Espace public
Le banc IMIROIR est le fruit des recherches et du brevet délivré en 2021 sur l’écoute et l’accessibilité auditive à la designeuse Cécile Planchais. Posé dans un jardin, il se révèle silencieux. Audio connecté, IMIROIR, devient ainsi un « objet d’émerveillement et de partage ».
Sensible à l’accessibilité auditive et aux espaces recevant des publics (ERP), elle voulait que le banc Miroir « parle discrètement à chacun et à tous en particulier ». Le banc IMIROIR transmet dans la même qualité que ses reflets, des documents sonores avec une programmation facile à renouveler. Autoportant ou scellé, ses accoudoirs embrassent 5 à 6 personnes pour ressentir la moindre nuance musicale ou vocale. Il s’adresse aux personnes privées des sens auditifs et visuels ou à toute personne ayant besoin de se reconcentrer ou de se détendre. « Écoutez-le, laissez-le vous emporter » comme sur les salons SITEM (Salon international des musées), sans casque, ni smartphone. C’est un accessoire de rue destiné à toutes les personnes dans le monde qui n’ont pas accès à des solutions auditives de haut niveau.
Un dispositif pensé pour l’accessibilité
« J’ai considéré que si les usages sonores et le design sonore se renouvelaient, il était indispensable de concevoir des supports immersifs, attractifs, confortables, de haute définition ne nécessitant pas de travaux. IMIROIR, s’adresse à tout type d’auditeurs et de population. Écouter sans subir les bruits ambiants désagréables, nécessite une diffusion discrète qui respecte le site et les personnes » expliquait Cécile Planchais à propos de son projet.
IMIROIR a fait l’objet d’une installation immersive dans le cloître de l’Abbaye de Noirlac, à 20 km au sud de Bourges, dans le centre de la France, où les visiteurs étaient plongés dans un environnement sonore naturel et historique interprété par deux compositeurs. Ses dernières installations en 2022 de ce banc en inox poli miroir, sur pieds brossés, pour un poids moyen de 100 kg sur 2,30 m, étaient sur le salon architect@work à Paris et à Milan.
The Tokyo Toilet s’attaque à l’insalubrité des toilettes publiques de la capitale japonaise par la rénovation de 17 d’entre elles dans le quartier de Shibuya. Conçus par de grands noms de l’architecture et du design japonais, ces sanitaires publics sont également l’occasion de sensibiliser la population nippone à l’importance de garder ces lieux propres et accessibles pour autrui.
Enclenché en août 2020 avec la rénovation d’une première toilette publique, le projet The Tokyo Toilet devrait bientôt arriver à son terme. Alors que 14 d’entre elles sont aujourd’hui terminées, la totalité des 17 toilettes publiques constitutrices du projet devrait être achevée dans les mois à venir.
Ces rénovations sont à l’initiative de l’ONG japonaise spécialisée dans l’innovation sociale The Nippon Foundation, en collaboration avec le quartier de Shibuya, l’un des 23 arrondissements de la capitale Tokyo. Pour l’occasion, l’ONG a confié la conception de ces sanitaires publics à 16 architectes et designers de renommée mondiale, dont Tadao Ando, Shigeru Ban, Fumihiko Maki, Toyo Ito, tous les quatre récipiendaires du prix Pritzker. Presque entièrement libres dans leur conception, ils se devaient toutefois de proposer un espace sanitaire universel, pouvant être utilisé par tous. Ainsi, chacun des projets proposés offre une expérience sanitaire différente selon le lieu d’implantation : les toilettes font office de lanternes dans les zones peu éclairées et illuminent les alentours, tandis que dans les parcs elles arborent des lignes sculpturales, par exemple.
Favoriser l’esprit d’hospitalité
The Tokyo Toilet s’apparente à une expérience sociale dans sa volonté de promouvoir une société inclusive, où les toilettes publiques sont accessibles à tous, nonobstant de l’âge, du sexe ou du handicap. Il s’agit notamment de favoriser l’esprit d’hospitalité, notion extrêmement importante au Japon. En effet, les toilettes y sont considérées comme un miroir de la société. Cela implique donc des protocoles de nettoyage renforcés et des comportements irréprochables pour garantir un espace propre à l’utilisateur suivant.
