Design : Next Gen – Françoise Seince : « être créateur est une aventure entrepreneuriale »

Design : Next Gen – Françoise Seince : « être créateur est une aventure entrepreneuriale »

Les Ateliers de Paris accompagnent de jeunes créateurs dans le secteur de la mode, des métiers d’art et du design sur une durée de deux ans. Sa directrice, Françoise Seince, revient sur l’évolution des profils des résidents passés entre ses murs depuis quinze ans.


Françoise Seince , Directrice des Ateliers de Paris © Matthieu Gauchet

Comment s’est passée l’ouverture des Ateliers de Paris ?

Les Ateliers de Paris ont ouvert en 2005, et nous avons accueilli le premier incubateur sur le site en septembre 2006, avec cette volonté de la Ville de Paris d’avoir un lieu de convergences, un lieu ressource pour tous les professionnels du territoire comportant un focus sur l’aide et le soutien à la création d’entreprises. Nous avons dès le départ proposé des formations, et des consultants ont reçu les professionnels en rendez-vous individuels. Les formations sont ouvertes à tous, les tarifs sont d’ordre symbolique pour ne pas être un frein pour les apprenants. Nous accompagnons 35 résidents pendant deux ans qui bénéficient de rendez-vous dans leur forfait accompagnement.

Dès l’origine, les Ateliers de Paris ont pensé la création dans un sens large puisque l’incubateur concerne aussi bien les métiers d’art, la mode et le design. C’est ce qui fait votre force aujourd’hui ?

À l’époque, nous avons été critiqués pour cette association, on nous objectait que personne ne serait bien accompagné. Ces trois secteurs ne sont bien sûr pas interchangeables, mais il y a beaucoup de récurrences, en termes d’accompagnement économique, beaucoup de freins sont comparables. La synergie que nous avons essayé d’initier à cette époque-là a été confirmée par le temps. Aujourd’hui, nous ne sommes plus les seuls à avoir ce type de regroupement. Cela m’avait beaucoup frappé en allant à l’étranger de voir la porosité plus grande que l’on trouvait entre ces secteurs alors qu’en France chacun est sur son pré carré. Au London Festival par exemple, beaucoup d’artisans d’art exposent avec des designers, les créateurs de mode sont présents, car il y a beaucoup de propositions autour du design textile, un secteur qui s’est redynamisé au fil des années. Encore une fois, designer et créateur de mode sont deux métiers différents, on est bien d’accord, mais il s’agit de démarches créatives, de processus parfois comparables en termes de digestion des sources d’inspiration et d’adaptation à son produit. Cela nous semblait intéressant de les associer et de créer ces synergies.

Votre accompagnement des résidents porte avant tout sur la définition de leur modèle économique ?

Les Ateliers de Paris, c’est avant tout une grande famille. Quand on passe deux ans avec les gens au quotidien, il y a une grande proximité qui se crée avec eux. On les aide à avoir confiance en eux, à vraiment comprendre leurs atouts, leurs singularités, ce qui va leur permettre de se distinguer, sur un marché qui n’attend personne, car il y a beaucoup de monde sur le marché. On les fait beaucoup travailler sur leur stratégie, prendre conscience de leur valeur, de la nécessité de facturer au juste prix pour ne pas se brader et pouvoir vivre de leur travail, on leur fait mettre en regard leur taux horaire et le temps professionnel dont ils disposent. Tous ces éléments-là les aident à avancer, à se construire, à être plus sûrs d’eux, capables de revendiquer ce qu’ils sont et le prix qu’ils valent. Et c’est un gros travail auquel bien évidemment les écoles ne préparent pas aujourd’hui, parce qu’elles ont déjà beaucoup à leur apprendre et que les porteurs de projets sont beaucoup plus réceptifs quand ils sont confrontés à la question après leur scolarité. C’est un travail plus que nécessaire, et qui permet un taux d’insertion professionnelle très important. Ils ne restent pas nécessairement chef d’entreprise, ils rejoignent parfois des entreprises comme salariés.

Ce qui compte aussi pour les designers, c’est de leur faire prendre conscience ce qu’est une entreprise, que c’est une activité économique : ils sont souvent designers et pas entrepreneurs dans la tête. Quel que soit leur statut, il faut qu’ils aient en tête que c’est du business, dans une industrie culturelle et créative certes, mais c’est du business. Ils sont tous artistes et auteurs, mais c’est avant tout une aventure entrepreneuriale, c’est ce pour quoi ils sont chez nous.

