Designer la Flamme olympique : un défi complexe
Flamme olympique de Paris 2024, design Mathieu Lehanneur © Comité international olympique

Designer la Flamme olympique : un défi complexe

Inclassable, depuis son entrée sur la scène design, Mathieu Lehanneur mène des projets à la croisée de la science et des arts, dans une parfaite maîtrise de la complexité et de la poésie. Pas étonnant qu’il se soit lancé dans ce projet fou, à la forte symbolique universelle et extrêmement technique : designer la torche des Jeux olympiques de Paris 2024. Un challenge pour le professionnel aguerri, mais avant tout une aventure profondément humaine, sur laquelle il revient.

Les Jeux olympiques et paralympiques 2024 affirment clairement un positionnement pour des Jeux inclusifs et écoresponsables. Quelles étaient les indications sur le brief de départ pour la réalisation de la torche ?

Il n'y a pas eu de brief initial, cela nous a donné la liberté d'explorer de nouvelles idées et de nouveaux concepts en parfaite adéquation avec ces valeurs de Paris 2024. Nous avons seulement dû travailler autour de quelques contraintes techniques, comme le poids et la résistance de la flamme.

Mais la complexité du projet tourne dans cette double approche : la torche est un objet éminemment culturel, elle doit à la fois refléter des valeurs propres au pays d’accueil et parler à tous ? Comment avez-vous abordé ce dilemme ?

J’ai souhaité avant tout faire de la torche de Paris 2024 un symbole de cohésion, de partage et de transmission. À mon sens, cela incarne à la fois les valeurs de l'Olympisme et du relais lui-même. Je voulais que, dans sa forme, on retrouve cet aspect d'apaisement et de douceur. La torche ne devait aucun cas être un objet de performance ou de conquête. La torche n'est pas encore la compétition, mais le signe d’un moment de partage. Elle est la « clé » qui ouvre les Jeux. L’idée d’égalité est un concept universel, mais il est aussi très ancré dans notre culture et patrimoine. C’est un mot qu’on retrouve sur le fronton de nos mairies et c’est une valeur qui nous est chère en tant que français.

L’égalité est aussi un concept très fort dans ces Jeux, c’est la clé d’entrée pour lancer le processus créatif ? Quel a été le cheminement pour aboutir à la forme ?

Le processus créatif a d'abord consisté à se plonger dans les valeurs et la philosophie du Comité d'organisation des Jeux Olympiques, qui reposent principalement sur des valeurs d’égalité. Cette notion est effectivement centrale dans l’organisation de Paris 2024 : égalité d’ambition entre les Jeux olympiques et paralympiques, d’une part ; et parité parfaite entre athlètes femmes et hommes, d’autre part. L'idée a consisté à se nourrir de cette approche et trouver, comment, en termes de design, je pouvais lui donner une forme, et l'incarner à travers la torche. C’est la raison pour laquelle je l’ai dessiné tout en symétrie.

Et la base de la torche est polie, comporte des ondulations, un mouvement de l’eau (que l’on retrouve d’ailleurs chez vous dans d’autres créations). Une symbolique forte pour un objet qui porte la flamme ? Une façon de marquer ce positionnement particulier antérieur à la phase de compétition ? 

Le dessin et la conception de la torche se sont construits sur trois piliers principaux : l’égalité, l’apaisement et l’eau. Car Paris a été également une source d’inspiration. Je voulais que la géographie de la capitale, et notamment la place de la Seine, infuse le design de la torche. Ce fleuve est ici d’autant plus important qu’il sera le décor théâtral des Jeux, et la scène sur laquelle se déroulera la cérémonie d’ouverture. La torche se nourrit ainsi esthétiquement de la Seine qui lui donne, en partie basse, ces ondulations et reflets comme la surface reflétante de l’eau.

La torche olympique est un objet également un objet éminemment technique : elle porte la flamme qui ne doit pas s’éteindre depuis Olympie jusqu’à la ville hôte, quel que soit le moyen de transport. Comment le design répond à ce défi ?

