Arts que l’Ecole Boulle, mais lors des portes-ouvertes des écoles parisiennes, j’ai trouvé que cet aspect créatif était pour moi.
Ce qui m’a attiré dans le design, c’est son domaine pluridisciplinaire, qu’il puisse intervenir dans plein de champs. Je m’ennuie à faire toujours la même chose et le design, c’est ce qui m’a permis de satisfaire ma curiosité. »
Il y a 20 ans…
« Il y a 20 ans quand j’étais à l’école, j’avais une démarche assez expérimentale, puisque je venais des métiers d’art. Je ne faisais pas que dessiner, je touchais beaucoup plus la matière et cette démarche était plus développée dans les pays nordiques et dans les écoles comme celle d’Eindhoven. Je suis d’une génération qui regardait Hella Jongerius, son rapport à la couleur, la façon dont elle gérait l’imperfection des objets qu’on essaie de gommer d’habitude. J’étais assez admirative de cette démarche très différente de celle de la France où on avait plus l’habitude d’un objet très lisse, très fini, très parfait. J’avais à cette époque, il y a 20 ans des références comme Droog design, des références scandinaves et Achille Castiglioni pour ce trait d’humour qu’il apportait toujours dans ses produits. »
Un mentor ?
«J’ai fait mon stage de fin d’études chez Andrée Putman, et c’était une vraie rencontre. Quand on vient d’un village de 250 habitants, qu’on fait une école parisienne et son premier stage chez Andrée Putman, on se dit qu’on a fait un certain chemin. Je suis arrivée chez elle avec un regard assez naïf, c’est son directeur Elliott Barnes qui m’a recrutée. C’est un Américain et il est bien plus transversal que pourraient l’être les Français. Venant de l’Ecole Boulle et des métiers d’art, une école davantage perçue comme traditionnelle que dans l’innovation, j’avais devant moi quand je me confrontais aux agences de design, des gens qui voyaient en moi plutôt un artisan qu’un designer. La première fois qu’il m’a rencontrée, il a regardé mon book et il m’a dit : « ça va mettre du temps mais la démarche que tu as est hyper intéressante, on va revenir à tout ce qui est savoir-faire… ne perds pas de vue ce qui fait ta différence. » J’étais assez bluffée, c’était la première fois que quelqu’un me disait ça et c’est comme ça que ça a commencé, on ne s’est jamais perdu de vue et on se côtoie encore aujourd’hui. »
Femme designer
« Pour une femme, la problématique ce n’est pas d’exister, c’est d’avoir des projets qui ont du sens et qui ont le mérite d’exister ; après, la reconnaissance suit ou pas. Les contraintes sont sur des appels d’offres : à capacité égale, un homme sera plus pris parce qu’il aura moins de contraintes d’enfants, comme dans beaucoup d’autres domaines. C’est une question de confiance en soi. Je suis plus dans le questionnement que dans la réponse. Est-ce que c’est lié au fait d’être une femme ou à des problématiques personnelles ? L’important, c’est l’équilibre d’un espace mental. Le design est quelque chose qui nous habite, et c’est difficile de dire “à 18 heures, j’arrête“. C’est cornélien. Pour débuter, il faut s’accrocher et avoir de l’endurance, être peut-être meilleure en endurance qu’en sprint. Et ne jamais travailler gratuitement. Faire respecter ses idées. »
La Cornue a fait appel à Elise Fouin pour imaginer la collection Puissance 3 pour l’aménagement de la cuisine. La designeuse a travaillé les façades de telle façon que chaque trame capte la lumière et donne de la profondeur à l’ensemble des éléments.