Vous êtes en lien avec d’autres réseaux, comme Make ICI ?


Depuis quelque temps, nous avons un groupe de réflexion avec le réseau Make ICI et d’autres acteurs de l’accompagnement. Nous partageons les difficultés auxquelles nous faisons face, la façon dont nous arrivons à les résoudre. Je suis très admirative du travail de Make ICI, ce sont des initiatives pérennes, le réseau est bien pensé, je suis très souvent sollicitée par des villes qui veulent créer des incubateurs, je le cite beaucoup en exemples pour leur modèle économique intéressant, leur ouverture d’esprit.

En créant les Ateliers de Paris, l’idée était aussi de décloisonner les savoir-faire et leurs complémentarités entre designers et artisans ?


Au fil de ces quinze ans, on a commencé à voir un intérêt foudroyant pour les savoir-faire, qui a confirmé cette question de fond. C’était l’ironie du sort. J’ai reçu de nombreuses demandes d’étudiants, de professeurs, qui cherchaient à entrer en contact avec des artisans. On a commencé à voir que cela allait de pair, mais malgré tout on n’a rien inventé, on revient juste aux fondamentaux ! Autre phénomène intéressant : l’enseignement a changé. Aujourd’hui les étudiants ont des profils multiples. Je pense à des gens comme Pierre Favresse qui a un DMA en ébénisterie, puis en marqueterie puis qui a fait les Arts Déco. Ou Elise Fouin, Jean Sébastien Lagrange, Dimitry Hlinka… Nombre de designers ont une formation d’artisan d’art à la base. C’est une porosité qui est de plus en plus fréquente, possible, bien sûr les gens ne sont pas interchangeables ! Mais ces cursus permettent d’enrichir des profils et d’avoir un accès à la formalisation de leurs idées un peu plus facile, ils ne sont pas en permanence dans l’abstraction pure. C’est très intéressant, on est sur la pensée et le faire à un même niveau de compétences. Ce sont des profils qui étaient rares il y a quinze ans, et maintenant se multiplient.

Sur 15 ans, qu’est-ce qui caractérise selon vous l’évolution des profils des créateurs, au sens large ?


Ce qui est incontestablement comparable sur ces 3 secteurs d’activité, c’est l’omniprésence des questions environnementales dans les démarches de ces créateurs, qui ont une conscience aiguë et qui ne peuvent pas concevoir le développement de leur activité, de leur univers créatif, en dehors de ces questions. C’est un prérequis qui va souvent être l’ossature et l’ADN même du travail créatif. Et c’est le même phénomène dans le design et dans la mode. En design, je pense par exemple à des personnes comme Samuel Tomatis, Lucille Viaud : leur volonté de créer et développer des produits autrement est complètement liée à ces questions de durabilité. C’est la même chose dans les métiers de la mode : on n’a plus aujourd’hui une marque qui arrive sans s’être posé cette question. C’est vraiment commun à tous, alors qu’il y a quinze ans, ce n’était pas forcément au cœur des réflexions, loin de là. Ils ont une foi terrible dans leurs capacités à changer le monde, ils méritent qu’on les mette avant !

Est-ce dû aussi à une nouvelle perception des champs d’action du design ?

Sur les 15 dernières années, le design a été quelque peu sous-exploité mais c’est quelque chose qui est totalement revu déjà depuis plusieurs années et notamment dans les jeunes générations. Il y a 15 ans, les jeunes qui sortaient avaient une sorte d’obsession pour une forme de célébrité. La plupart voulaient « faire des pièces uniques, des petites séries pour des galeries » et je me souviens d’avoir eu des conversations avec certains acteurs dont la vison du design était trop limitée. Les premiers que nous avons autour du design de service sont arrivés en 2012.

