« Le Mobilier national est le mobilier de la nation »
Fin avril, le Mobilier national annonçait un plan de relance pour les métiers d’art et le design d’un montant d’un demi-million d’euros, entre commission d’acquisition exceptionnelle, campagne de restauration et ventes aux enchères.
Rencontre avec Hervé Lemoine, directeur du Mobilier national pour préciser les grandes lignes de ces actions, et montrer comment l’institution entend bien être une actrice dynamique des réorganisations nécessaires dans un monde marqué par la pandémie.
Vous avez annoncé un fort soutien aux métiers d’art et du design,en débloquant des enveloppes pour des campagnes d’acquisition et de restauration sur le plan national. Une volonté de positionner le service public, en ces temps de crise, comme un acteur de la relance de la demande ?
Hervé Lemoine : Ces filières des métiers d’art et du design sont particulièrement fragilisées par la crise, il est essentiel que le service public se mobilise, en particulier pour aider des petites structures, des créateurs moins protégés – et en particulier les jeunes – pour les aider à traverses cette période difficile.
La campagne de restauration va porter sur des collections des années 30-50, comment s’est fait ce choix ?
H. L. : C’est une collection très complète, qui n’a d’ailleurs jamais été exposée, et qui demande pour la restauration des savoir-faire très pointus sur certains matériaux (parchemin, galuchat…) que nous n’avons justement pas dans nos ateliers ; cela permet de solliciter des maîtres d’art sur l’ensemble du territoire avec des expertises particulières, et par ces commandes, de les accompagner économiquement. L’objectif, à terme, est de montrer cette collection au public.
Justement, vous avez multiplié depuis deux ans des actions envers le public, entre la première participation aux Journées du Patrimoine, à la FIAC, la Design Parade, aux Journées Européennes des Métiers d’Art… Il y a cette volonté d’être plus visible, de multiplier les actions de diffusion ?
H.L. Le Mobilier national est avant tout le mobilier de la nation. Cet accès au public par la diffusion est essentiel pour qu’il comprenne ce que nous faisons, comment nous intervenons. En général, quand on pense au Mobilier national, spontanément on l’associe à la notion de patrimoine, de par les activités de restauration et de conservation de collection de mobilier depuis le XVIIe siècle. Mais l’aide à la création a toujours été présente, et la création contemporaine aussi, notamment depuis 1964 avec la création de l’Atelier de Recherche et Création. Une centaine de designers ont collaboré avec l’ARC, pour la conception de plus de 630 prototypes. Cette mission était bien sûr dans une approche créative expérimentale, autour de la technique, des matériaux, pour la production de pièces de très haute qualité, qui vont être diffusées ensuite dans des galeries, des musées d’art…
Et vous avancez aujourd’hui vers des activités de coédition, comme récemment la conception de la collection Hémicycle, désignée par Philippe Nigro en collaboration avec Ligne Roset.
H.L. : Oui c’est toujours dans l’idée d’être complémentaire, d’apporter un savoir-faire, des possibilités de prototypage qui n’auraient pu être testée en usine. Il ne s’agit pas d’une source de royalties – NDLR ; les royalties résultant de cette collection sont intégralement réaffectés à une aide à la jeune création – , il s’agit avant tout de promouvoir aussi des collections« labellisées » Mobilier national pour aménager par exemple des espaces publics, comme une vitrine de l’excellence française.
Dans vos annonces est mentionnée une vente aux enchères à l’automne, au profit des hôpitaux ?
Une précision importante sur ce point : nous n’allons pas mettre des trésors en vente ! Nous organisons régulièrement des ventes aux enchères avec du mobilier déclassé, qui par exemple, meublait des appartements de fonction au XIXe siècle, et qui font le bonheur de brocanteurs et d’antiquaires, et qui quittent ainsi nos entrepôts pour trouver des secondes vies chez des particuliers.
En revanche, ce qui est inédit, c’est l’affectation que nous souhaitons faire du produit de cette vente. Pour la première fois, nous proposons d’inscrire ce projet dans notre plan de soutien aux designers français, au service des hôpitaux.
En partenariat avec la Fondation de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris), nous allons identifier les besoins très concrets qui ont émergé, en écoutant les soignants, les usagers de ses services. Grâce au talent de nos designers l’expression de ces besoins sera convertie en projet, pour, par exemple, repenser certains espaces ou certains usages.
La somme récoltée lors de cette vente, va donc servir à financer ce projet : mobiliser les designers au moyen d’un appel à idées pour mettre à l’étude et concevoir un projet. En un mot, il s’agit de mettre le design et l’excellence de nos métiers au service des hôpitaux.
Tout cela, nous le ferons en partenariat avec la Fondation de l’AP-HP qui agit en lien direct avec les équipes de l’AP-HP pour soutenir l’organisation des soins, le personnel hospitalier et la recherche au sein des39 hôpitaux qui composent l’AP–HP.
Au Mobilier National, nous avons la conviction que le design va jouer un rôle clef pour anticiper nos modes de vie dans « le monde d’après », en repensant nos usages et notamment les structures de soin et de santé. C’est d’ailleurs une tradition pour le Mobilier National d’être un acteur engagé au service du public, en phase avec son époque. Notre Atelier de Recherche et de Création s’est toujours investi sur ces enjeux avec des designers de renom qui ont conçu des projets très intéressants comme des lits d’hôpitaux, avec Alain Richard dans les années 1970, des berceaux pour des services pédiatriques, ou bien encore des blocs sanitaires, avec par exemple le projet de Bernard Moïse.
Nous ne sommes plus les « ateliers royaux », nous sommes aussi acteurs de la création contemporaine, avec la dimension sociale qui y est attachée à notre mission de service public, et une attention forte portée à la jeune création.
Finalement, cette période de crise joue un rôle « d’accélérateur » de la politique que vous menez depuis deux ans autour de l’aide à la création contemporaine ?
Oui, les plans d’action d’acquisitions exceptionnelles auprès des designers et des éditeurs et galeries françaises viennent renforcer les divers appels à projets, à concours qui ont déjà été lancés. Et nous sommes là aussi pour soutenir les expressions artistiques par des savoir-faire que nous sommes seuls à maîtriser. Conservation, restauration, création, transmission, diffusion, recherche, nous avons avant tout une approche systémique dans notre démarche. « Moderne depuis des lustres » reste notre ligne de conduite, entre tradition et innovation. Et dans la période actuelle, il est essentiel pour nous d’accompagner les écosystèmes fragiles de la création.