Femme et entrepreneur
« Le design, c’est une combinaison entre l’esthétique, l’ergonomie et l’usage. Le design a une certaine économie de moyens, un équilibre entre l’esthétique de la matière et le sens qu’il véhicule. J’aime les objets qui nous font sourire, les objets clin d’œil. J’ai travaillé pour des entreprises qui font des arts de la table, du meuble, des luminaires, l’univers de la cuisine, la scénographie d’exposition… À chaque fois, ce sont des domaines différents, et c’est ce qui m’intéresse même si j’ai fait des luminaires et beaucoup travaillé la lumière. J’aime le travail de designers japonais comme Tokujin Yoshioka. Charlotte Perriand, avec toute sa démarche et son approche sociologique du design, avec la photographie des objets de paysans en Savoie… Cela résonne par rapport à mes origines. Parce que je suis dans cette recherche de moins de matière : comment ça peut être plus simple à fabriquer, puis expédier sans prendre trop d’espace… toute ces notions d’économie de moyen et de respect de l’environnement. »
Des projets dans le monde
« En ce moment, le monde est assez retourné, mais j’ai travaillé dernièrement pour un fabricant de couteau de cuisine japonais. Car si les Japonais mangent avec des baguettes, ils réservent le couteau à la cuisine et pour se développer sur le marché européen, ils avaient besoin d’un couteau de table. Donc j’ai travaillé pour un artisan qui est à Tokyo (Ubukeya). »
Une designeuse lumineuse
« Pour mon diplôme, j’ai imaginé des bobines de papiers qui se déploient, et c’est grâce à ce travail que je me suis fait connaître auprès de Forestier, qui au moment de leur rachat et de leur relance dans le contemporain m’ont contacté avec une douzaine d’autres designers. J’ai eu la chance de créer un premier produit Circus qui a eu un succès d’estime plus que commercial. Mais ayant visité la fabrique d’abat-jour à côté de Bordeaux, j’ai fait la suspension Papillon qui a eu un succès d’estime et commercial. Cette dernière vient de rentrer dans les collections permanentes du musée des Arts Décoratifs, et ça fait le lien. C’est grâce à mon travail sur la lumière que j’ai pu partir au Japon travailler avec un maître de hyogu et travailler sur le papier washi contrecollé sur du tissu qui est une technique japonaise.»
Le projet, du début à la fin
« J’ai une pensée en arborescence, donc j’ai besoin de comprendre le projet du début à la fin, pour savoir où je vais me situer pour le faire aboutir. J’ai besoin de visiter l’entreprise pour voir quelle est la personne derrière telle machine, pour que les gens de l’entreprise soient capables de porter le projet. Pour la Halle aux grains, les assiettes de la série Sillon portent le souvenir de la roue crantée qui sert à fendre la terre avant que les graines y soient déposées. L’empreinte du travail de la main comme savent la faire les artisans de Jars Céramiste était essentielle. Et Michel et Sébastien Bras s’y sont retrouvés.»
Le design jusqu’au bout des doigts
Sebastian Herkner est aujourd’hui l’une des figures internationales que les éditeurs se disputent. Il n’est pas aisé d’établir de manière exhaustive la liste de ses collaborations, tant elle est diverse et variée, à l’image de la curiosité sereine du designer allemand, qui travaille aussi bien avec des petits éditeurs comme La Manufacture qu’avec Cappellini et Thonet.
Quelques années avant d’être le designer invité de l’IMM puis de Maison&Objet, en février 2013, il faisait la couverture du numéro 165 d’Intramuros, entre Scholten & Beijing et A+A Cooren. Le magazine avait alors titré « Sciences Naturelles ». Huit ans plus tard, son propos est toujours le même, et son attachement au travail soigné encore plus exacerbé.
En dessinant ce logo qui apparaît en pleine page de son site Internet, la graphiste Antonia Henschel a capté l’essence même du personnage. Son logo, avec un tiret légèrement penché, reflète toute sa personnalité : claire et franche avec ce regard prêt à capter le détail. Elle va offrir cette légère valeur ajoutée à « un design qui touche l’essence même de la fonction, tout en cultivant en sourdine une certaine forme d’ambiguïté ».
Sebastian Herkner : Un jeune designer de quarante ans
Il fait partie de ces jeunes designers qui n’ont pas attendu la cinquantaine pour faire du monde leur terrain de jeu. À quarante ans, à peine, il a déjà signé avec les plus grandes marques et cette période de pandémie ne l’a pas empêché de poursuivre ses collaborations et d’étoffer les collections de Ligne Roset, Ames, Vibia, ClassiCon, Cappellini, Gan, Moroso, Thonet, La Manufacture, Man of Parts…ou la nouvelle marque de luminaires australienne Rakumba.
Au moment de l’interview, fin avril, il rentrait à peine de son premier voyage de l’année à Bologne et Milan où il avait pu visiter et prendre quelques photos du Pavillon de l’Esprit Nouveau, dessiné en 1925 pour l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes. Dessiné par Le Corbusier et Pierre Jeanneret, il a été reconstruit en 1977 à Bologne et servira de sources d’inspiration pour ses futurs travaux.
