Covid-19 : comment les écoles de design gèrent l'enseignement à distance

Covid-19 : comment les écoles de design gèrent l'enseignement à distance

Le 13 avril 2020, Emmanuel Macron annonçait que les établissements d’enseignement supérieur ne pourraient rouvrir leurs portes qu’au début de l’été. Une annonce qui a obligé les écoles de design à s’organiser au mieux pour ne pas pénaliser leurs élèves dans l’obtention de leur diplôme.

Les crèches, les établissements scolaires primaires et secondaires français accueilleront progressivement les élèves dès le 11 mai 2020, premier jour de déconfinement. En revanche, les établissements d’enseignement supérieur attendront le début de l’été pour la reprise des cours en présentiel. Cette décision concerne notamment les écoles de design, qui assurent la continuité virtuelle des cursus depuis le 17 mars. Des modalités certes imposées par le gouvernement, mais auxquelles les établissements se sont très vite, et très bien adaptés. “Il a fallu très rapidement développer un plan permettant la continuité de nos enseignements” explique l’administration de l’École de design Nantes Atlantique, “nous n’avons de cesse depuis le début du confinement de veiller à ce que chacun ait le matériel, la connexion, le soutien, la formation nécessaires à ce dispositif d’enseignement à distance.” Même son de cloche chez nos voisins belges, où la suspension des cours est effective depuis le 16 mars. Le CAD (College of Art & Design) et son directeur Éric Maquet font leur possible “pour ne pas trop changer la quantité et la qualité des projets que les étudiants doivent réaliser. Après tout, ces trois ou quatre projets sont leur carte de visite pour décrocher un emploi.

La visioconférence pour maintenir l’accompagnement des étudiants

Avec la distanciation sociale et le confinement, la visioconférence s’est imposée comme LA solution pour assurer une continuité pédagogique et permettre aux professeurs et étudiants de communiquer. Chaque école décide de la fréquence : à Bruxelles “ils se retrouvent une à deux fois par semaine sur Zoom”, à l’ENSCI-Les Ateliers “trois jours de suivi sont assurés pour soutenir les élèves”. La réduction des échanges ne signifie pas une baisse de la qualité, bien au contraire. Pour Éric Maquet, “ça les pousse à être plus précis et plus concis dans la présentation de leurs projets et de leurs problématiques.
En plus du contact professeurs-étudiants, ces derniers continuent à communiquer entre eux. Les élèves de l’école Strate Lyon ont reproduit leur campus dans son intégralité sur le jeu Minecraft. “Ils ont construit leur campus virtuel pour se réunir, se l’approprier, mais aussi participer à des cours, fabriquer des projets, exposer leurs travaux, mais également le faire visiter aux futurs inscrits et aux passionnés de design” explique le directeur Guillaume Lom Puech. Cette virtualité ouvre les perspectives puisque les autres écoles du groupe Strate (Paris, Lyon, Singapour et Bangalore) construisent aujourd’hui leur campus sur le même jeu vidéo.

Adapter les projets, la notation et les jurys

La fermeture des établissements d’enseignement supérieur interroge quant à la validation des projets, le passage devant les jurys et l’obtention des diplômes. Autant de questions auxquelles les écoles tentent de répondre.
Les ateliers de projets ont dû être adaptés. Pour les étudiants de la rue St Sabin, la thématique a changé, s’ancrant désormais dans la crise actuelle. Par exemple, l’atelier dirigé par François Azambourg avec Elena Tosi Brandi s’oriente sur le design en temps de crise, tandis que l’atelier de Ionna Vautrin et Nounja Jamil travaille sur l’effet papillon (actions et répercussions) et la mécanique des imaginaires (confinement et voyage). Pour les étudiants belges par contre, la situation “pourrait poser problème” selon le directeur du CAD. “Cela peut-être difficile pour faire les prototypes”, puisqu’ils n’ont pas accès aux matériaux nécessaires pour construire leur banc de musée bimatière (2e année) ou leur lampe (3e année).

