Paco Rabanne a projeté la mode dans un autre univers
Paco Rabanne, créateur visionnaire qui a bouleversé les codes de la mode dans les années 60, vient de s’éteindre, à l’âge de 88 ans.
C’est grâce à « 12 robes importables dans des matériaux contemporains » que Francisco Rabaneda y Cuervo est devenu Paco Rabanne. Cela s’est passé un 1er février. On était en 1966 – donc avant Mai 68 – à une époque où la mode était encore très codifiée, et même compassée. La première collection du jeune artiste de 22 ans, fraîchement diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris, ne défile pas. Elle est présentée à la manière d’une profession de foi dans l’un des salons du très chic hôtel George V à Paris. Et rien que ce choix, dans la forme, a été considéré comme une révolution. Cela s’opposait à l’énumération, parfois fastidieuse, de toilettes qui se succédaient et qui est resté la base des défilés d’aujourd’hui encore.
Révolutionner les codes
Paco Rabanne a jeté un premier pavé dans la marre en inventant « le happening de mode ». Un événement qu’il faut vivre et savourer. Regarder, ressentir, se laisser surprendre et s’interroger. Le deuxième est beaucoup plus gros. Il concerne le fond (car la mode n’est pas qu’apparences, elle révèle beaucoup des époques qui la voient apparaître). Les douze micro-robes, dépassaient à peine de la culotte et étaient construites sans fil ni aiguilles mais avec des pinces, des chalumeaux et des anneaux métalliques et dans des matériaux rigides. Elles ne « servaient à rien , ne protégeaient ni de la nudité ni du froid », comme l’a lui-même reconnu « le métalo de la mode », mais elles ont littéralement révolutionné les codes vestimentaires. Elles ont fait de leur créateur l’un des couturiers les plus connus de notre époque. Plastiques, rhodoïds, pampilles de métal et sequins en alliage, céramique ou bakélite sont aux antipodes des tissus souples et fluides, synonymes de raffinement, sont entrés dans le monde de la couture grâce à lui.
Même si son nom est aujourd’hui surtout associé à une gamme de parfums chic et choc et un peu m’as-tu vu (One Million, XS, Fame) – et ce n’est pas pour rien –Paco Rabanne est l’un de ceux qui a poussé la jeunesse à renverser la table et à s’interroger. Il a habillé les icônes de l’époque, les premières femmes libres et inspirantes (Brigitte Bardot, Françoise Hardy, Jane Birkin, etc.) de ses créations les plus avant-gardistes. Ultra-courtes, relativement dénudées et brillantes, ses toilettes sont portées sur peau nue et bronzée, cheveux aux vents, pieds nus ou bottées jusque mi-cuisses. Les aficionados de cette petite marque extravagante sont à l’exact opposé des jeunes filles de bonnes familles à qui on avait envie de ressembler jusque-là. Ces créations descendent alors dans la rue, et toute la jeunesse s’est ensuite mise à imiter et adapter ce style rutilant et porté sur l’avenir jusqu’à l’apogée des années 80.
Une relève assurée
Soutenu et financé par le groupe catalan de cosmétiques et de parfums Puig depuis l’origine de la marque, le créateur d’origine basque a toujours eu les coudées franches pour exposer son univers flamboyant et iconoclaste. On a vu sur ses podiums (ou pseudo podiums) toutes sortes de matériaux, de formes, de techniques et de technologies –et même des vêtements qui clignotaient de mille feux, électrifiés. Comble de la créativité, comme un pied de nez à sa réputation de créateur de tenues importables et inconfortables, le fantasque styliste a même suggéré des assemblages de pastilles, sa marque de fabrique, dans des matériaux doux et moelleux. Depuis sa prophétie ratée d’apocalypse en 1999, il s’était retiré dans sa Bretagne chérie, là où sa famille s’était installée pour échapper au franquisme avant 1940. Locomotive du groupe Puig, aux côtés de marque comme Jean Paul Gaultier, Dries Van Noten, Nina Ricci et Carolina Herrera, Paco Rabanne poursuit son chemin sous le crayon de Julien Dossena. Il va continuer à revisiter à sa manière l’héritage de couturier futuriste.