La patience du travail artisanal
Sebastian Herkner est né en 1981 à Bad Mergentheim du côté de Stuttgart, et vit depuis 20 ans à Offenbach am Main dans la région de Francfort. Son père était électricien, sa mère assistante médicale et son frère aîné est jardinier. Dans sa famille comme dans de nombreuses familles allemandes, il est essentiel de savoir faire quelque chose de ses dix doigts. Il s’est toujours passionné pour les outils et le travail bien fait, fasciné par le travail de la main.
Toujours fourré dans l’atelier de son père, il y a appris la patience et la rigueur du travail artisanal. Il ouvre son studio à Offenbach en 2014, Geleitstrasse. En 2021, il emploie 5 personnes toutes dévouées à son confort et à la réussite de ses projets. Sa passion, c’est de rester connecté à la créativité, que ses voyages nourrissent. Très jeune, avec ses parents, il a sillonné les routes de France de villes en villages, de centre de fabrication en centre de construction, abordant ainsi le travail du verre, de la porcelaine, du bois, de la céramique, du métal ou du cuivre. Fasciné par les matériaux, il regarde comment les peuples s’approprient les techniques traditionnelles et les savoir-faire.
Entre le fonctionnel et le sensible
Dans ses produits, il cherche à créer une balance entre le fonctionnel et le sensible et avoue son privilège de travailler avec de grandes marques internationales. D’une paire de lunettes au canapé, du tabouret à la table basse, il a produit toutes les typologies capables de meubler un hôtel ou un restaurant. Du Japon à la Colombie. Il a le privilège de voyager pour découvrir ébloui le résultat de ses dessins. « Le passage du dessin au prototype est toujours un moment plein d’émotion.» Il a eu le grand honneur d’être remarqué par Giulio Cappellini, Oliver Holy – ClassiCon (fils de l’entrepreneur Jochen Holy et arrière-petit-fils du pionnier du textile Hugo Boss) et Ana Maria Calderon Kayser et Karl Heinz Kayser, créateurs de la marque colombienne Ames qui fait réaliser tout son mobilier et ses accessoires par des familles d’artisans aux savoir-faire exceptionnels répartis dans toutes les régions de la Colombie.
Tout est affaire de rencontre
Car tout est affaire de rencontre. Et c’est avec Michel Roset qu’il rencontre sur le salon IMM Cologne en 2019 qu’il met au point la collection «Taru», des fauteuils généreux et confortables, idéale pour le privé ou le collectif. Sebastian connaissait la marque depuis son enfance. Des voisins de ses parents avait un généreux canapé Togo de Michel Ducaroy dans leur salon. Afin de mieux connaître la marque et son histoire, d’apprécier son savoir-faire, Sebastian s’est rendu plusieurs fois à Lyon pour visiter l’usine de fabrication.
Avec Ames, il s’est donné la mission de développer des meubles et des accessoires pour la maison « en touchant le cœur et l’esprit» des gens qui affectionnent les styles de vie cosmopolites. Entre l’Allemagne et la Colombie, la marque accorde la plus grande importance à une production respectueuse de l’environnement. Tous les produits, imprégnés d’un langage formel européen, sont fabriqués selon les traditions artisanales colombiennes. Ils prendront bientôt place dans un nouvel hôtel, en rénovation à Biarritz.
Un travail honnête et authentique
Voyager lui a toujours donné de nouvelles bases d’inspiration. Ses maîtres sont italiens, Achille Castiglioni, Alessandro Mendini, Gae Aulenti pour ses luminaires. Mais il admire le Français Jean Royère pour son talent d’artiste décorateur. Le verre soufflé, le travail du métal le fascinent, et il cite volontiers parmi les talents français Christophe Delcourt ou Pauline Deltour. Il aimerait travailler à plus grande échelle, sur un projet d’hôtel. Une cuisine ou une salle de bains ne lui font pas peur. Déjà en 2016, il avait aménagé Das Haus sur le salon du meuble de Cologne. Et avait surpris toute la profession avec un mur de savon en guise de paroi de salle de bains, comme des carreaux de céramique, doucement courbés.
Il aime les villes comme Copenhague ou Paris qui sont à proximité de l’Allemagne, à peine à quatre heures de train. Mais aussi Barcelone, plus originale et le Portugal où le travail de la céramique est un vrai talent.
Basique, honnête et authentique, c’est ainsi qu’il aime définir son travail. La force créative, il la trouve dans tous les pays, dans les galeries à Francfort autant qu’à Paris chez Kamel Menour et il s’est réjoui d’avoir pu déguster en avril une pizza à Bologne, même s’il était seul. Il a hâte de retrouver une vie normale et de pouvoir à nouveau partager avec « les autres ».
