Sculpture
Lettres, chiffres, notes et signes sont la matière première des fascinantes œuvres sculptées à visage humain présentées par le sculpteur Jaume Plensa à La Pedrera – Casa Milà de Barcelone.
Quoi de mieux que l’écrin architectural de La Pedrera – Casa Milà de Barcelone pour accueillir un mélange à la fois immersif et spectaculaire des œuvres les plus intimes et monumentales du sculpteur catalan Jaume Plensa ? À l’invitation de la Fondation Catalunya La Pedrera, l’artiste investit les espaces notables du bâtiment d’Antoni Gaudí (l’étage muséal, mais aussi les appartements, le « ventre de la baleine » – le sous-toit aux fameuses 127 arches – et la terrasse) pour concevoir une exposition-rétrospective labyrinthique autour de la fragilité des mots et de la poésie de la forme et du geste.
Un alphabet-design de nos pensées
Lettres et chiffres, notes de musique et signes, s’enlacent ainsi autour ou à l’intérieur des sculptures aux contours humains, aux visages et bustes translucides, pour créer un nouvel alphabet de corps dont le design épuré évoque un éloquent hommage au silence.
Des personnages assis, en bronze ou en métal peints, parfois portés par des sphères ; des faces absorbées par une quiétude méditative ; des humanoïdes ou des poupons délivrant leur chapelet de signes pendulaires ; autant d’interprètes cois qui nous accompagnent dans une déambulation cathartique, que semblent survoler les œuvres les plus massives, comme cette main traversant l’espace de la cour intérieure ou cette sculpture- autoportrait aux mains sur la bouche, qui surplombe les toits depuis sa plate-forme expiatoire.
Des œuvres passerelles
« Une lettre ce n’est pas grand-chose, c’est quelque chose d’humble, mais liée à d’autres, elles forment des mots, et les mots forment des textes, et les textes la pensée », nous explique Jaume Plensa au détour des quelques annotations murales venant donner des clés de lecture éparses à ses œuvres muettes. De la même manière, le design habité de ses objets incarnés forme devant nous le fil narratif de corps empreints de solennité et de recueillement. Un choix esthétique qui nous guide et ameuble à sa façon les lieux, comme pour créer une litanie de passerelles visibles du langage entre l’espace physique et l’espace intérieur de nos esprits.
D’une utilisation relativement nouvelle dans le monde du design, l’albâtre est aujourd’hui transformé en de multiples produits. Tantôt pièces architecturales, tantôt luminaires, cette roche encore méconnue est ici travaillée par l’Atelier Alain Ellouz. Un savoir-faire unique pour une renommée mondiale.
Bien que longtemps travaillé, de l’Antiquité jusqu’à l’époque Art Déco puis délaissé, l’albâtre est en ce début de XXIe siècle un matériau oublié. La pierre extraite dans des carrières espagnoles est en effet complexe à travailler car cassante, poreuse et facilement rayable. Sa teinte claire et son veinage particulier en font malgré tout un matériau intéressant; et c’est ce qui motivera la création de l’Atelier Alain Ellouz en 2005. Au fil des années, Alain Ellouz et ses collaborateurs mettent au point des nouvelles techniques pour parer à ces difficultés, que ce soit pour répondre aux contraintes d’origine avec un revêtement en 12 étapes permettant son utilisation dans n’importe quelle architecture, ou des systèmes numériques pour graver et creuser la matière jusqu’à obtenir une épaisseur entre 10 et 30 millimètres.
Bien leur en a pris. Car, qu’il s’agisse de pièces de mobilier ou encore de revêtements applicables du sol au plafond, les créations de l’Atelier semblent avoir conquis jusqu’aux plus grandes maisons. L’équipe intervient en effet aujourd’hui régulièrement pour des scénographies, des aménagements de showrooms ou des créations sur mesure pour Van Cleef & Arpels, Rolls Royce, Guerlain…
De l’architecture à l’édition de luminaires
Si jusqu’à récemment la majorité des projets de l’Atelier concernait l’architecture et l’architecture d’intérieur, l’Atelier Alain Ellouz connaît depuis l’arrivée de la pandémie et l’arrêt de nombreux travaux, un retournement de situation. «Aujourd’hui les luminaires représentent environ 75% de notre activité. Avant c’était l’inverse », annonce le fondateur et directeur de l’entreprise, Alain Ellouz.
Lampes à poser, appliques murales, lustres, les sources lumineuses conçues en banlieue parisienne se déclinent en une quarantaine de modèles. Mais depuis quelques semaines, la nouvelle collection Iconic apporte quelques petites pièces au design affuté. Très graphiques, construites par encastrement visuel de triangle, elles permettent un renouveau dans un éventail aux formes plus organiques.
Ce virage s’explique aussi par le vœu de viabilité de la filiale. Prélevée pour sa qualité, la pierre est ensuite découpée puis expédiée sur Paris. Mais « les découpes réalisées en Espagne sur les gros blocs créaient beaucoup de plus petits morceaux que l’on ne travaillait pas », explique Alain Ellouz. L’idée de cette collection est donc de pouvoir façonner les morceaux jusqu’ici délaissés.
De plus, l’albâtre n’est plus le seul matériau magnifié par l’Atelier. Le cristal de roche a fait son apparition. En provenance de Madagascar, cette pierre dont la dureté et la (partielle) transparence font penser à celle du diamant, permet d’explorer d’autres horizons. La difficulté à ouvrager cette roche implique une taille très angulaire, dont les angles saillants réfractent la lumière. Ajoutez à cela un miroir poli, et le résultat en devient saisissant. Brutalité de la pierre et finesse se mêlent alors dans un troublant sentiment de luxurieuse infinité.
Le design, un élément stratégique du développement
Résidence privée, hôtellerie, restauration, Alain Ellouz semble avoir conquis tous les domaines et tous les espaces, du dessus de commode à la mise en lumière de vaste hall. La société peut à l’heure actuelle se vanter d’avoir un quasi monopole. « Le marché américain se développe de plus en plus et représente à l’heure actuelle la moitié de la demande » explique le directeur.
Mais si l’entreprise s’est développée aussi rapidement, c’est aussi grâce à la place accordée au design dès la création de l’Atelier. Pour Marion Biais-Sauvêtre, designeuse en chef de l’Atelier Alain Ellouz «l’albâtre est une pierre qui se lit ». C’est d’ailleurs entre ses mains que passe chaque morceau d’albâtre pour l’analyse du veinage, ne serait-ce que pour les panneaux d’architecture d’intérieur. « On regarde la couleur et le dessin de chaque plaque sur un mur lumineux afin de pouvoir les assembler et créer des ensembles », explique-t-elle. Complexe et brute à son origine, la pierre acquiert, grâce au regard artistique de Marion Biais-Sauvêtre et de son équipe – qui ont majoritairement des compétences d’ébénistes – tout son caractère et son onirisme.