Le passage devant un jury est une condition sine qua non pour obtenir son diplôme de designer. Que les élèves se rassurent, ils sont maintenus. Face à la situation, les écoles les ont repoussés. À Nantes, “les deux jurys de diplômes sont programmés à la rentrée, en septembre et en novembre. Si un élève rencontre des difficultés pour trouver un stage, il peut même demander à échanger son passage.” Une solution bienvenue, bien que peu d’étudiants l’ont pour l’instant sollicité. À l’ENSCI, les changements ont plus d’implications. L’administration de l’école a dû reporter “la session de mars 2020 du diplôme de Créateur industriel au mois de juillet, car un seul élève a pu passer devant le jury avant le confinement.” Cela met la session de juillet 2020 en suspens, puisque “les élèves doivent avoir accès aux ateliers et aux machines de l’ENSCI pour préparer leurs projets de diplôme.” De l’autre côté de la frontière, l’administration du CAD attend les modalités de tenue des examens, que la ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Glatigny doit donner le 27 avril. Dans l’attente d’une décision, “un jury est prévu pour la deuxième quinzaine de juin, mais il se fera sans les jurés invités.

Les écoles se montrent solidaires

Les gestes de solidarité envers le personnel hospitalier, qui lutte contre la pandémie de Covid-19, se multiplient en France et dans le monde entier. Les écoles de design ont mis leur parc machine à disposition afin de prendre part à cette chaîne solidaire. Les imprimantes 3D de l’école de Design de Nantes Atlantique ont été prêtées et servent en ce moment même à la conception de matériel d’aide à la respiration. Celles de l’ENSCI-Les Ateliers ont été mises à profit de l’Initiative 3D, et ont permis la fabrication de plus de 600 visières de protection, dont 300 à destination l’hôpital Tenon (Paris 20e). À Nantes encore, l’administration a fait don de l’ensemble des masques de ses ateliers au CHU voisin. Elle associe même ses partenaires à la chaîne puisqu’elle “leur a mis notre module de formation au Design Thinking en e-learning, à des conditions tarifaires particulières. La somme récoltée sera entièrement reversée à l’Institut Pasteur.

L’ENSCI se montre aussi solidaire envers ses étudiants les plus en difficultés. Poursupporter ceux qui sont confinés dans leur appartement parisien, sans revenus, et qui se trouvent dans l’obligation de payer leur loyer, l’école a mis en place une aide monétaire pour les élèves en difficulté, dont le montant n’a pas été dévoilé.
Les écoles de design ont dû se réinventer pour répondre, en un temps record, à la crise sanitaire et ses enjeux. Strate Lyon a même décidé de créer un concours. “Ce concours ouvert a pour but de faire éclore leur créativité en réinventant des dispositifs de robotique sociale afin de venir en aide aux professionnels de santé, aux entreprises et aux communautés dans le besoin” assure Guillaume Lom Puech. Une démarche qui montre que le design, placé au cœur de l’action, devient un outil pour faire face aux situations inhabituelles.

Rédigé par 
Rémi de Marassé

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20/2/2025
Dolce & Gabbana, l'Italie dans toute sa splendeur

Le Grand Palais héberge jusqu'au 31 mars 200 créations de la maison italienne Dolce & Gabbana. Une mise à l'honneur maximaliste des savoir-faire italiens sur fond d'architecture.

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L'Italie sous toutes les coutures

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Une immersion dans le travail des petites mains

Conçue comme une succession d'univers imaginés par l'Agence Galuchat et produite par IMG, l'exposition initie une résonance entre le cadre et les tenues. Sur fond de grands airs épiques issus de l'opéra ou de films, la scénographie plonge le visiteur dans 10 thématiques pensées comme des micro-architectures au sein desquelles les créations ont été rassemblées de manière thématique. Reprenant tantôt les codes visuels des habits, tantôt le cadre des défilés ou celui à l'origine du dessin, le décor offre une déambulation faite de ruptures successives. Une manière d'insister sur la diversité de la marque, mais également la richesse culturelle de l'Italie. Mettant en avant des savoir-faire comme la mosaïque, la miroiterie ou encore le stuc, « Du cœur à la main » rend hommage à toutes les petites mains, et pas seulement celles de la mode. Une déambulation extravagante et festive mais surtout divinement italienne, à ne pas rater en dépit de son coût... également extravagant.