Un développement durable
La sustainability ou le « développement durable » est un concept à prendre en compte pour prendre soin des matériaux et penser un slow furniture qui s’inscrive en résistance à la fast fashion et au fast furniture. La qualité doit apporter cette idée d’éternité qui est associée à toute création de mobilier. Il encourage les jeunes designers à poursuivre sans fin leurs études, à reprendre une vie collective, à apprendre ensemble, à tester, à discuter, à utiliser leurs cinq sens. Parce que le design est « feeling » et « touching ». Souvent cité comme l’un des 100 meilleurs designers de l’année 2021, il reste modeste.
La passion d’un métier, une chance
Elle a fait la couverture du n° 12 d’Intramuros, juste avant Philippe Boisselier, son professeur et même Philippe Starck, son héros. À 26 ans, diplômée de l’EcoleCamondo, elle revenait d’une année à Tokyo avec des projets plein les poches. 2020 n’aura pas été une année morte pour elle. Elle sort de nouvelles collections pour Cinna, Ligne Roset, le musée du Louvre avec la RMN, Zeus…Tout en parlant de son actualité, Marie Christine Dorner revient sur ce qui a façonné son parcours avec pudeur… et bonheur !
Marie-Christine Dorner a dessiné des meubles pour Idée au Japon, créé des intérieurs dans le monde entier, mais c’est en France qu’elle excelle depuis les années 2000 avec des collaborations pointues, dans tous les domaines, mobilier, architecture d’intérieur, graphisme, scénographies. C’est elle qui a dessiné la tribune officielle du 14 juillet, et qui chaque année depuis 1990, valide son implantation, dos à l’obélisque sur la place de la Concorde avec vue imprenable sur l’avenue des Champs-Elysées pour admirer les exploits des armées françaises. Cinq présidents la plébiscitent et le 32e montage est prévu cet été 2021. François Mitterrand avait choisi ce projet parmi d’autres et Frédéric Mitterrand l’a décorée elle, de la médaille des Arts et Lettres. Et même si Paris s’est vidé de ses habitants, beaucoup attendent le « Bastille Day » pour faire rayonner l’image de la France de par le monde entier.
160 ans la tête dans les chapeaux
Une lignée de médecins côté paternel, et de fabricants de chapeaux côté maternel : « Les chapeaux CHAPUIS à Mâcon – “Quand il fait beau Chapuis chapeau, et sous la pluie chapeau Chapuis !”–, et FLECHET à Chazelles-sur-Lyon “Chapeaux Fléchet, chapeaux parfaits !”
On nous racontait que des trains entiers de magnifiques poils d’Angora arrivaient à Chazelles pour faire des cloches, puis des chapeaux… ». À cette époque plus de 700 ouvriers étaient employés dans l’usine. La marque exportait partout dans le monde. « Mon grand-père George et mon oncle Jean y étaient commerciaux, auprès du PDG René Fléchet, mon grand-oncle. Même ma mère, adolescente, s’amusait à créer des chapeaux pour sa mère. Je n’ai jamais vu mes grands-parents sortir sans un galurin ! L’usine Fléchet est maintenant devenue un très beau musée du chapeau, et la marque a été rachetée. J’aurais dû le faire peut-être, avec mon oncle Robert, couturier, un temps chez Dior. J’adore cette histoire, ce savoir-faire, les boîtes à chapeaux… »
Parcours
« Il s’est créé une sorte d’image figée de l’époque où je suis revenue du Japon, où j’ai dessiné l’hôtel la Villa à St Germain-des-Près et où ces réalisations faisaient le tour du monde des magazines. Puis 1996-2008 : mes années London. Un milieu protégé, d’expatriés qui faisaient fortune ; j’ai aimé cette île britannique, raide et très excentrique à la fois. Après le Japon, j’ai trouvé curieusement de nombreuses similitudes entre ces deux insularités. Depuis, je travaille avec ces deux cultures en tête. »
Architecture—process—style
