Initiative Covid-19
Au début du mois d’avril 2020, les entreprises françaises de la Mode & du Luxe se sont engagées à fabriquer les masques et les surblouses nécessaires aux personnels soignants dans leur lutte contre le Covid-19. Le Comité Stratégique de la filière annonçait récemment la création du groupement “Savoir Faire Ensemble” afin de confirmer et coordonner son engagement.
Tribune. “Depuis quatre semaines, à travers la France, nous sommes plus de 830 entreprises de toutes tailles, mobilisées pour un objectif commun : mettre à profit nos outils industriels pour fabriquer ce dont les Français ont cruellement besoin, masques et surblouses.
Pour la majorité d’entre nous, nous n’avions jamais fabriqué ces produits. Pourtant, dès l’annonce du confinement, nous avons eu la volonté de nous investir totalement afin de contribuer à cet effort collectif et spontané. Ce choix, nous l’avons fait en conscience et avec la fierté de rendre service, nous tous, femmes et hommes qui œuvrons au sein de nos entreprises. Sans rien perdre de nos acquis, ni oublier nos clients, nous avons pris le risque de mettre de côté nos habitudes, nos commandes en attente, pour plonger dans l’inconnu en relevant le défi de ces processus de fabrication nouveaux.
Ce mouvement de fond s’est renforcé jour après jour, nos productions se consolident avec déjà plus de 8,7 millions de masques fabriqués. Au-delà d’un indispensable coup de main solidaire, c’est un véritable engagement auquel nous nous tenons : fabriquer des millions de produits pour protéger la population française.
Cet engagement, nous le prenons aussi en pensant à l’avenir.
L’industrie du textile et de l’habillement a perdu un grand nombre d’emplois lors des dernières décennies à la suite de vagues successives de délocalisation. Ancrée dans nos territoires, elle a su conforter son haut niveau de savoir-faire, d’agilité et de créativité. Elle est prête à affronter tous les défis. Aujourd’hui, au-delà du sentiment de se rendre utile face à la crise du COVID-19, c’est la conviction partagée par tous ceux qui oeuvrent courageusement dans les ateliers, dans les entreprises, dans les sites industriels de notre pays.
La mode toujours se réinvente. C’est en s’attachant à ce qu’elle soit durable, innovante et transparente que nous pourrons renforcer notre compétitivité, participer à la relocalisation industrielle et créer des emplois.
C’est pour aujourd’hui et pour demain l’ambitieuse mission que nous nous fixons : SAVOIR FAIRE ENSEMBLE.”
Moins d’un mois après son lancement, les sommes récoltées par l’initiative Design x life avoisinent aujourd’hui les 25 000 euros, pour près de 80 dessins et objets vendus au profit de l’AP-HP. Les ventes continuent jusqu’au 31 mai.
The Art Design Lab organise, depuis le 10 avril 2020, une vente caritative au profit des personnels soignants et des chercheurs du Groupe Hospitalo-Universitaire AP-HP Sorbonne Université. À l’origine de cette initiative se trouvent Sam Baron et Karine Scherrer. Dès le début du confinement, le designer souhaitait montrer le rôle que pouvait avoir le design dans la crise : “il me semblait important de montrer à la société et notamment au personnel médical que notre communauté créative met ses capacités au service des autres, autant au quotidien que dans une situation comme celle que nous vivons.” Très vite, les deux coéquipiers décident de mettre leurs carnets d’adresses en commun et de mobiliser leur communauté face à l’urgence. Constance Guisset, Inga Sempe, Isabelle Daëron, Matali Casset, François Azambourg, Guillaume Delvigne, Formafantasma… Aujourd’hui, ce sont près de 150 designers français et internationaux qui ont répondu à l’appel de solidarité.
Le monde du design s’est mobilisé, chacun à sa façon. Des designers partagent leurs fichiers de création en open source, des écoles mettent à disposition leur parc machines pour la fabrication de visières de protection. La démarche de Sam Baron et Karine Scherrer s’inscrit en complément de ces actions et mises en commun. La galerie parisienne met en vente les dessins, parfois les prototypes, et d’autres objets mis à disposition gratuitement par les designers qui prennent part à Design x life (lire “Design for life”). “Je voulais valoriser le travail de recherche et d’étude qui fait partie intégrante de la démarche de création. Les dessins sont comme des livres ouverts, ils reflètent la personnalité du designer”, explique la fondatrice de l’Art Design Lab. Un lien intime que l’acquéreur pourra proroger, puisque les designers se sont engagés à leurs envoyer les dessins achetés dès la fin du confinement, soit à partir du 11 mai 2020.
25 000 euros déjà récoltés
La fourchette de prix est large, puisque certains dessins se vendent 100 euros, d’autres 1000 euros voire 5 000 euros pour le “Carnet de bord, Confinement 2020” de Ruedi Baur, “une œuvre comme un work in progress dans l’air du temps” selon Karine Scherrer. Bien que la galeriste ait proposé une base de prix – 380 euros pour un dessin au format A4, 480 euros pour un A3 – les designers étaient bel et bien les derniers décisionnaires. “Beaucoup ont choisi de vendre leurs dessins à 100 euros” confie-t-elle, car “il s’agit bien d’une initiative simple et généreuse. Nous voulions la rendre abordable au plus grand nombre avec l’idée centrale du “1 dessin = 1 don”.” Un projet qui, à ce jour, a récolté plus de 25 000 euros.
La totalité des produits de cette vente (hors frais bancaires), qui se poursuit jusqu’au 31 mai 2020, sera reversée à la Fondation de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.