Outre la dimension esthétique, le projet The Tokyo Toilet met ainsi l’accent sur l’entretien et la maintenance de ces espaces sanitaires publics. Chacun d’entre eux est nettoyé trois fois par jour, inspecté mensuellement par un agent dédié et connaît un lavage annuel soigné de ses murs extérieurs, de ses appareils d’éclairage et de ses ventilateurs.
Dans un souci de sensibilisation des populations les plus jeunes, des ateliers pratiques de nettoyage à destination des enfants sont mis en place, afin de leur faire comprendre l’importance des installations publiques, et de les inciter au civisme. L’image des agents d’entretien est également redorée auprès des adolescents par l’intermédiaire du bleu de travail : l’uniforme est rendu trendy grâce à Nigo, directeur artistique chez Kenzo, qui a été chargé de le dessiner.
Les quatre “K”
The Tokyo Toilet s’inscrit dans une démarche de revalorisation de l’image de ses toilettes publiques, surnommées quatre “K”, lancée il y a près de quarante ans. En effet, dès 1985 par le professeur Nishioka de l’université Keio et son groupe de recherches composé de médecins, d’urbanistes et de fabricants de toilettes cherchent un remède à ces toilettes kitanai (“sales”), kusai (“malodorantes”), kurai (“sombres) et kowai (“effrayantes”), délaissées par les habitants, à l’exception de quelques rares personnes comme les chauffeurs de taxi. Un paradoxe lorsqu’on connaît la réputation exemplaire des toilettes japonaises, mondialement reconnues pour leur propreté et leur fonctionnalité.
Retrouvez notre dossier spécial outdoor avec un portfolio de projets innovants dédiés à l’espace public dans le numéro 215 d’Intramuros.
Installée en plein centre de Paris, Coolil’O est une fontaine brumisante imaginée pour lutter contre les îlots de chaleur, et ainsi rafraîchir l’espace public. Un projet mené par le studio Noir Vif, en collaboration avec Water Connect.
Le projet débute Coolil’O débute en 2018 lorsque Water Connect décide répondre à un appel à projets lancé par Eau de Paris qui souhaitait expérimenter des dispositifs innovants pour rafraîchir l’espace public. Une demande qui faisait écho à l’augmentation des îlots de chaleur dans les villes, liés en grande partie à cause du réchauffement climatique. Ainsi, Water Connect, qui avait déjà mis en place plusieurs dispositifs de ce type dans l’espace public, a décidé de faire appel à Noir Vif pour concevoir un objet urbain qui combinerait brumisation et mise à disposition d’eau potable gratuitement.
Proposer un dispositif adapté à tous
Bien qu’installée depuis bientôt 4 ans dans le 13e arrondissement de Paris, entre la rue Charles Moureau et l’avenue Edison, la conception de Coolil’O a demandé aux designers un travail de réflexion important en amont. En effet, l’installation d’un dispositif dans l’espace public nécessite de prendre les réglementations liées au mobilier urbain (rayons de courbure minimum, hauteurs minimum, détectabilité à la canne pour les non-voyants, accessibilité pour tous les usagers…), les fonctions énoncées dans le cahier des charges (distribution d’eau potable et brumisation) mais également trouver les bons matériaux. Dans ce cas précis, l’acier inoxydable offrait une grande solidité ainsi qu’une résistance à la corrosion, logiquement nécessaire. Cependant, depuis son installation en septembre 2019, les réglementations concernant la brumisation ont changées. Il est maintenant interdit de brumiser vers le bas, ce qui a entrainé une désactivation de la fonctionnalité sur les fontaines Coolil’O.
En termes d’esthétique, le studio Noir Vif a travaillé un design dont la forme serait compatible avec les architectures parisiennes, souvent divergentes en fonction des quartiers, tout en respectant son objectif de départ : offrir une solution innovante à ses utilisateurs. À la suite de cette mise en place réussie, une seconde fontaine Coolil’O, d’une autre couleur a été installée dans une cour d’école du 4e arrondissement.
