Art numérique
Jusqu’au 29 août 2022, le Centre Pompidou-Metz accueille l’Americano-Turc Refik Anadol et son installation « Machine Hallucinations – Rêves de nature ». Une première pour la Grande Nef du musée qui se voit ainsi confier à un seul artiste avec sa sculpture/peinture numérique.
Né en 1985 en Turquie et travaillant à Los Angeles, Refik Anadol s’est imposé comme le pionnier dans le monde de l’art numérique et des crypto-monnaies de collection. Fasciné par les machines, son œuvre est à la croisée de l’architecture, de l’intelligence artificielle et de l’esthétique pour une immersion complète qu’il réalise avec son algorithme, créé en collaboration avec l’équipe de recherche quantique de Google AI. L’installation « Machine Hallucination » est donc une plongée directe dans les rêves d’une machine…
Une combinaison algorithmique
Dès ses premiers pas dans la salle, le visiteur est happé par les formes mouvantes et colorées de l’oeuvre, formant comme une chorégraphie. Les couleurs sont changeantes, passant du bleu au vert et du rouge au gris, sur une toile numérique de 10m x 10m soit plus de 100m2 d’images en mouvement permanent. Spectaculaire, cette sculpture de données est le fruit de 300 millions de photographies de nature, réunies entre 2018 et 2021. L’algorithme développé par la suite, l’IA GAN, permet une combinaison de formes, de pigments et de motifs de 20 minutes. Le tout accompagné d’une expérience sonore, également réalisée par un algorithme.
Nos souvenirs de la nature se mélangent alors avec la dimension alternative du monde réel proposée par la machine et forme une expérience multisensorielle. Celle-ci pousse à la réflexion, entre onirisme et nature, en questionnant la collaboration entre technologie, nature et homme.
Artiste américano-cubaine, Gabriela Noelle créer des objets allant du tabouret coloré à des sculptures exposées dans les parcs. Comme vues à travers les yeuxx d’un enfant, toutes les pièces qu’elle produit s’inspirent largement de l’univers de l’enfance. Une invitation à la couleur et à l’imagination.
Le projet « The Toadstool Project » de l’artiste Gabriela Noelle (à retrouver dans la sélection shopping d’Intramuros 211), est une série de tabourets tout en couleur à collectionner largement inspiré de peintres tels que Kenneth Noland ou Frank Stella. Composée de pièces qui sont toutes uniques, chaque petit « champignon » présente un dégradé de couleur bien distinct, qui est crée numériquement. L’objectif : explorer les différentes relations entre les couleurs à travers la création d’effets d’optiques intéressants.
Des créations en faveur du respect l’environnement
L’avènement de « The Toadstool Project » se base sur un récit centré sur notre environnement futur et la création rendue possible grâce au partage et au respect mutuel entre tous les humains. Sensible aux questions liées à la durabilité, de la réduction de son empreinte carbone et sa production de déchets, Gabriela Noelle a donc assez naturellement fait le choix de produire une série limitée à 36 exemplaires.
Capitale de la culture 2022, la cité luxembourgeoise d’Esch-Sur-Alzette a notamment choisi de mettre en valeur les connexions entre design numérique et histoire patrimoniale de son bassin minier à travers deux expositions valorisant l’impressionnant site industriel reconverti d’Esch Belval. Une interaction du multimédia et de l’architectural qui induit un principe très actuel du « remix », dans un saisissant mélange esthétique entre réalités d’hier et d’aujourd’hui.
Impressionnant. Telle est la première pensée qui saisit le visiteur lorsqu’il arrive sur le site d’Esch Belval, une grande friche industrielle reconvertie en site culturel et universitaire, où trône encore tel un géant majestueux et endormi l’un des énormes haut-fourneaux qui a fait la renommée de l’acier luxembourgeois et en particulier de celui produit dans la cité frontalière d’Esch-sur-Alzette. Aujourd’hui, la dimension sidérurgique du site a vécu. Mais la grande opportunité donnée à la ville de valoriser à la fois son patrimoine passé et sa dynamique artistique et créative actuelle, à travers sa nomination comme capitale européenne de la culture 2022, trouve toute sa dimension dans les deux installations-phares qu’accueille l’endroit à cette occasion.