Pendant des années, on s’est plaint du fait que le design était mal compris, mal considéré, du fait que tout le monde le liait avant tout à une question d’esthétique, mais quelle est l’image qui était véhiculée hormis celle-là ? Entendons-nous, je ne dis pas qu’il ne faut pas faire de beaux objets, mais cela pose une question sur la dimension réelle du design, sur ce que les processus de réflexion en matière de design peuvent apporter à la société également. Et cela a vraiment bougé grâce aussi à l’enseignement, à des professeurs pionniers qui ont apporté des notions d’innovation, de recherche, des gens comme François Azambourg, qui ont toujours essayé de repousser les limites de la technologie pour essayer de faire des choses plus légères, des chaises plus facile à stocker, à transporter, et qui de fait introduisaient d’autres paramètres qui témoignent de toute la richesse du design. On a par exemple des personnes comme Isabelle Daëron. Je me souviens quand on lui a remis une étoile à l’Observeur du design pour ses premières fontaines urbaines, c’était un projet auquel je croyais, je me disais qu’il fallait vraiment que le design aille dans cette direction-là. Je suis heureuse que ce soit un message qui aujourd’hui soit beaucoup mieux compris et fasse davantage d’émules.

On le voit dans la diversité des projets dont les designers peuvent s’emparer. On y est. On est dans une belle démonstration de ce que le design peut apporter à la société aujourd’hui. C’est vraiment quelque chose que j’ai vu émerger ces quinze dernières années. On est sur quelque chose de plus profond, on le voit dans les projets développés, les intitulés de diplômes, dans ce qu’ont pu montrer des événements comme des Biennales de Saint-Étienne, avec des designers en prise avec leur territoire, leur environnement. C’est une belle histoire du design qui s’écrit maintenant en France.

Formel Studio est actuellement l’un des 35 résidents des Ateliers de Paris, et fait partie des quelque 30 jeunes créateurs mis en avant dans le dossier « Design : Next Gen  » d’Intramuros actuellement en kiosques.
Rédigé par 
Nathalie Degardin

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temps de lecture : 01:49
3/1/2025
Dream Revolution, les baskets en Freebox recyclées de Corail° et Free

En collaboration avec Free, Corail° a imaginé une paire de baskets à partir de Freebox Revolution recyclées pour célébrer les 25 ans de la marque de télécoms. Une paire de chaussures qui allie éco-responsabilité et design pour proposer une paire de baskets qui souhaite montrer l’exemple.

C’est une collaboration pour le moins étonnante, mais qui a le mérite qu’on parle d’elle. La marque de chaussures recyclées et vegan Corail° créée en 2019, qui utilise habituellement le plastique présent dans les océans pour fabriquer ses chaussures, s’est penché sur une toute autre matière pour une collaboration inédite avec Free. En effet, cette fois pas de plastiques des océans comme matière première mais bel et bien la fameuse Freebox Revolution, connue pour avoir été designée par Philippe Starck en 2010.

Une ambition commune

Depuis sa création, la marque Corail° a fait du recyclage des déchets plastiques provenants des océans son fer de lance, qui lui a permis de recycler plus de 20 000 kg de déchets, traités au sein du Corail° Lab à Marseille. Les matières recyclées sont ensuite utilisées pour créer des sneakers faites à la main dans leur usine au Portugal. Pour cette collaboration inédite avec Free, ce sont les Freebox Revolution qui sont mises à l’honneur. Les télécommandes et boîtiers de la box sont ainsi broyés en Flakes° (flocons), pour être ensuite directement intégrés dans la semelle signature de la marque, qui laisse volontairement des traces de rouge et de noir, propres au design de la Freebox Revolution. Des semelles composées à 20 % de cette matière, complétée ensuite par 80 % de caoutchouc recyclé. Pour le reste de la chaussure, elle est composée à 90 % de déchets plastiques recyclés et d’une enduction à base de maïs, qui constitue un gage de responsabilité et de durabilité, qui lient les convictions communes des deux marques.

Baskets Dream Revolution, Corail° x Free

Un design qui allie la vision des deux marques

Inspirées du modèle Dream de chez Corail°, les chaussures reprennent en parallèle tous les éléments symboliques à la Freebox Revolution. On y retrouve ainsi l’imprimé « Freebox Révolution » ainsi que le câble Ethernet RJ11 et le Leet Speak, avec le "1337" inscrit sur la languette. Une collaboration qui délivre un message fort, synonyme de l’engagement des deux marques, en témoigne Nicole Carrouset, CEO de Corail° : « Chaque paire incarne notre engagement, tout en rendant hommage à l'univers Free, qui est aussi un acteur de la révolution numérique »

Baskets Dream Revolution, Corail° x Free
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24/12/2024
Alki : l’atelier du renouveau

Quatre ans après le lancement du projet, la nouvelle manufacture Alki située à Larressore au pays basque, a été inauguré à la fin de l’été 2024. L’occasion pour la marque de repenser son modèle de production et de confirmer son virage contemporain entreprit il y a maintenant 20 ans.

