Matières
La marque belge Ethnicraft, spécialisée dans le mobilier en bois massif, crée ses collections depuis son siège à Boom, sous la supervision de son designer intégré depuis 25 ans, Alain Van Havre.
Basée à Boom à quelques kilomètres d’Anvers, dans la Belgique flamande, la marque de mobilier Ethnicraft fondée il y a 25 ans par Benoit Loos et Philippe Delaisse, a fait du bois massif sa spécialité. Avec une production oscillant entre la Belgique et l’Indonésie, où réside l’un des fondateurs, la marque s’est forgé une identité forte au fil des années, en incluant notamment des inspirations et savoir-faire indonésien au sein de ses collections. En interne, le design est imaginé par Alain Van Havre, qui depuis son bureau au sein du siège, imagine et créer les pièces des collections iconiques de la marque, et ce, depuis ses débuts.
Design et production internes
Chez Ethnicraft, toute la production se fait en interne, au sein de ses usines en Indonésie, en Belgique et Serbie (pour les produits en chêne). Pour assurer une livraison rapide à ses revendeurs - puisqu’il n’existe pas d’espaces de ventes Ethnicraft -, la marque a fait le choix d’avoir 80 à 90 % de son stock réparti dans ses usines à Boom, Marseille et aux Etats-Unis. Au niveau du design, celui-ci est assuré par le designer Alain Van Havre, présent depuis les débuts de la marque. Véritable passionné de la matière, celui qui est passé par Eindhoven procède par ce qu’il appelle un « processus inversé » pour imaginer ses pièces. « Le travail de la matière physique et le toucher a une réelle importance pour moi. Du coup, je crée d’abord des maquettes physiques des objets avant de les digitaliser. Étant donné que tout le processus se passe en interne, c’est presque plus simple de passer par ce processus pour faire valider une pièce » explique-t-il. Des pièces miniatures et des prototypes réalisés en collaboration avec Guy, luthier de formation, qui pense réellement la forme de l’objet avant même sa vision 3D. « Ce procédé permet de laisser la place aux accidents et évolutions de l’objet. C’est ça qui permet d’arriver au produit final » ajoute Alain Van Havre.
PI, nouvelle collection parfaitement imparfaite
Présentée lors du salon Maison & Objet en janvier dernier, la nouvelle collection PI - Polished imperfect -, propose une gamme complète de mobilier à savoir une table, une table basse, un buffet, des étagères murales, un banc, une console, une table d’appoint et un porte manteau.
Par ailleurs, la marque dévoilera en exclusivité lors du salon de Milan la dernière pièce maîtresse de sa collection ; la chaise PI, dont le design est inspiré de la nature de la collection PI, tout en restant fidèle aux racines d’Ethnicraft. Celle-ci sera disponible à partir de l'automne 2024.
Elle s’accompagne également d’une sélection d’accessoires comportant miroir, serre-livres, patères et bougeoir. Une collection décrite comme une ode au vivant et à la nature, dont le nom fait référence à un travail de caractère et d’authenticité de la matière, en réintroduisant notamment l’imperfection des objets. « Quand on voit que les gens s’approchent et ont envie de caresser les meubles, c’est là que le pari est réussi » témoigne Alain Van Havre. Plus largement, le designer explique qu’il aime à proposer des pièces qui ne sont pas statiques afin de standardiser l’imperfection et « la polir de manière à ce qu’elle devienne multipliable. »
Elargir le champ des projets avec Live Light et Re-loved
Fondée en 2020 par Prisca d’Oultremont et Stefan Dusart, Live Light est une plateforme de location de meubles. Avec des bureaux situés à quelques mètres du siège d’Ethnicraft, le principe de Live Light est simple : proposer des meubles à la location pour une durée de 6 à 48 mois. Plus largement, l’idée de Live Light était d’entrer dans une démarche éco-circulaire. Ainsi, 90 % des meubles proposés proviennent de pièces Ethnicraft parmi une sélection précise, complétées par des luminaires DCW Editions et des sièges de bureau Flokk.
Actuellement, Live Light compte plus de 1000 abonnements professionnels (60 %) et particuliers (40 %). Et depuis 2022, Ethnicraft a lancé la plateforme Re-loved, qui propose des pièces reconditionnées, revendues ensuite à un prix allant de -40 % à -60 % par rapport au prix d’origine. Une belle initiative qui demande l'intervention de 5 artisans qualifiés et permet ainsi de donner une seconde vie aux produits, toujours dans une démarche d’éco-circularité.