Servie par une scénographie numérique, les vêtements reprenant les chefs-d'œuvre de Botticelli, Le Titien ou encore Salai, laisse entrevoir la résonance entre architecture, créations picturales et mode ©Mark Blower Photography
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18/2/2025
La Redoute s’associe à huit designers pour le projet « Les Uniques »

Dans le cadre du projet « Les Uniques », La Redoute Intérieurs a fait appel à huit designers pour personnaliser une pièce choisie parmi les collections La Redoute, avec une seule règle : qu'il n'y en ai aucune. Une initiative qui donnera lieu à une vente aux enchères le 11 mars prochain, au sein de l’Hôtel Drouot.

Kevin Germanier, Jeanne Friot, Mathieu Tran Nguyen, Elisa Uberti, Benjamin Benmoyal, Charles de Vilmorin, Pascaline Rey et Alexandre Blanc : voici les huit créateurs sélectionnés pour participer à ce projet d’envergure lancé par La Redoute Intérieurs. Intitulé « Les Uniques », ce projet de collection capsule a un objectif simple : donner une seconde vie à des pièces de mobilier issues de la boutique Les Aubaines, située à Roubaix. L’occasion pour ces créateurs, issus de divers horizons du design, d’exposer leur singularité et leur personnalité à travers une pièce unique.

Les Uniques x Pascaline Rey © La Redoute
Les Uniques x Alexandre Blanc © La Redoute

Manifeste créatif

Au-delà du projet créatif et caritatif, ce projet soulève une question plus large sur notre rapport aux objets et à leur temporalité. En effet, certaines pièces, une fois transformées, sont méconnaissables et laissent penser qu’il est possible de réinventer le mobilier à l’infini à partir d’objets existants. Un travail de pièce unique qui porte également un message et un engagement sur l’avenir du design. Mais jusqu’où peut-on déconstruire et réécrire un design sans en effacer l’âme ? C’est justement la question que se sont posée les huit invités du projet.

Les Uniques x Kevin Germanier © La Redoute

Huit créations singulières

Connu pour son travail sur le tissage de bandes magnétiques VHS, Benjamin Benmoyal s’est emparé du fauteuil en rotin Malu pour l’habiller d’un tweed étoilé, faisant de l’assise une extension de ses explorations textiles. Alexandre Blanc, quant à lui, dont la pratique oscille entre peinture et couture, transforme la table en chêne Adelita en un tableau en trompe-l’œil, jouant sur les ombres et les transparences pour en exalter les lignes architecturales. Avec Charles de Vilmorin, la méridienne Tapim devient un écrin textile, revêtue d’un jacquard sur-mesure tissé dans la plus pure tradition lyonnaise.

Les Uniques x Benjamin Bnemoyal © La Redoute

Jeanne Friot, de son côté, impose son langage mode en sanglant un duo de chaises Sarva avec ses ceintures signature. Pour Kevin Germanier, qui s’est attaqué au luminaire Moricio, l’objet devient sculpture, saturé de perles brodées et oscillant entre artefact décoratif et œuvre précieuse, dégageant un éclat baroque. Pascaline Rey, quant à elle, opte pour une approche contemplative en intégrant au bureau Tristan une céramique évoquant une banquise suspendue, entre rêverie et fragilité du monde.

Les Uniques x Charles de Villemorin © La Redoute

Chez Mathieu Tran Nguyen, la desserte Hiba initialement métallique, disparaît presque sous les ajouts sculpturaux de bois laqué, rappelant les jeux de panneaux et de paravents. Enfin, Elisa Uberti, fidèle à son approche du design sculptural, insère une lampe en céramique directement dans la structure de la desserte Crueso, abolissant la frontière entre mobilier et œuvre d’art.