Nouvel atelier pour une nouvelle manière de produire ? C’était en quelque sorte le pari fait par les équipes d’Alki au moment du lancement du concours pour imaginer ses nouveaux espaces de production. Après avoir passé plus de 40 ans dans les mêmes ateliers, ces derniers commençaient à devenir un peu étroits pour les 47 employés. Porté par Eñaut Jolimon de Haranede, nouveau PDG arrivé en 2020 pour succéder à Peio Uhalde, ces nouveaux ateliers ont été pensés en collaboration avec l’agence Leibar & Seigneurin. Un projet d’envergure de 8 260 m2 dont la principale caractéristique est qu’il ambitionne d’être zéro énergie.

© Alki

Nouvelle organisation de production

Si l’espace offert est beaucoup plus important que la manufacture précédente, ce n’est pas la seule nouveauté de ces nouveaux espaces. En effet, en plus d’offrir plus de place et donc une meilleure qualité de travail, l’ambition de ce nouveau lieu de production est multiple. D’abord, la création de nouveaux emplois dans les années à venir, pour passer de 47 employés actuels à 80. Un projet d’architecture complexe, qui a demandé à l’agence de travailler sur plusieurs niveaux, en prenant notamment en compte le terrain en pente, allant jusqu’à 9m de dénivelé.

A l'entrée, un espace d'accueil aide à guider les visiteurs extérieurs. La marque mets également en place un espace seconde main et mets en avant des artisans locaux avec lesquels la marque a initié un partenariat pour faire valoir le savoir-faire basque © Alki

Finalement, le bâtiment se développe sur 3 niveaux : le parking et l’espace showroom dans la partie la plus en pente, l’espace bureau au rez-de-chaussée et l’espace atelier au premier. Une configuration pour le moins particulière, mais qui permets une meilleure fluidité, notamment dans l’organisation de l’atelier, mais également dans la prise en charge des livraisons. Contrairement à une manufacture « classique », l’atelier n’est pas organisé de manière circulaire, mais « en étoile », permettant à chaque espace d’être directement relié à l’endroit des livraisons et de réception des commandes. Une manière d’organiser plus efficace et plus logique, selon les architectes. Avec ses 4 700 m2 d’ateliers et 3 000 m2 de stock, les équipes d’Alki espèrent augmenter leur rendement, qui atteint d’ores et déjà 10 000 assises et 3 000 tables produites par an.

Près de 10 000 assises sont produites par an par les ateliers © Alki

Un atelier ouvert à tous

Cette nouvelle manufacture n’est pas seulement le moyen de produire différemment, c’est aussi l’occasion pour Alki de proposer une nouvelle manière de montrer ses produits. En effet, un espace showroom a été aménagé afin de présenter les collections et les nouveautés et ainsi de permettre aux professionnels - architectes d’intérieur et designers - mais également aux particuliers de découvrir les produits. Le showroom est de ce fait ouvert du mardi au samedi, et des visites d’atelier seront également possibles pour découvrir les savoir-faire d'Alki, particulièrement sur le bois qui est le fer de lance de la marque, et lui permet de pouvoir compter plus de 300 produits répartis sur 20 collections. Des produits pensés en collaboration avec des designers de renom, à l’instar de Julie Richoz, Samuel Accocebery, Form Us With Love ou encore Patrick Jouin, pour la chaise Orria qui a meublé la salle ovale de la BNF.

L'espace Showroom qui présente les dernières collections et dispose égalemrnt d'une matériauthèque © Alki

Mais c’est en particulier à Jean-Louis Iratzoki qu’Alki doit son virage contemporain. En effet, en 2004, le PDG de l’époque, Peio Uhalde souhaite repenser l’image de la marque en imaginant des collections plus contemporaines. Il fait appel au studio de Jean-Louis Iratzoki pour imaginer la collection Emea, qui est aujourd'hui un best-seller. Depuis maintenant 20 ans, Alki et le studio du designer continuent de collaborer sur diverses collections, mais pas seulement, puisque le studio du designer a également participé à l'aménagement intérieur des nouveaux ateliers, et particulièrement l'espace bureaux et showroom. « On a voulu proposer un intérieur qui soit représentatif de la transversalité d'offres proposées par Alki qui s’adapte à la maison, mais également aux espaces de bureaux » racontait notamment le designer. Une nouvelle manière de produire qui devrait continuer d’aller dans le sens du changement de façon positive !