Maria Pergay s’est éteinte le 31 octobre dernier à l’âge de 93 ans. Créatrice majeure dans le champ des arts décoratifs français, elle ne se considérait ni comme designer, ni comme décoratrice. Ce qui l’animait avant tout, c’était cette joyeuse collaboration avec ses précieux artisans…
Elle était arrivée à Paris à la fin des années 1930 après avoir fui la Moldavie avec sa mère. Pour subvenir à ses besoins, elle avait d’abord décoré des vitrines de magasins de haute couture tels Hermès ou Durer. C’est à ce moment qu’elle a découvert le monde des artisans, en réalisant des sculptures d’oiseaux en Vitrex avec l’aide d’un serrurier. Puis par ses participations aux salons Bijhorca, elle se fit connaître du Tout-Paris. Divers futurs collaborateurs pousseront la porte de son enseigne Place des Vosges, dont le producteur d’acier d’Uginox, Gérard Martel. C’est ainsi qu’elle commencera à explorer l’inox, matériau, selon elle, « aussi précieux que le plus précieux des bois ». Elle concevra pour Uginox des pièces voluptueuses aux formes gracieuses et sensuelles tel Tapis volant (1967-1968). Arrivera ensuite sa désormais iconique chaise Anneau (1967-1968), idée survenue pendant qu’elle pelait une orange.
Jamais elle ne dessinait, sa bonne entente avec les artisans lui permettait de travailler directement à l’atelier ou à l’usine. « Dans beaucoup de manufactures, il y a souvent un seul homme qui sait effectuer un travail bien spécifique, confie son fils Alexis Pergay. Chez Uginox, un seul ouvrier savait faire les reprises de soudure propre au mobilier de Maria. Elle aimait travailler avec lui car elle comprenait et visualisait parfaitement les contraintes. »
Une reconnaissance internationale
Puis la collaboration avec la maison Jansen lui permettra de se faire connaitre à l’international. Elle meublera le palais présidentiel de Bourguiba à Carthage, l’amenant à devenir, de fil en aiguille, la décoratrice attitrée des palais saoudiens et de l’aristocratie des pays du Maghreb. Après l’achèvement de ces chantiers pharaoniques, ça sera au tour de la galeriste Suzanne Demisch de la contacter : « La rencontre avec Suzanne va lui permettre de créer des pièces démentielles, raconte Alexis. Maria était vraiment boostée par Suzanne, elles étaient très complices ». Apparaissent alors des pièces d’inox incrustées de délicats motifs en bois précieux, nacre et galuchat. En cela, la rencontre avec le jeune ébéniste Hervé Morin et son atelier MAONIA sera déterminante. D’un tempérament fidèle, c’est désormais avec lui que Maria Pergay poursuivra l’aventure.
Régulièrement présents sur le stand de la galerie Demisch-Danant aux plus grandes foires d’art international comme la TEFAF, l’œuvre éloquent de Maria Pergay s’inscrit dignement dans l’histoire des Arts décoratifs français. Intramuros lui rend un dernier hommage en republiant un témoignage qu’elle avait confié à Suzanne Demisch : « Une chose qui me surprend et qui est un grand honneur, ce sont toutes les personnes qui m’ont aidée à fabriquer mes objets. C’était dur de trouver des gens qui voulaient les fabriquer. Un jour, quand j’ai visité un atelier pour la première fois, les jeunes artisans m’ont tous dit qu’ils ne savaient pas comment faire ce que je voulais. J’ai alors demandé au plus vieux, celui qui avait travaillé sur les meubles Louis XV, des années avant. Il m’a dit : « Vous êtes sûre que vous voulez faire ça ? ça va coûter cher ». J’ai répondu que plus un objet demandait de travail, de précision, d’habileté, plus j’étais contente. Et il a commencé à travailler comme un jeune homme. Ils m’ont tellement appris ».
Formée en arts appliqués à l’école Duperré à Paris, Jeanne Goutelle s’est spécialisée dans l’art de la passementerie. Tissage, noeuds, tresses… Les techniques et les matières n’ont plus de secrets pour elle. Sensibilisée à l’Upcycling, toutes ses créations sont faites à partir de chutes de tissus. Après un passage à la « Biennale du Design » de Saint-Etienne en 2019 et une participation à l’exposition « Objet Textile » de Roubaix en 2020, Jeanne Goutelle s’est vu relever un défi d’envergure : décorer le bureau du président de la commission européenne à Bruxelles, dont la France prend la direction en Janvier 2022.
Fille et petite-fille d’architecte, Jeanne Goutelle confie avoir été nourrie depuis toujours par l’univers du textile et de la création. Après des études à Paris et deux ans passés en Angleterre à forger son identité créative, elle est retournée vivre à Saint-Etienne, ville dans laquelle le textile est très présent, notamment via son passé lié à la rubanerie. Forte de ses vingt années d’expérience, elle qualifie son travail comme étant « à la croisée de l’art, du design et de l’artisanat, je ne veux pas cloisonner ».