Identité et diversité sur le gril
Conçue en partenariat avec le ZKM de Karlsruhe, temple de l’art numérique allemand lui-même situé dans un ancien ensemble industriel, l’exposition « Hacking Identity / Dancing Diversity » offre au cœur du gigantesque bâtiment de la Möllerei (un grand volume construit en 1910 et qui servait à l’origine à la préparation du minerai de fer et des charges de coke pour le haut fourneau voisin) une intrigante convergence de l’ancien vers nouveau, mettant en avant des problématiques sociétales très actuelles dont la création numérique aime s’emparer (questions d’identité, de diversité, de manipulation/utilisation des données). « Hacking Identity / Dancing Diversity » scénographie donc dans l’immense structure 25 installations dont le regard, pourtant serti dans le foncier passé, résonne avec une dimension fortement contemporaine, à l’image de l’énorme fresque digitale qui sert de point de repère visuel immédiat sur la grande passerelle centrale.
Long défilé d’animaux virtuels sur un écran de plusieurs dizaines de mètres épousant la dimension démesurée des lieux, le Marathon Der Tier (Marathon des Animaux) des Allemands Rosalie et Ludger Brümmer s’inspire de la radiographie, de la radioscopie et de la chronophotographie de la fin du XIXe siècle pour traquer l’intemporel. Son inspiration art/science colle à la dimension technicienne des lieux. Un axe très prisé des arts numériques actuels que l’on retrouve également au niveau inférieur, dans l’étrange sculpture robotique Deep And Hot de Thomas Feuerstein, liant machinisme et biologisme à travers cette forme industrieuse du réacteur, constellée de sphères polies renvoyant à la dimension moléculaire du vivant.
C’est à ce niveau que se trouve la grande majorité des pièces. On y découvre notamment l’imbrication de la complexité grandiose de l’espace physique à la complexité plus intérieure de l’humain, à travers l’installation à technologie de reconnaissance faciale Captured de la Finlandaise Hanna Haaslahti : un étrange ballet chaotique d’avatars à l’écran, saisis à partir d’une caméra scannant le public volontaire, et induisant une réflexion sur la manière dont la violence est exercée et perçue au sein d’un groupe d’individus.
La prouesse d’intégration technologique dans un environnement architectural immersif encore très industriel se poursuit dans les sous-sols de la Möllerei. L’impression de descendre dans les organes internes de l’usine est très forte tant le décor demeure brutaliste. Et c’est là que l’on découvre la pièce la plus curieuse : le Formae X 1.57 du studio de design numérique allemand Onformative. Cette coupole aux couleurs variables, posée à même les scories, réagit aux modifications atmosphériques du lieu (lumière, air humidité), mais aussi au mouvement du public. Une partition commune entre l’homme et la machine qui tombe sous le sens.
Dispositif technologique et mémoriel
Car c’est justement là, dans cette interaction en temps réel de l’industriel ancien et du numérique moderne, que perce ce principe actif du « remix », renvoyant aux musiques actuelles et aux cultures du DJing. Un modus operandi qui se retrouve au centre même de la deuxième exposition présentée sur le site et justement dénommée Remixing Industrial Past (Constructing The Identity of The Minett) – Le Minett étant le nom du district minier du sud-est du Luxembourg dont Esch est le pôle névralgique.
Mis en place dans la Massenoire, un bâtiment qui abritait les divers équipements servant à la fabrication de la masse de bouchage du trou de coulée (à base de goudron), le dispositif propose ici une collision plus concentrée mais tout aussi spectaculaire entre patrimoine et création numérique. Dû au travail du collectif d’artistes et designers italiens Tokonoma, en collaboration avec leurs compatriotes de la compagnie de design intérieur 2F Archittetura, l’installation dévoile une kyrielle d’écrans suspendus à taille multiples et de boxes thématiques entrant en résonance avec des lieux encore très perméables à leur passé industriel. L’enchevêtrement très structuré des différents éléments multimédias dans cet espace lui aussi préservé, où les machines sont encore en place, délivre une scénographie captivante et totalement vivante. À l’écran ou en bande-son, archives et bruitages du travail des anciens mineurs et ouvriers y surlignent en effet la tonalité humaine et la perpétuation d’un travail de mémoire particulièrement mis en valeur.
À l’arrivée, il est donc plutôt agréable de constater à quel point le design numérique peut être vecteur de rapprochement esthétique et intemporel entre patrimoine architectural, identités humaines et création artistique contemporaine. Une transversalité des formes et des enjeux territoriaux que le concept de « remix » marie plutôt bien autour de l’ancrage territorial d’Esch 2022.