C’est un objet d'une grande complexité technique : il doit répondre à des conditions climatiques potentiellement extrêmes. Nous avons d’ailleurs organisé plusieurs phases de test à la Factory (1), notamment avec d’immenses ventilateurs. La torche intègre un système de brûleur alimenté par une cartouche de gaz qui permet de maintenir la flamme allumée. Elle ne peut pas et ne doit pas s’éteindre, c’est d’ailleurs l’élément le plus important à prendre en compte dans la création de cet objet hautement symbolique. Et lorsqu’on crée la torche, on dessine aussi la flamme en elle-même ; le diamètre de l’ouverture conditionne la forme et le choix du métal a une incidence sur la couleur. Après les phases d’essai, nous avons décidé d’ajouter une fente verticale sur la partie haute de la torche, au niveau de l’ouverture, afin de dédoubler la flamme et créer une « chevelure de feu ».

Toute la symbolique de la torche olympique tient dans le passage du relais, avec une grande diversité dans les porteurs de la flamme. Comment avez-vous avez abordé cette contrainte sur le plan design ?

Nous nous sommes évertués à réduire le poids de la torche pour atteindre 1,6 kg afin qu’un jeune enfant puisse la porter. L’épaisseur de la feuille d’acier ne dépasse pas 0,7mm, c’est presque autant qu’une feuille de papier. Pour la prise en main, nous avons fait de nombreux tests car c’est la première fois qu’une torche joue d’une symétrie parfaite entre la partie haute et la partie basse. Nous nous sommes rapidement rendu compte que les gens la tenaient à des endroits différents en fonction de la taille des mains. 

Pour cette feuille, vous avez travaillé avec ArcelorMittal et Guy Degrenne ?

La torche est entièrement fabriquée en France et elle est faite d'un acier 100 % recyclé, ce qui réduit considérablement l'empreinte carbone de la production. Cet acier a eu de multiples vies avant d’être utilisé pour la Torche, il a peut-être été une voiture, une chaise ou une structure de bâtiment. Ce choix de matériau souligne une volonté de concevoir des créations qui résistent à l'épreuve du temps tout en réduisant l'impact sur l'environnement. 

Combien de torches sur le parcours ? Est-ce exactement la même torche pour la cérémonie d’ouverture ?

Pour les éditions précédente, 10 000 à 12 000 torches sont généralement produites - soit à peu près le nombre de relayeurs. Cette fois-ci nous avons réduit leur nombre à 2000 unités dans l’optique de diminuer notre empreinte environnementale.  

Ce n’est encore que le prélude aux Jeux olympiques au moment où nous échangeons, mais quel est déjà votre premier constat ?

Aujourd’hui, ce que je retiens, c’est la quantité de messages reçus et ce, par une immense diversité de personnes ! L’adhésion a été totale, autant des d'athlètes eux-mêmes, que d’enfants, d’adolescents, de connaisseurs ou de néophytes ; des messages enthousiastes de Français bien-sûr, mais aussi bien au-delà de nos frontières ! La preuve qu’une fois qu’elle apparaît, la torche olympique appartient à la Terre entière.  

Rédigé par 
Nathalie Degardin

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20/2/2025
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Le Grand Palais héberge jusqu'au 31 mars 200 créations de la maison italienne Dolce & Gabbana. Une mise à l'honneur maximaliste des savoir-faire italiens sur fond d'architecture.

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Conçue comme une succession d'univers imaginés par l'Agence Galuchat et produite par IMG, l'exposition initie une résonance entre le cadre et les tenues. Sur fond de grands airs épiques issus de l'opéra ou de films, la scénographie plonge le visiteur dans 10 thématiques pensées comme des micro-architectures au sein desquelles les créations ont été rassemblées de manière thématique. Reprenant tantôt les codes visuels des habits, tantôt le cadre des défilés ou celui à l'origine du dessin, le décor offre une déambulation faite de ruptures successives. Une manière d'insister sur la diversité de la marque, mais également la richesse culturelle de l'Italie. Mettant en avant des savoir-faire comme la mosaïque, la miroiterie ou encore le stuc, « Du cœur à la main » rend hommage à toutes les petites mains, et pas seulement celles de la mode. Une déambulation extravagante et festive mais surtout divinement italienne, à ne pas rater en dépit de son coût... également extravagant.