L’upcycling comme une évidence
C’est au cours de son expérience dans une usine de maille que Jeanne Goutelle a eu le déclic concernant l’upcycling. Au sein même du processus de fabrication, elle a été frappée par les pertes engendrées lors de la production. « J’étais mal à l’aise avec le fait que personne ne cherche de solutions intermédiaires à ces pertes ». Pour y remédier, elle a démarré sa propre démarche responsable en se rapprochant d’industriels qui accepterait de lui redistribuer leur pertes. Une idée qui a été très bien reçue dès son premier échange auprès de l’usine de textile SATAB, qui est resté son premier fournisseur depuis fin 2017. Elle s’est donc éloignée du monde de la mode qui ne correspondait aux valeurs durables qu’elle souhaitait développer dans ses œuvres et s’est ainsi lancée à son compte début 2018.
Jeanne Goutelle Atelier : 3500 références de matières
Avec les dons dont elle dispose, Jeanne Goutelle compte près de 3500 références de matières (rubans, tresses, sangles). Une multiplicité de matières pour une infinité de processus créatifs : « Je suis convaincue que tout le monde est créatif, mais certains mettent du temps à l’accepter ». Pour créer, elle utilise 3 techniques différentes : le tissage qui lui permet de superposer plusieurs matières comme le tissu, le ruban et les sangles ; le noeud qu’elle développe avec la technique du crochet et qui offre une infinité de modèles et enfin les tresses, procédé pour lequel elle travaille à partir de modules.
Si Jeanne Goutelle accorde une importance particulière à l’aspect durable de ses créations, elle n’en oublie pour autant pas l’aspect esthétique qui garde une place imporante : « Je veux montrer qu’on peut faire de belles choses à partir de l’upcyling et que l’on peut créer des oeuvres durables dans le temps » .
Une ascension de projets
En 2019, Jeanne Goutelle expose son travail à la Biennale du Design de Saint-Etienne et se fait remarquer par son procédé et ses paravents d’envergure. Début 2021, Jeanne Goutelle s’est chargée de la décoration de l’enseigne de prêt-à-porter pour homme « Bonne Gueule » à Lille. Une boutique sensibilisée par sa démarche d’Upcycling et qui a souhaité suivre l’exemple. De fait, pour le projet, tous les tissus utilisés pour décorer les portants de la boutique sont issus de chutes de tissus de l’usine de fabrication des vêtements de la marque.
Pour autant, ce projet n’a pas été le seul d’envergure pour Jeanne Goutelle. Aux côtés de l’architecte et scénographe Adeline Rispal, elle a été sélectionnée pour l’aménagement des salons du Conseil de l’Union Européenne pour la présidence Française, effective six mois à partir de Janvier 2022. Baptisé Intersection(s), le fil conducteur de ce projet était de représenter les liens de l’Europe à travers le tissage. Inaugurés le 10 janvier, le projet a nécessité le travail de 4 personnes pendant 4 semaines au sein de ses ateliers à Saint-Etienne.
À l’occasion de la réouverture des lieux culturels, l’exposition « Matières à l’œuvre- matière à penser, manière de faire » est prolongée jusqu’au 9 juin à la Galerie des Gobelins. Une occasion de voir une cinquantaine de pièces d’exception.
Initialement prévue pour les Journées européennes des métiers d’art en avril, l’exposition « Matières à l’œuvre – matière à penser, manière de faire » rassemble à la Galerie des Gobelins une cinquantaine de pièces extrêmement variées réparties autour de trois thématiques : « Matières, sources et ressources », « Matières hybrides, augmentées, transformées, recyclées » et « Matières à rêver ».
Toutes les œuvres présentées ont été réalisées par des créateurs français et mettent en avant un savoir-faire d’excellence. Au fil du parcours, on retrouve avec plaisir des pièces d’exception d’éditeurs comme Atelier SB26 — avec une superbe table et lampe à poser – ou d’artisans comme Creanog, qui expose un sublime coffret réalisé pour la Villa Cavrois. Parmi les exposants labellisés EPV, on notera aussi la présence pour le verre de Bernard Pictet et pour le métal d’Atelier Pouenat.
L’exposition offre bien entendu son lot de découvertes, avec notamment le très étonnant bahut d’ARCA Ebénisterie, conçu par Steven Leprizé et réalisé en WooWood , une technologie qui associe de la marqueterie à un revêtement textile qui lui donne une souplesse très intrigante. Pour le travail de la matière, on retient aussi les recherches de Jeanne Guyon et sa suspension Pinto composées de lièges et de faïence de terre local, les suspensions en verre marin de Lucile Viaud, et les transformations surprenantes de William Amor.
Jusqu’au 9 juin.
Ouverture du mardi au dimanche de 11h à 18h,
Réservation obligatoire sur le site www.journeesdesmetiersdart.fr,
42 avenue des Gobelins 75013 Paris