En imbriquant dispositifs numériques aux humeurs dystopiques de l’anthropocène et pièces organiques où le design d’objets ouvre des pistes plus poétiques, l’exposition Hyper Nature du festival nantais Scopitone donne un aperçu intrigant du mélange d’hommage et de fantasme que la nature peut susciter chez l’artiste. À voir jusqu’au 19 septembre
Le parcours déambulatoire au sein des différents espaces de Stéréolux – le bâtiment vaisseau-mère de Scopitone – instille en effet un rapport plutôt complexe et intriqué avec une nature interprétée ici sous différentes coutures. Plusieurs pièces alternent ainsi hommage à la nature et questionnement des artistes sur notre relation à celle-ci, à l’ère de l’anthropocène où l’impact humain sur nos écosystèmes devient problématique.
Le glacier artificiel miniature sous cloche de verre du Tipping Point de Barthélemy Antoine-Lœff renvoie donc au temps nécessaire pour qu’un glacier se crée… ou se régénère. Le Soleil Vert de Cécile Beau rejoue dans son aquarium l’hymne à la terre du triptyque minéral / végétal / animal en mettant en scène sphère d’algues, roches immergées et fossiles de crevettes. Les écrans et dispositifs numériques rallient la célébration technologique dont Scopitone est coutumier sous le même prisme, comme dans la collection d’archives virtuelles d’espèces végétales disparues du Floralia de Sabrina Ratté.
Le questionnement se porte en particulier sur les signaux et les indicateurs que la nature peut transmettre à l’homme quant à un état des lieux plutôt inquiétant. Le projet très art / science Spring Odyssey d’Elise Morin – mené en partenariat avec des scientifiques de Paris-Saclay – s’appuie ainsi sur la création d’une plante réactive au stress radioactif, à la fois transposée dans des environnements virtuels de réalité augmentée et dans la réalité de la « Forêt Rouge » de Tchernobyl où elle a d’ailleurs muté. Plus allégorique, la sphère terrestre enfermée dans une boîte baignant dans le liquide fluorescent et trouble du Laboratory Planet II du collectif Hehe rappelle que la pollution est désormais un poison global.
Physique quantique et activité électromagnétique : la nature fantasmée
Pour autant, l’exposition sait aussi brouiller les pistes en mettant en perspective la manière un peu fantasmée dont les artistes s’inspirent de la nature, et notamment de ses phénomènes physiques invisibles ou inexplicables, dans leur travail. Une façon pour eux de créer les scénarios d’un futur spéculatif dans lequel le design d’objet s’octroie une véritable place.
L’impressionnante machine de mécanique des fluides du Soudain Toujours de Guillaume Cousin crée ainsi par ses propulsions de fumée chaotiques un environnement systémique et organique renvoyant à la physique quantique et à ses inconnues. Les expériences atmosphériques du dispositif Zoryas de Claire Williams s’articulent autour d ‘une matière-énergie de plasma combinant gaz d’extraction interstellaire (argon, néon, Krypton, xénon, etc.) et activité électromagnétique solaire, introduite dans des sculptures en verre où elle révèle d’intrigantes chorégraphies de contraction électriques dignes des fameuses bobines Tesla. Des ondulations sonifiées – que Claire Williams décline encore avec son ondoscope, un appareil de captation des variations électromagnétiques naturelles, dans son autre installation, Les Aethers – que l’on peut même entendre tactilement à partir des vibrations émises depuis la table circulaire d’écoute entourant l’œuvre.
Dans ce registre design d’objets et scénographie symbiotique, la vingtaine de sculptures robotisées du Supraorganism de Justine Emard fait sans doute figure de morceau de choix. Inspirée du comportement des essaims d’abeilles, la pièce associe récipients en verre soufflé et petits dispositifs mécaniques et lumineux intrusifs en jouant une partition collective impromptue. Une note d’espoir peut-être pour une narration futuriste moins dystopique que celle d’autres artistes de l’exposition. Laura Colmenares Guerra par exemple, chez qui l’expression plastique prend la forme de sculptures imprimées en 3D donnant une représentation volumétrique des menaces environnementales pesant sur l’Amazonie (déforestation, prospection minière).
Festival Scopitone, Nantes, jusqu’au 19 septembre.
Présentée à la Gaîté Lyrique, la nouvelle exposition d’Olivier Ratsi met en avant des dispositifs sculpturaux où la lumière impulse le mouvement et invite le spectateur à s’approprier l’espace. Mais elle dévoile aussi des pièces où le design apparaît comme essentiel pour que le dialogue entre la lumière et l’objet se fasse « sans obstacle ».