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18/2/2025
La Redoute s’associe à huit designers pour le projet « Les Uniques »

Dans le cadre du projet « Les Uniques », La Redoute Intérieurs a fait appel à huit designers pour personnaliser une pièce choisie parmi les collections La Redoute, avec une seule règle : qu'il n'y en ai aucune. Une initiative qui donnera lieu à une vente aux enchères le 11 mars prochain, au sein de l’Hôtel Drouot.

Kevin Germanier, Jeanne Friot, Mathieu Tran Nguyen, Elisa Uberti, Benjamin Benmoyal, Charles de Vilmorin, Pascaline Rey et Alexandre Blanc : voici les huit créateurs sélectionnés pour participer à ce projet d’envergure lancé par La Redoute Intérieurs. Intitulé « Les Uniques », ce projet de collection capsule a un objectif simple : donner une seconde vie à des pièces de mobilier issues de la boutique Les Aubaines, située à Roubaix. L’occasion pour ces créateurs, issus de divers horizons du design, d’exposer leur singularité et leur personnalité à travers une pièce unique.

Les Uniques x Pascaline Rey © La Redoute
Les Uniques x Alexandre Blanc © La Redoute

Manifeste créatif

Au-delà du projet créatif et caritatif, ce projet soulève une question plus large sur notre rapport aux objets et à leur temporalité. En effet, certaines pièces, une fois transformées, sont méconnaissables et laissent penser qu’il est possible de réinventer le mobilier à l’infini à partir d’objets existants. Un travail de pièce unique qui porte également un message et un engagement sur l’avenir du design. Mais jusqu’où peut-on déconstruire et réécrire un design sans en effacer l’âme ? C’est justement la question que se sont posée les huit invités du projet.

Les Uniques x Kevin Germanier © La Redoute

Huit créations singulières

Connu pour son travail sur le tissage de bandes magnétiques VHS, Benjamin Benmoyal s’est emparé du fauteuil en rotin Malu pour l’habiller d’un tweed étoilé, faisant de l’assise une extension de ses explorations textiles. Alexandre Blanc, quant à lui, dont la pratique oscille entre peinture et couture, transforme la table en chêne Adelita en un tableau en trompe-l’œil, jouant sur les ombres et les transparences pour en exalter les lignes architecturales. Avec Charles de Vilmorin, la méridienne Tapim devient un écrin textile, revêtue d’un jacquard sur-mesure tissé dans la plus pure tradition lyonnaise.

Les Uniques x Benjamin Bnemoyal © La Redoute

Jeanne Friot, de son côté, impose son langage mode en sanglant un duo de chaises Sarva avec ses ceintures signature. Pour Kevin Germanier, qui s’est attaqué au luminaire Moricio, l’objet devient sculpture, saturé de perles brodées et oscillant entre artefact décoratif et œuvre précieuse, dégageant un éclat baroque. Pascaline Rey, quant à elle, opte pour une approche contemplative en intégrant au bureau Tristan une céramique évoquant une banquise suspendue, entre rêverie et fragilité du monde.

Les Uniques x Charles de Villemorin © La Redoute

Chez Mathieu Tran Nguyen, la desserte Hiba initialement métallique, disparaît presque sous les ajouts sculpturaux de bois laqué, rappelant les jeux de panneaux et de paravents. Enfin, Elisa Uberti, fidèle à son approche du design sculptural, insère une lampe en céramique directement dans la structure de la desserte Crueso, abolissant la frontière entre mobilier et œuvre d’art.