En parallèle, il est possible de fair un don direct au fonds d’urgence Covid 19 de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.
Face à la pénurie de matériels pour les soignants, les designers et communautés de makers se mobilisent pour partager leurs fichiers, organiser des productions locales d’appoint, voire déclencher des reconversions de production. Et de jour en jour, l’organisation s’améliore, et les initiatives pour centraliser ces données, faire le lien entre l’offre et la demande se multiplient.
Parmi les pénuries auxquelles font face les hôpitaux et dans son ensemble le secteur de la santé, les besoins recensés portent notamment sur les gants jetables, masques, combinaisons jetables, sur-chaussures jetables, visières de protection. Que ce soit par des proches, des connaissances ou des besoins locaux, les designers et makers ont tout de suite été sollicités par les soignants pour des productions locales.
Partage de fichiers impression 3D
Dès le 2e jour du confinement, le Tchèque Joseph Prusa publiait tout de suite sur les réseaux sociaux un fichier pour une impression de visière en 3D : améliorée au fil des reprises, aujourd’hui circule la version 17 de ce modèle. Très vite les communautés de design s’impliquent de tous côtés pour que, partout en France, ceux qui possèdent des imprimantes 3D, produisent et livrent des lots aux établissements de santé, et aux personnels soignants en libéral, aux Ephad. Et les réseaux sociaux accélèrent le mouvement : les makers 3D s’organisent au sein des groupes Facebook Visières Solidaires.
4000 makers 3D ont aussi rejoint le site de mise en relation de la YouTubeuse Heliox . Des plateformes sont créées pour mettre en contact les appels à matériels et les concepteurs. Le site www.covid3d.fr met ainsi en relation des professionnels au contact du public et des bénévoles ( “j’ai besoin de matériel de protection”/ “je veux fabriquer du matériel de protection”/ “je veux offrir des matières premières”).
De son côté, une plateforme de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP) transmet aux professionnels via la plateforme Covid3D.org les besoins urgents , informe sur les groupes de travail, les études pour les solutions standards, les validations… Ainsi, la salle capitulaire de l’Abbaye de Port-Royal vient d’accueillir 60 imprimantes Stratasys, installée avec Bone3D, CADVision et les équipes de l’hôpital Cochin. Ce parc de machines 3D professionnelles va pouvoir répondre à une production gros volume à la demande.
L’objectif est de mettre en place des chaînes de production organisées grâce aux moyens recensés, tout en procédant éventuellement à des adaptations pointées par un “bureau d’études d’urgence” mis en place. Comme ils le précisent, “nous avons à disposition des installations de 3500m² en Île-de-France et nous avons également la chance d’avoir des bénévoles sur place pouvant assurer la réception des pièces, l’assemblage et la distribution des produits. »
On notera aussi l’initiative d’étudiants ingénieurs et jeunes diplômés de dernières promotions de Supméca qui ont monté la plateforme Iniative 3D. Ils se présentent comme “un réseau inédit de moyens de fabrication additive mobilisant des particuliers, des fablabs, des universités, des professionnels, des grands groupes industriels.”
Production industrielle
Parallèlement à ces productions de matériels, des recherches aussi sont en cours pour la fabrication de dispositif de respiration artificielle. Antoine Berr a ainsi travaillé avec des ingénieurs et des médecins pour concevoir le MUR ( Minimal Universal Respirator), et partage le fruit de ce travail sur un site régulièrement mis à jour. Autre exemple, Makers for life (un collectif nantais) travaille actuellement à la conception d’un appareil respiratoire open source industrialisable.
De toute part, les initiatives fleurissent, en appui à ces réseaux, il faut tenir compte des usines, des entreprises, qui reconvertissent leur activité : ici, ce sont des ouvrières du textile qui viennent en appui à la production de masques ou des groupes de cosmétiques qui produisent du gel hydroalcoolique ; là, c’est une entreprise qui va suivre les initiatives d’un designer de son équipe, et reconvertir sa production pour fabriquer des visières de protection pour les soignants en impression 3D, en injection ou par découpe laser sur la base de fichiers partagés. Ainsi, le vivier de créateurs, de fabricants est là, pour le passage en production, les demandes de matériaux sont importantes, par exemple pour des visières depuis les feuilles plastiques d’intercalaires aux feuilles de PVC pour les productions industrielles.
Centraliser les informations pour mieux les partager
Pionnière parmi les makers, Mathilde Berchon a récemment créé son agence FuturFab, autour de l’exploration de la fabrication numérique, de l’économie circulaire et du mouvement maker. Sur les réseaux sociaux, elle constate très rapidement le foisonnement d’initiatives, mais aussi le manque de centralisation de l’information pour faire le lien entre des entreprises d’impression 3D, les acteurs de la santé, les designers et les makers. Elle met ainsi en place une liste ouverte, qui recense les entreprises, les initiatives en cours, les particuliers. Ouverte à tous, cette liste , complétée en permanence, est un outil précieux pour le partage d’informations, d’expériences (voir la liste ici). Elle vient habilement compléter toutes les démarches d’entraide actuelles.
Des exemples de fichiers mis en partage
L’agence de design Millimètres met à disposition une monture de visière particulièrement économe en plastique : cela réduit fortement le temps d’impression. Par ailleurs, ce modèle s’imprime par empilement, cela veut dire que sur la surface du plateau d’impression il est possible d’imprimer plusieurs dizaine d’exemplaire en une seule fois et de ce fait de lancer des impression en petites séries (retrouvez les éléments et une vidéo ici).