temps de lecture : 03:35
23/12/2024
4 RUE DES CRAYÈRES, la nouvelle bulle japonisante de Ruinart

La maison Ruinart dévoile le 4 RUE DES CRAYÈRES, à Reims. Un lieu historique que la marque a réinvesti en faisant appel à l'architecte Sou Fujimoto pour la réalisation d'un nouveau pavillon. Un vaste projet auquel le paysagiste Christophe Gautrand et l'architecte d'intérieur Gwenaël Nicolas ont participé.

C'est un projet architectural imaginé comme une liaison entre l'histoire ancienne et le présent. Inscrit dans le paysage viticole de Reims, ce site historique de la maison Ruinart fondée il y a 300 ans a été entièrement repensé pour accueillir les visiteurs. Un projet d'ampleur mené par l'architecte Sou Fujimoto, le paysagiste Christophe Gautrand et l'architecte d'intérieur Gwenaël Nicolas. Fruit d'une réflexion sur l'image de la marque et l'évocation du champagne, la construction s'ancre dans un jardin très scénographié, entièrement repensé pour l'occasion. Un site « empreint d’histoire et métamorphosé dans lequel savoir-faire et innovation s’expriment harmonieusement; où la nature coexiste avec la culture et le patrimoine » relate Frédéric Dufour, président de la Maison Ruinart.

Le pavillon de Sou Fujimoto s'intègre dans un espace historique ©Raul Cabrera



Une architecture japonaise inspirée du lieu

C'est un édifice dont la forme très épurée et contemporaine pourrait surprendre au sein d'un site historique tel que celui-ci. Pourtant, « notre projet n'est pas en rupture avec le lieu, au contraire » affirme Marie de France, architecte en charge de l'agence française de Sou Fujimoto. En effet, outre l'inspiration formelle de la construction issue de l'évanescence des bulles de champagne, la construction rappelle par l'utilisation de la pierre de Soissons et sa charpente en bois, les constructions environnantes avec lesquelles « la hauteur du pavillon vient flirter de sorte s'inscrire en harmonie » avec les façades 19e. Néanmoins, et dans une optique de renouvellement du domaine, l'édifice s'ouvre sur la cour d'honneur par une façade entièrement vitrée. Un apport visuel renforcé par le traitement apporté au verre. « Également inspiré de bulles de champagne remontant à la surface du verre, le dégradé créé sur la façade protège l'intérieur du soleil de l'ouest, mais permet avant tout de cadrer la vue. Le regard des visiteurs se trouvant à l'intérieur se porte ainsi sur la maison historique du domaine plutôt que le ciel. Pour autant, l'effacement du traitement en dessous de deux mètres permet de conserver une dimension humaine malgré la hauteur sous plafond haute de 10 mètres à certains endroits. »

Imaginé pour accueillir, des œuvres d'art, le jardin a également pour but d'abriter une biodiversité ©Ruinart

Premier projet de Sou Fujimoto à s'inscrire dans un vignoble, le 4 RUE DES CRAYÈRES est également représentatif du travail de l'agence, souligne Marie de France. « Nous n'avons pas souhaité entrer en concurrence avec l'existant, mais trouver une manière de le sublimer tout en proposant quelque chose de très nouveau. Le bâtiment s'inscrit ainsi dans l'axe du jardin avec légère asymétrie typique de l'architecture japonaise. Par ailleurs, nous retrouvons dans ce projet les principes récurrents de notre architecture à savoir la simplicité et la sobriété visuelle. » Pensée en premier, l'architecture du pavillon a par la suite été mise en valeur grâce au travail mené à l'intérieur pour la mise en scène de la marque, et à l'extérieur pour la mise en avant du bâti et de l'histoire.