Les Uniques x Elisa Uberti © La Redoute
Les Uniques x Jeanne Friot © La Redoute

Une vente aux enchères caritative

Pour ce projet collectif multidisciplinaire, La Redoute Intérieurs exposera dans un premier temps les huit pièces du 7 au 11 mars prochain au sein d’une salle de l’Hôtel des Ventes Drouot. Puis, le mardi 11 mars à partir de 19h, une vente aux enchères exclusive aura lieue et sera retransmise en direct sur le site internet de ce dernier. Tous les bénéfices de la vente seront ensuite reversés à l’association Solfa (Solidarité Femmes Accueil), qui vient en aide aux femmes et aux enfants victimes de violences. Cette association, soutenue par La Redoute depuis de nombreuses années, renforce l’aspect solidaire de ce projet unique.

Les Uniques x Mathieu Tran Nguyen © La Redoute
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17/2/2025
Une collection en carbone dessinée par Emmanuel Gallina

Le designer français Emmanuel Gallina signe la première collection de la jeune marque de mobilier en fibre de carbone, Belull.

C'est une aventure qui débute la tête dans les nuages. « Tout a commencé lors d'un vol Bordeaux-Milan, où j'ai rencontré par hasard Stéphane Lull, le PDG d'Epsilon composite, une entreprise du Médoc spécialisée dans les tubes en fibre de carbone. » Une conversation, un échange de contact et bien des années plus tard, une proposition. « Bénédicte Lull m'a recontacté avec le projet de créer une marque de mobilier à partir de tubes en carbone ne répondant pas aux critères requis par l'industrie. Cette idée de concevoir du mobilier en s'appuyant sur le savoir-faire de l'entreprise et en valorisant des morceaux inutilisés m'a plu et j'ai dit oui ! » Entamée en 2021, cette collaboration est à l’origine de 27 pièces diversifiées, de l’étagère au miroir en passant par le banc. Un corpus à l’apparence « technique mais néanmoins chaleureux ».

La table Gustave nommée en hommage à ingénieur Gustave Eiffel, est le fruit d'une réflexion sur la manière dont rigidifier la structure en carbone, un matériau relativement flexible ©Cécile Perrinet Lhermitte

Une initiation

Véritable découverte pour le designer, le matériau est rapidement soumis à toutes sortes d'expérimentations. « Contrairement au tube en aluminium ou en acier auxquels elle peut s'apparenter, la fibre de carbone, à la fois légère et très résistante, est beaucoup moins rigide que le métal. Il a donc fallu bien maîtriser l’élasticité des tubes et des plats, puis chercher comment rigidifier les structures, avant de continuer. » Une étape de développement étalée sur plusieurs mois en amont desquels plusieurs typologies d'objets avaient été identifiées. « À ce moment-là, nous avions aussi la contrainte de réaliser des choses simples, car Bellul n'avait pas encore d'espaces de fabrication. Il a donc fallu s'organiser avec des ateliers extérieurs » raconte Emmanuel Gallina.

La table bijoux en quartz bleu joue sur le contraste de ses diamètres et la dualité des surfaces renforcées par les couleurs ©Cécile Perrinet Lhermitte

La fibre de carbone, mais pas seulement

« L'une des particularités du tube de carbone, c'est le tressage de la fibre, assez lisible en surface. » Un rendu « froid et technique » que le designer a associé à d'autres matériaux nobles comme le bois (chêne naturel et noyer) ou le marbre de Carrare. « Nous aurions pu le laisser brut, mais j'ai souhaité éviter l'approche monomatière car cela ne correspondait pas au marché de l'habitat. Il fallait donc amener de la chaleur avec un contraste qui ne soit ni froid ni agressif, mais qui puisse s'intégrer naturellement et de manière fluide avec le carbone. » Une manière de créer par ailleurs une dualité entre la zone structurelle, c'est-à-dire le piètement, et la partie décorative qu'est le plateau. Une jolie collaboration qui rime avec valorisation.

La console Kumo - qui signifie nuage en japonais - est un homme au pays du soleil levant avec lequel Epsilon Composite collabore sur de nombreux projets ©Cécile Perrinet Lhermitte
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13/2/2025
Au MAD, l'intimité s'expose

Le Musée des Arts Décoratifs propose jusqu'au 30 mars de pousser la porte de la chambre, espace d'intimité par excellence, dont l'évolution des usages traduit près de 400 ans d'histoire de la société. Une exposition tout autant indiscrète qu'intéressante.

