
FRAC de Dunkerque : le transport des objets, objet de tous les transports
Labellisée Biennale internationale de Design Saint-Etienne 2022, La « Nef des Fous » ou la folie des transports au Frac Grand Large interroge l’objet dans son rapport très large au voyage, à travers une sélection d’objets design du Museum Design Gent, de films et œuvres d’artistes. Une exposition dont la scénographie étoffe un scénario fondé sur le tableau éponyme du peintre néerlandais Jérôme Bosch, à découvrir jusqu’au 31 décembre 2022.
Partant du postulat de la « folie » humaine des transports d’après-guerre, l’évènement débute, au 5ème étage du bâtiment, par une intelligente mise en situation de l’objet dans tous ses types de « transports » – affectif, géographique, monétaire… -, avec le film Provenance de la plasticienne vidéaste américaine Amie Siegel, évoquant la chaise « Chandigarh » du Corbusier. Composé d’une succession de longs travellings silencieux conférant au public l’impression de se déplacer, le film prêté par la Tate Modern met en avant le sens pluriel de cet objet iconique en fonction de ses contextes. Pièce stylée dans un intérieur occidental chic ou meuble de bureau fonctionnel, objet conditionné dans des entrepôts ou chargé sur un cargo en partance, la chaise repasse par Chandigarh, sa ville originelle. Le revers de l’écran évoque une vente aux enchères qui replace l’objet design dans sa dimension économique.


Le transport dans tous ses états
Au troisième niveau, cent pièces des années 1950 à nos jours provenant de la collection du Design Museum Gent dialoguent avec quelques-unes de l’institution, d’autres films et œuvres d’artistes. Tirant son titre du tableau éponyme de Jérôme Bosch dont la reproduction est visible dès l’entrée, mais aussi du texte de l’humaniste et poète allemand Sebastian Brandt, l’exposition, imaginée par la commissaire indépendante et autrice Mathilde Sauzet, nous emmène au cœur d’une « fiction de pêche miraculeuse sur le septième continent ». Sorte de métaphore matérielle de cette barque étonnante du XVIème siècle, au destin mystérieux, elle se décline en trois volets. Le premier, Vanity cases, célèbre nos objets de voyage, anciens et actuels, dans ce qu’ils ont de plus intime à l’homme mais aussi d’universel : un porte-préservatif en argent, une flasque d’alcool, mais aussi la première valise cabine, les iconiques plateaux-repas d’avion, une flanquée de « Tupperware », compagnons indispensables de nos sorties, dont une usine de fabrication est installée près de Gent…

Le second, Kitchen Tour, nous plonge au sein des foyers domestiques où il questionne indirectement la place de la femme après la seconde guerre mondiale. Cafetières, théières de tous âges, splendide service à thé et café de Zaha Hadid de 2003 côtoient non loin un ancien radio-réveil, un modeste grille-pain ou encore Ship Shape, petits récipients colorés en résine thermoplastique en forme de bateau de chez Alessi. Enfin, Self-Transports soulève le rapport affectif que nous tissons avec eux. Une cravate de Nathalie Du Pasquier est posée sur le dossier de la chaise longue « Prosim sedni » du designer architecte tchèque Bořek Šipek pour Driade des années 1980, près de « Feltri », fauteuil-trône de Gaetano Pesce et la « tavolo mobile infinito » créée par Studio Alchimia (Alessandro Mendini), comme des témoins, parmi bien d’autres, de mille histoires personnelles fantasmées.


Une scénographie adéquate au sujet
Cet « inventaire » matériel incarnant la notion de déplacement dans son rapport pluriel à l’humain, ne sortirait pas du lot si, au-delà de sa narration reliée aux méandres de l’art médiéval et de ses relations avec les films d’artistes, celui-ci n’était pas pertinemment mis en scène par le designer Julien Carretero. En effet, celui-ci pensa « La Nef des Fous » comme « une zone de transit, un centre de tri au sein duquel les objets et les œuvres se rencontrent pour un laps de temps avant d’être dispersés à nouveau ». En choisissant sciemment de nous embarquer dans des zones de fret transitoire, grâce aux contenants (cartons, palettes…) qui ont servi à faire voyager les pièces et aux « dispositifs ready-made » trouvés dans les réserves du Frac, sa scénographie durable ne magnifiant nullement le statut des objets de grandes ou plus modestes signatures, appuie avec justesse le propos. Non scientifique, fondée sur la sémiotique et la polysémie des objets, l’exposition qui livre ces derniers, tels quels, à l’appréciation du public, questionne les travers et l’avenir de notre société d’opulence. Dans l’air du temps.