L'intérieur, lumineux et ouvert sur l'extérieur, propose une découverte des différents crus de la marque ©Chloé le Reste



Une expérience sensorielle

Véritable faire-valoir de l'architecture, le jardin se déploie au sein d'un parc arboré de 7 000m². Destiné originellement à accueillir des œuvres d'art in-situ, il a été pensé par l'artiste paysagiste Christophe Gautrand comme une expérience à part entière. Prenant le parti-pris de faire revivre les crayères inscrites depuis 2015 au patrimoine mondial de l'UNESCO, il propose une approche très scénographique jusqu'au pavillon de Sou Fujimoto. Les visiteurs empruntent ainsi un itinéraire tracé entre deux murs de calcaire blancs, porteurs de la trace des outils. Des stigmates volontairement mis en valeur comme un marqueur du temps. Ponctué d'angles, ce couloir offre une déambulation immersive, rythmée par des jeux de vues et de lumière passant d'un monde presque souterrain à la lumière du domaine, et notamment le pavillon de Sou Fujimoto face auquel le visiteur se retrouve. Le passage aux perspectives très rectilignes tranche alors radicalement avec la courbe du pavillon et marque de fait une rupture visuelle. Le jardin devient la source d'un dialogue cette fois-ci architectural entre le bâti ancien et le contemporain. « L’histoire de Ruinart et de ce terroir champenois se retrouve ainsi dans les moindres détails du projet paysager : un jardin à parcourir et à expérimenter, où se révèle l’esprit de la Maison » conclut Christophe Gautrand.

Les chemins taillés à même les crayères en calcaire blanc ©Chloé le Reste
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20/12/2024
Olga de Amaral : renouer avec la spiritualité

La fondation Cartier propose jusqu'au 16 mars 2025 une large rétrospective du travail d'Olga de Amaral, ambassadrice du Fiber art. Une mise en lumière sensible et particulièrement réussie où s’entremêlent les techniques et les inspirations, avec, au bout du fil, de véritables architectures.

Pour la première fois en Europe, une exposition d'ampleur propose de plonger dans l'univers de l'une des figures les plus emblématiques du Fiber Art : Olga de Amaral. À travers près de 80 ouvrages réunis aux quatre coins du monde, la Fondation Cartier rassemble six décennies de création. Véritable rétrospective du travail de l'artiste, l'exposition offre une déambulation libre et onirique dans son univers coloré et rigoureusement sensible. Servi par une conception spatiale subtile, aussi immersive que discrète signée par l'architecte Lina Ghotmeh, le parcours questionne l'évolution formelle et colorimétrique des réalisations aux inspirations géographiques et architecturales diverses. Autant d'horizons convoqués dans ces œuvres vibrantes aux émanations spirituelles.

La série des « Muros » joue subtilement sur les camaïeux rappelant des paysages d'automne ©Marc Domage



Une vision architecturale

Nouées, tressées, tissées, cousues, entremêlées... De la diversité des œuvres d'Olga de Amaral, se dégage une certitude. Le fil n'est pas l'aboutissement d'une technique mais le médium au cœur d'une démarche prospective. De ses premières créations dans les années 60 aux « Brumas » réalisées il y a une petite dizaine d'années en passant par les productions monumentales réalisées 30 ans plus tôt, l'artiste a construit son travail en résonance avec son parcours d'abord dans le dessin d'architecture à l'université de Bogota, puis plus artistique à l'université américaine de Cranbrook – l'équivalent américain du Bauhaus allemand – où elle découvre le tissage aux côtés de la designer textile finlandaise Marianne Strengell. Un parcours tourné vers la construction, dont elle gardera tout au long de ses 60 années d'activité, une vision très spatiale : ne pas concevoir comme des tableaux, mais comme de véritables architectures, vivantes sur leurs deux faces. Un parti-pris respecté sur l'ensemble de sa carrière à de rares exceptions près, parmi lesquelles les créations monumentales de la série « Muros » réalisées entre la fin des années 70 et le milieu des années 90. Une période de création faste au cours de laquelle les œuvres témoignent également d'une évolution formelle. D'abord construites selon des jeux de trames très rectilignes avec « Elementos rojo en fuego », les créations se sont progressivement assouplies par la déformation des lignes jusqu'à devenir un nouveau langage stylistique à l'image de « Strata XV » en 2009. Une diversification visuelle menée parallèlement à un grand nombre d'expérimentation sur les volumes dans les années 70 et 80 - « Naturaleza Mora » - puis sur les jeux de lumières à la fin des années 80 et courant 90 - « Entorno quieto 2 » -. Un moment de transition progressif entre la fin du siècle et le début du suivant où seront créées « Las Brumas » en 2013 et 2020. Une ultime série en rupture absolue avec ses créations précédentes. Interrogeant le médium sous un angle nouveau, Olga de Amaral propose une collection emplie de légèreté où les fils ne sont plus entremêlés mais indépendants. Simplement enduits de gesso - sorte de plâtre – peint astucieusement de manière à dessiner des formes, à la manière d'anamorphoses. Une approche innovante dont le nom et la conception sont d’évidents clins d’œil aux brumes omniprésentes de la cordillère des Andes natale de l'artiste.