Regarder par la serrure. Voici l'indiscrétion à laquelle la Musée des Arts Décoratifs de Paris invite ses visiteurs jusqu'à la fin du mois de mars. Dans une sorte de rétrospective dédiée à l'un des espaces les plus impénétrables de nos intérieurs, le MAD propose de porter un regard chronologique du XVIIIe siècle à nos jours. Condition sine qua non à l'indépendance et à l'émancipation pour Virginia Wolf, la chambre, à soi ou partagée, est le témoin privilégié de l'évolution sociétale de nos us et coutumes. Tout à la fois théâtre de la vie intime et décor de mises en scène à vocations sociales, elle illustre depuis toujours la porosité entre sphère publique et privée. Une fluctuation de la frontière évoquée au travers de douze thématiques.

In-situ de l'exposition "L'intime, de la chambre aux réseaux sociaux", MAD Paris © Luc Boegly

L'objet engendré par l'époque

Tantôt espace de restriction des libertés dont la femme fut la première touchée, tantôt espace d'expression avec l'arrivée progressive de la technologie, la chambre est avant tout un microcosme dont l'évolution progressive demeure très liée à la société, entraînant la création de nouveaux objets. Matérialisations de courants de pensée, tous témoignent d'une époque. L'hygiénisme du XIXe siècle voit ainsi se développer une multitude de pièces. Les baignoires intègrent la chambre à mesure que de nouveaux ustensiles de coquetterie débarquent, devenant des supports aux designs les plus en vogue. En témoignent les bourdaloues - pot de chambre féminin – dont l'usage se démocratise, et les exemplaires se déclinent plus ou moins richement. Le XXe siècle est également celui des mutations sociales rapides. La révolution sexuelle offre une nouvelle perception du désir et du plaisir intimement liés à la chambre. Un sujet que des artistes comme David Hockney ou Zanele Muholi immortalisent sur différents médiums, et sur lequel nombre de designers travailleront plus tard, notamment avec la démocratisation des sex-toys.

In-situ de l'exposition "L'intime, de la chambre aux réseaux sociaux", MAD Paris © Luc Boegly

Mais les bouleversements modernes sont également sources d'inspiration pour de jeunes esprits novateurs, futures références du design. Parmi eux, Verner Panton dont la Living tower incarne la volonté d'un repli protecteur, très vite remplacé par le besoin de communier dans les 70's. Une époque où entrent alors en scène des studios stars comme Archizoom, Memphis ou bien plus récemment, les frères Bouroullec.

In-situ de l'exposition "L'intime, de la chambre aux réseaux sociaux", MAD Paris © Luc Boegly

La technologie au pied du lit

Le poste radio, le walkman, le minitel rose, les téléphones portables ou encore la téléréalité. Depuis près d'un demi-siècle, l'intimité de la chambre à coucher se trouve bousculée par l'arrivée de supports médiatiques extérieurs. Plus petits, moins bruyants (parfois), plus complets, tous ont su convaincre leur public. Un fait auquel l'exposition dédie la fin de son parcours. Affichés en grand, les réseaux sociaux et leurs personnalités lifestyle les plus influentes comme Léna Mahfouf ou Sophie Fontanel, font désormais partie intégrante de notre intimité partagée. Un constat sur lequel s'ouvre un espace dédié à la surveillance. Un lieu d'interrogation utile après ce balayage historique rapide depuis les toiles d'Antoine Watteau et Edouard Vuillard situées à quelques mètres de là, si proches et si lointaines. Donnant la possibilité au visiteur de coucher sur le papier ses pensées, la dernière salle de l'exposition propose de renouer avec l'intimité ultime, celle que l'on entretient avec sa propre personne.

In-situ de l'exposition "L'intime, de la chambre aux réseaux sociaux", MAD Paris © Luc Boegly
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