Les Uniques x Elisa Uberti © La Redoute
Les Uniques x Jeanne Friot © La Redoute

Une vente aux enchères caritative

Pour ce projet collectif multidisciplinaire, La Redoute Intérieurs exposera dans un premier temps les huit pièces du 7 au 11 mars prochain au sein d’une salle de l’Hôtel des Ventes Drouot. Puis, le mardi 11 mars à partir de 19h, une vente aux enchères exclusive aura lieue et sera retransmise en direct sur le site internet de ce dernier. Tous les bénéfices de la vente seront ensuite reversés à l’association Solfa (Solidarité Femmes Accueil), qui vient en aide aux femmes et aux enfants victimes de violences. Cette association, soutenue par La Redoute depuis de nombreuses années, renforce l’aspect solidaire de ce projet unique.

Les Uniques x Mathieu Tran Nguyen © La Redoute
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17/2/2025
Une collection en carbone dessinée par Emmanuel Gallina

Le designer français Emmanuel Gallina signe la première collection de la jeune marque de mobilier en fibre de carbone, Belull.

C'est une aventure qui débute la tête dans les nuages. « Tout a commencé lors d'un vol Bordeaux-Milan, où j'ai rencontré par hasard Stéphane Lull, le PDG d'Epsilon composite, une entreprise du Médoc spécialisée dans les tubes en fibre de carbone. » Une conversation, un échange de contact et bien des années plus tard, une proposition. « Bénédicte Lull m'a recontacté avec le projet de créer une marque de mobilier à partir de tubes en carbone ne répondant pas aux critères requis par l'industrie. Cette idée de concevoir du mobilier en s'appuyant sur le savoir-faire de l'entreprise et en valorisant des morceaux inutilisés m'a plu et j'ai dit oui ! » Entamée en 2021, cette collaboration est à l’origine de 27 pièces diversifiées, de l’étagère au miroir en passant par le banc. Un corpus à l’apparence « technique mais néanmoins chaleureux ».

La table Gustave nommée en hommage à ingénieur Gustave Eiffel, est le fruit d'une réflexion sur la manière dont rigidifier la structure en carbone, un matériau relativement flexible ©Cécile Perrinet Lhermitte

Une initiation

Véritable découverte pour le designer, le matériau est rapidement soumis à toutes sortes d'expérimentations. « Contrairement au tube en aluminium ou en acier auxquels elle peut s'apparenter, la fibre de carbone, à la fois légère et très résistante, est beaucoup moins rigide que le métal. Il a donc fallu bien maîtriser l’élasticité des tubes et des plats, puis chercher comment rigidifier les structures, avant de continuer. » Une étape de développement étalée sur plusieurs mois en amont desquels plusieurs typologies d'objets avaient été identifiées. « À ce moment-là, nous avions aussi la contrainte de réaliser des choses simples, car Bellul n'avait pas encore d'espaces de fabrication. Il a donc fallu s'organiser avec des ateliers extérieurs » raconte Emmanuel Gallina.

La table bijoux en quartz bleu joue sur le contraste de ses diamètres et la dualité des surfaces renforcées par les couleurs ©Cécile Perrinet Lhermitte

La fibre de carbone, mais pas seulement

« L'une des particularités du tube de carbone, c'est le tressage de la fibre, assez lisible en surface. » Un rendu « froid et technique » que le designer a associé à d'autres matériaux nobles comme le bois (chêne naturel et noyer) ou le marbre de Carrare. « Nous aurions pu le laisser brut, mais j'ai souhaité éviter l'approche monomatière car cela ne correspondait pas au marché de l'habitat. Il fallait donc amener de la chaleur avec un contraste qui ne soit ni froid ni agressif, mais qui puisse s'intégrer naturellement et de manière fluide avec le carbone. » Une manière de créer par ailleurs une dualité entre la zone structurelle, c'est-à-dire le piètement, et la partie décorative qu'est le plateau. Une jolie collaboration qui rime avec valorisation.