Reflétées dans les vitres du bâtiment, les œuvres de la série « Brumas », les brumes, semblent flotter dans la végétation extérieure ©Marc Domage



La couleur, une matière au cœur de l'œuvre

« Je vis de la couleur. Je sais que c'est un langage inconscient et je le comprends. La couleur est comme une amie, elle m'accompagne » raconte Olga de Amaral. En effet, si la technique confère indéniablement aux œuvres, leur essence, la couleur en dégage souvent un sens. Tantôt automnales, tantôt prégnantes, elles habillent les créations de l'artiste et les animent. Témoignant d'une inspiration tout autant culturelle que symbolique, elles fragmentent sa production dans le temps. Très inspirée par l'histoire précolombienne, Olga de Amaral offre par le prisme de la couleur un regard à la fois historique et spirituel. Ainsi, comment ne pas voir dans les couleurs organiques des fibres, autant de portraits de sa région, rehaussés çà et là de bleu et de rouge rappelant la faune sauvage à l'image de « Naturaleza mora ». Une approche très personnelle dans l’œuvre de l'artiste, mais progressivement éclipsée à la fin dans les années 70 par l'arrivée de l'or dans son travail. Un matériau introduit dans sa démarche par la rencontre de Lucie Rie qui lui enseigne la technique du kintsugi – art japonais de la réparation des pots cassés avec de la poudre d'or -. Dès lors, l'activité d'Olga de Amaral entame une métamorphose technique, passant d'une matière principalement tissée brute, à des assemblages cousus de petits morceaux de coton rigidifiés par du gesso et recouverts d'acrylique et de feuilles d'or. Une évolution qui ouvre les portes d'un nouvel univers très visuel, évoquant des écailles colorées aux reflets dorés multiples. Se dégage de cette approche un nouveau monde, plus spirituel, plus précieux, aux intonations liturgiques en écho aux églises colombiennes fréquentées par Olga de Amaral dans sa jeunesse. De ces cartographies mémorielles et oniriques se dégagent également de nouveaux horizons. L'eau bien sûr avec « Umbra verde », mais également la terre ou encore le ciel avec « Estelas » - qui signifie les stèles, mais que l'on pourrait traduire par les étoiles -. Une double lecture qui conjugue le symbolique à l'artistique.

Des dessins abstraits sur les « Estrelas » rappellent les inspirations précolombiennes de l'artiste ©Marc Domage



Un lieu repensé pour l'occasion

Architectures en elles-mêmes, les créations d'Olga de Amaral trouvent à la Fondation Cartier un écrin taillé sur mesure. Ces tapisseries modernes et suspensions contemporaines par définition statiques auraient pu figer l'exposition dans une atmosphère répétitive. Il n'en est rien. Construit par l'architecte Lina Ghotmeh, le parcours propose une approche vivante des créations où la monumentalité de certaines n'écrase pas la finesse des autres, mais participe à la construction d'un univers. Par le biais d'apports comme des pierres rappelant celles sur lesquelles Olga de Amaral photographiait son travail en Colombie, ou la mise en place d'un film sur les vitres du bâtiment afin de refléter « Las brumas » dans le jardin de la Fondation, l'architecte convoque une dimension poétique à la rétrospective. Également à l'origine d'une restructuration complète du niveau inférieur, Lina Ghotmeh invite le visiteur à une découverte intimiste des œuvres. Mise en scène de manière simple mais très habile, chacune renvoie la lumière et évoque au gré d'un parcours en spirale, un voyage entre inspirations précolombiennes et japonisantes, marines et cosmiques.

Une exposition très réussie qui, après 40 ans passées au 261 boulevard Raspail, sera la dernière de la Fondation Cartier avant son déménagement Place du Palais-Royal prévu pour octobre 2025.

Au niveau inférieur, la déambulation guidée par la lumière invite le spectateur à une découverte onirique et chronologique ©Marc Domage
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