« Ma mère était psychiatre, analyste, dans l’écoute permanente. Sans doute grâce à elle, j’aime être à l’écoute de mes clients en architecture intérieure. Aujourd’hui plus que jamais, chacun a besoin de faire de son lieu de vie une bulle à son image, mélange de confort, d’objets personnels, de matières complices, de volumes justes. J’arrive dans un lieu, je regarde comment la lumière naturelle y pénètre et tourne, de quels volumes nous disposons, et j’écoute, regarde ce que les propriétaires ont envie de conserver, la matière dont je dispose et avec laquelle je peux jouer et créer. Quand Lacaton et Vassal (qui viennent de remporter le Pritzker Prize, l’équivalent du Prix Nobel en architecture) parlent de l’habitat, j’ai le sentiment qu’à une autre échelle, mon intention est la même. Respecter, garder des choses, accompagner et faire des heureux ; plus important qu’un style reconnaissable entre tous. D’ailleurs je suis assez éclectique dans mes goûts, sans doute grâce et à cause de mes voyages. »
Design d’édition
« Ma première collection a été un ensemble de 16 meubles pour Idée élaborée au Japon en 1985. Puis le mobilier de l’hôtel La Villa, des créations pour Artelano, Baccarat, Saint Louis, Montis, Zeus, et maintenant l’aventure Ligne Roset et Cinna depuis 2015. C’est magnifique de collaborer sur une longue période avec un éditeur exceptionnel, Michel Roset, une marque dont on intègre l’ADN au fil des années, et pour couronner le tout une fabrication française. Pour 2021/22, nous venons de présenter chez Cinna un programme d’assises, appelée Grand Angle, dont l’objectif est d’abord et encore le confort ! Une typologie qui manquait à la collection Cinna, et qui permet de s’asseoir mais aussi de s’avachir, lire, travailler, en relevant les dossiers à sa guise, et même très haut pour les plus grands : un canapé non pas pour paraître mais pour être. Le designer a une vraie responsabilité sur cette planète, malgré la futilité apparente de son activité. Tout d’abord dessiner des objets pérennes, retrouver l’esprit de transmission. Et s’engager avec des fabricants de qualité, responsables.»
L’Appartement by Ligne Roset
« J’ai réalisé à Lyon, dans le quartier ancien de la rue Auguste Comte, suivant l’idée lancée par Antoine et Olivier Roset, un nouveau type de showroom, L’Appartement by Ligne Roset. C’est un petit lieu de 120 m2 dans lequel nous avons souhaité montrer la marque à la fois dans sa version luxe, et comme un lieu expérimental. On peut y voir des finitions différentes, un mélange d’objets vintage, piochés parfois dans la maison de famille Roset. Les pièces d’un appartement se succèdent : salons, bureau, salle à manger, jardin d’hiver, chambre.
J’ai traité la couleur en 3D, en alcôves, avec une gamme de demi-tons souvent foncés, partenariat avec l’éditeur de peintures Mériguet-Carrère. »
« Le Réverbère, galerie de photos contemporaines bien connue à Lyonet dont je suis fan depuis longtemps, a été un partenaire formidable avec des photographies splendides qui créent des voisinages intéressants : ainsi William Klein et le canapé de Philippe Nigro, Serge Clément et les meubles d’Eric Jourdan, Beatrix von Conta et les Bouroullec, Philippe Pètremant et Pierre Paulin, Jacques Damez et Inga Sempé, etc… Ce lieu évolue au fil des nouvelles collections. »
Le nom des choses
« Je termine une collection d’objets cadeaux pour le musée du Louvre avec la Réunion des Musées Nationaux, appelée “ Les Ailes du Louvre ”. Ce thème est si emblématique du musée, à travers ses collections de sculptures et dessins du 15e au 19e siècle, avec sa pléiade d’Amours, d’Eros ailés, et d’anges, sans oublier la victoire de Samothrace, qu’il y avait une matière magnifique à explorer. Les vases ont donné lieu à une belle collaboration avec le faïencier Erwan de Rengervé, il y a des textiles, des bijoux. Un besoin de légèreté en ces temps si durs.
Autre matière : le bronze avec la création d’une petite table aux piètements apparemment fragiles. J’ai souhaité l’appeler Bambi mais Disney ayant acheté les droits sur le monde entier, cela n’a pas été possible. C’est « MC2 », jeu entre mon prénom et la relation énergie /masse d’Einstein. Autre produit tout neuf : une suspension Ruflette, appelée ainsi en raison de l’élément qui permet de créer ses plis. Une envie de couture, d’effet graphique contemporain et en même temps légèrement désuet. Je peux dire aujourd’hui que mon travail m’a toujours porté chance. Et encourager les jeunes designers à provoquer la chance. »