La lumière a toujours été une source d’interrogation dans le travail de l’artiste Olivier Ratsi. Qu’il s’agisse de lumière projetée, celle des vidéoprojecteurs, héritée des techniques du mapping permettant de révéler des supports, de questionner des volumes, et qui dans son travail se conjugue souvent à des principes d’anamorphose, ouvrant au spectateur à partir d’un certain point de vue le redimensionnement des images projetées en une nouvelle image. Ou qu’il s’agisse de lumière diffuse, lui offrant les perspectives de créer des œuvres plus denses, en lien direct avec l’espace qui les entoure grâce à cette lumière irradiante venant structurer physiquement la relation entre l’objet et l’espace.
Pour l’exposition à la Gaîté Lyrique Heureux Soient Les Fêlés, Car Ils Laisseront Passer la Lumière – titre clin d’œil à Michel Audiard –, aux contours très scénographiques et déambulatoires, cette logique de rapport entre objet et espace, mais aussi entre corps (du spectateur) et espace, se veut sans doute plus forte que jamais. Outre les habituelles notions de cadrage, d’angles, de champ et de contre-champ, qui donnent littéralement vie aux pièces d’Olivier Ratsi, le principe de « cartographie sensorielle » que le public serait invité à ressentir en traversant, en écoutant ou en observant les œuvres et leurs mutations optiques constantes transperce ce mélange de pièces anciennes, revisitées pour l’occasion, et de nouvelles créations.
Architectures immersives
À l’image de Frame, sculpture de cadres de bois et de leds superposées, présentée pour la première fois à la verticale et dont l’effet miroir rappelle un peu les jeux de fuite visuelle de l’échelle de Yayoi Kusama, ou de la nouvelle pièce X, 24 tubes acrylique réfléchissant leur luminosité fuyante en s’étirant sur un long bassin d’eau noire, Olivier Ratsi entame ici un dialogue optimisé des œuvres avec l’espace architectural qui l’accueille. La nature immersive des pièces s’en trouve décuplée, tout comme la perception du spectateur. « Concernant le côté immersif, j’aime multiplier les points de vue dans mon travail », précise-t-il. « L’anamorphose s’observe en général à l’extérieur de l’œuvre, mais je cherche toujours à ce que le spectateur puisse la pénétrer afin de multiplier les possibilités de point de vue, un peu comme dans les Pénétrables de Jésus-Rafael Soto. Il faut aussi qu’il puisse vivre une expérience. »
Les expériences s’avèrent en effet ici très mouvantes pour le visiteur. Des jeux chromatiques de F(lux) ou Spectrum, inspirées des rayons solaires traversant les nuages, aux pertes de repères spatio-temporelles de Negative Space, engendrée par le ballet de lumières et de brouillard créé à partir de 21 totems quadrillant l’espace de la chambre noire, celui-ci se retrouve à la fois caressé du regard ou poussé dans les derniers retranchements de ses perceptions individuelles.
L’impératif esthétique du design
Il est intéressant de noter que le design constitue aussi un élément esthétique pérenne dans le travail d’Olivier Ratsi. Qu’il prenne la forme des rectangles rouges de son installation lumineuse III qui trônait il y a quelques mois encore à l’entrée du Centre culturel Canadien (pour l’événement Human Learning) ou qu’il s’exprime dans les formes tubulaires et lumineuses allongées de F(lux), on saisit bien l’importance de la forme dans ses pièces. « Pour moi le design n’est pas une fin en soi, mais un impératif sur le plan esthétique. Il contribue à rendre les choses plus fluides, afin que le dialogue se fasse ʺsans obstacleʺ, et que la lumière apparaisse comme si elle n’existait sans aucun autre support. »
À ce titre, la création Infinite I et son décor circulaire de miroirs conviant le spectateur à rompre le cercle s’avère la pièce la plus design de l’exposition. « Infinite I est l’une des seules pièces avec Shape qui n’utilise pas de technologie, mais qui nécessite obligatoirement l’informatique pour la conception tant chaque élément est désigné et placé au millimètre près », confesse-t-il. « En se positionnant au centre, le spectateur peut observer que les miroirs, qui semblent à première vue légèrement décalés dans leur rotation, se ʺreplacentʺ tous de manière parallèle. Ils deviennent tous les mêmes, alors qu’ils renvoient tous une partie différente de l’image de l’observateur. » Un concept de boucle infinie qui s’articule avec une véritable recherche dans la conception de l’objet.
À la Gaîté Lyrique, Olivier Ratsi entame ici un dialogue optimisé des œuvres avec l’espace architectural qui l’accueille. La nature immersive des pièces s’en trouve décuplée, tout comme la perception du spectateur.
« Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière » – Olivier Ratsi
Exposition-expérience
Jusqu’au 18/7/2021
La Gaîté Lyrique – 3bis rue Papin – 75003 Paris
https://gaite-lyrique.net/