La console Kumo - qui signifie nuage en japonais - est un homme au pays du soleil levant avec lequel Epsilon Composite collabore sur de nombreux projets ©Cécile Perrinet Lhermitte
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13/2/2025
Au MAD, l'intimité s'expose

Le Musée des Arts Décoratifs propose jusqu'au 30 mars de pousser la porte de la chambre, espace d'intimité par excellence, dont l'évolution des usages traduit près de 400 ans d'histoire de la société. Une exposition tout autant indiscrète qu'intéressante.

Regarder par la serrure. Voici l'indiscrétion à laquelle la Musée des Arts Décoratifs de Paris invite ses visiteurs jusqu'à la fin du mois de mars. Dans une sorte de rétrospective dédiée à l'un des espaces les plus impénétrables de nos intérieurs, le MAD propose de porter un regard chronologique du XVIIIe siècle à nos jours. Condition sine qua non à l'indépendance et à l'émancipation pour Virginia Wolf, la chambre, à soi ou partagée, est le témoin privilégié de l'évolution sociétale de nos us et coutumes. Tout à la fois théâtre de la vie intime et décor de mises en scène à vocations sociales, elle illustre depuis toujours la porosité entre sphère publique et privée. Une fluctuation de la frontière évoquée au travers de douze thématiques.

In-situ de l'exposition "L'intime, de la chambre aux réseaux sociaux", MAD Paris © Luc Boegly

L'objet engendré par l'époque

Tantôt espace de restriction des libertés dont la femme fut la première touchée, tantôt espace d'expression avec l'arrivée progressive de la technologie, la chambre est avant tout un microcosme dont l'évolution progressive demeure très liée à la société, entraînant la création de nouveaux objets. Matérialisations de courants de pensée, tous témoignent d'une époque. L'hygiénisme du XIXe siècle voit ainsi se développer une multitude de pièces. Les baignoires intègrent la chambre à mesure que de nouveaux ustensiles de coquetterie débarquent, devenant des supports aux designs les plus en vogue. En témoignent les bourdaloues - pot de chambre féminin – dont l'usage se démocratise, et les exemplaires se déclinent plus ou moins richement. Le XXe siècle est également celui des mutations sociales rapides. La révolution sexuelle offre une nouvelle perception du désir et du plaisir intimement liés à la chambre. Un sujet que des artistes comme David Hockney ou Zanele Muholi immortalisent sur différents médiums, et sur lequel nombre de designers travailleront plus tard, notamment avec la démocratisation des sex-toys.

In-situ de l'exposition "L'intime, de la chambre aux réseaux sociaux", MAD Paris © Luc Boegly

Mais les bouleversements modernes sont également sources d'inspiration pour de jeunes esprits novateurs, futures références du design. Parmi eux, Verner Panton dont la Living tower incarne la volonté d'un repli protecteur, très vite remplacé par le besoin de communier dans les 70's. Une époque où entrent alors en scène des studios stars comme Archizoom, Memphis ou bien plus récemment, les frères Bouroullec.

In-situ de l'exposition "L'intime, de la chambre aux réseaux sociaux", MAD Paris © Luc Boegly

La technologie au pied du lit

Le poste radio, le walkman, le minitel rose, les téléphones portables ou encore la téléréalité. Depuis près d'un demi-siècle, l'intimité de la chambre à coucher se trouve bousculée par l'arrivée de supports médiatiques extérieurs. Plus petits, moins bruyants (parfois), plus complets, tous ont su convaincre leur public. Un fait auquel l'exposition dédie la fin de son parcours. Affichés en grand, les réseaux sociaux et leurs personnalités lifestyle les plus influentes comme Léna Mahfouf ou Sophie Fontanel, font désormais partie intégrante de notre intimité partagée. Un constat sur lequel s'ouvre un espace dédié à la surveillance. Un lieu d'interrogation utile après ce balayage historique rapide depuis les toiles d'Antoine Watteau et Edouard Vuillard situées à quelques mètres de là, si proches et si lointaines. Donnant la possibilité au visiteur de coucher sur le papier ses pensées, la dernière salle de l'exposition propose de renouer avec l'intimité ultime, celle que l'on entretient avec sa propre personne.

In-situ de l'exposition "L'intime, de la chambre aux réseaux sociaux", MAD Paris © Luc Boegly
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