Stéphanie Langard, éloge du matériau trompeur
Sous ses doigts, la terre se transforme en vases à la peau de pêche ou charbon noir, et les arbres se parent d’excroissances céramiques, aux doux volumes hybrides… Remarquées lors de la dernière Paris Design Week, les nouvelles pièces de la designer normande Stéphanie Langard illustrent le pouvoir de transfiguration de la matière, floutant les frontières entre art et design.
Elle prend un malin plaisir à faire passer la matière pour ce qu’elle n’est pas. Designer, sculptrice, céramiste, architecte d’intérieur, directrice artistique, cette créatrice aux nombreux talents, née en 1976, aime surtout insuffler beauté et poésie à ses ouvrages. Diplômée de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design (ESAD) à Reims, passée par la case de l’Art Center College of Design de Los Angeles et de la Domus Academy de Milan, elle tient son goût des matériaux naturels et des savoir-faire hautement menés, des heures passées, enfant, dans l’atelier de son père ébéniste. Toutefois, sa grande et luxueuse « Toupie » de verre soufflé, bois d’olivier, lanières de soie et cuivre, impropre à l’usage, remarquée lors des D’Days de 2014 au Musée des Arts Décoratifs de Paris, comme son étonnante « chaise d’arbitre Emile » de 2015, interrogeant de manière espiègle notre aptitude à nous adapter, témoignent de ses dispositions à transcender le geste que lui dicte une technique.
Jeux de Dupes
Sélectionnée, en 2019, pour représenter la France à la 10ème Biennale internationale de la céramique de Gyeonggi, en Corée du Sud, elle semble aujourd’hui revenir à ses premiers amours, en explorant le plus souvent le grès et le bois de Frêne de la Forêt d’Eu, chère à son cœur, pour leurs aspérités et qualités intrinsèques, parfois insoupçonnées. Aidée de dessins très précis, elle fait immerger de la terre des formes sans formes, sensuelles, presque malléables. En effet, la céramique de ses vases aux lignes élégantes, souvent modernistes, semble tendre à s’y méprendre. Leur modelé travaillé au racloir ou au papier de verre peut donner l’illusion d’un feutre de laine qui respire. D’ailleurs, elle semble en avoir fait sa signature que l’on retrouve exposée chez Superstudio, lors de l’évènement « 1000 Vases » pour la Milan Design Week de septembre 2021, ou encore durant l’ultime Paris Design Week, au 80 rue de Turenne, à travers « Bodies », son solo show présentant un corpus de 60 pièces.
La Nature humaine
En septembre et octobre derniers, « Crowned Trees », installation composée de cinq pièces en bois de Frêne et grès a aussi investi la Place du Louvre, entre beffroi néogothique de l’église Saint-Germain-L’auxerrois, nature urbanisée et musée du Louvre. D’un très bel effet, cet ensemble au milieu duquel trônait un imposant tronc accueillant, en son centre, un étonnant « couple », interpellait par son esthétique ambigüe. Travaillant les surfaces irrégulières de ces bois comme une peau jusqu’à en faire apparaître les moires, Stéphanie s’est emparée du déséquilibre de leurs volumes et ondulations, les couronnant de pièces en grès, aux formes organiques, parfois sur le fil, presqu’humaines, qui semblent se parler, s’étreindre, voire réfléchir…
De ces troncs destinés au feu ou à devenir parquet car possédant trop de défauts, Stéphanie Langard fait donc surgir de surprenantes présences, fantomatiques, sensuelles, jouant sur l’illusion de leurs matières, couleurs et reflets éclatants au soleil. Laissant à tous la liberté de se les approprier par le toucher, Stéphanie Langard fait de ses créations design une belle matière à réflexion et à mystère.