Retrouvez notre dossier spécial outdoor avec un portfolio de projets innovants dédiés à l’espace public dans le numéro 215 d’Intramuros.
Blok est un projet de mobilier urbain imaginé par le designer Gregory Lacoua. Un système modulable pour créer des espaces urbains sans artifices, mis en œuvre dans le quartier d’Etterbeek à Bruxelles, où deux places publiques ont été investies.
Inauguré en 2021 avec l’installation à l’Espace Sorelo et au Lieu-dit Ranch à Bruxelles, Blok est un système de mobilier urbain modulable en deux parties, indépendantes l’une de l’autre. L’assemblage de ces deux éléments offre différentes combinaisons et volumes en fonction des besoins. Les modules Blok permettent ainsi de structurer tout un espace d’aménagement urbain avec la possibilité de créer divers éléments tels qu’un tabouret, un long banc, une chaise, une banquette, un fauteuil, un assis-debout, un muret, une délimitation…
Structurer l’espace public
Ce projet de transformation dans le quartier d’Etterbeek, situé à proximité du quartier européen, visait à créer, dans un premier temps, une cohérence des espaces. En effet, l’accumulation de signes, de matériaux et de différents éléments de mobilier urbain obstrue parfois la lecture des usages. Le projet du mobilier Blok a donc été dans une dynamique de dégagement de l’espace, pour une meilleure et orientation et de structuration des lieux.
Un design simple et épuré
En termes d’esthétique, et afin de s’adapter au mieux à chaque environnement, les éléments de mobilier ont été dénués d’ornements et de détails superflus pour ne pas encombrer l’espace public de signes inutiles. Une simplicité que Grégory Lacoua a retranscrite par l’usage de pierre de Roquemaillère, issue d’une carrière romaine, à Nîmes.
Le design graphique est envisagé comme un outil qui favorise les débats publics dans notre société. Il facilite des expériences de « scènes d’écriture », considérées comme actions graphiques partagées en public et au sein d’espaces publics. Rencontre avec Eddy Terki, designer graphique, qui engage des dynamiques sociales.
Dans l’espace public, les interventions graphiques façonnent les environnements, produisent des décors, des « ambiances graphiques » venant habiter l’espace et engageant des dynamiques sociales. Elles interrogent la fonction de médiateur des designers et des architectes. L’espace sera alors entendu non seulement comme bâti mais aussi comme processus qui définit les relations au milieu.
Designer graphique diplômé de l’Ensad-Paris, Eddy Terki fonde son atelier en 2016, et se spécialise justement dans ce type d’interventions. Son approche est textuelle, calligraphique et performative. Sa matérialité est douce, ludique et attentive aux contextes dans lesquels elle se déploie. Vite repéré par ses pairs, il est invité par l’Alliance graphique international à donner une conférence en 2017, puis à enseigner à l’école de design PaTI de Séoul. En 2021, il est lauréat de l’appel à projets « Partage ton Grand Paris », avec sa proposition d’intervention sur la place de la mairie de Saint-Ouen. Plus récemment, dans le cadre d’une future démolition de cité urbaine, il intervient au Franc-Moisin, à Saint-Denis, avec un parcours textuel invitant à lire et à découvrir l’histoire de ceux et celles qui habitent le quartier. Ce qui caractérise le mieux le travail d’Eddy Terki, c’est sa capacité à faire le lien entre espace et graphisme sur fond d’engagement social.
La notion de « J’habite ici » que vous revendiquez semble affirmer l’attachement à un territoire de ses habitants et habitantes. Comment questionnez-vous l’espace public en tant que lieu d’expression via le design graphique ?
« J’habite ici » est le nom du projet que j’ai imaginé lors de ma résidence au Centre national du graphisme-Le Signe et exposé à la Biennale du design graphique (2018). C’est une forme de recherche par la pratique qui replace l’habitant au centre : comment, grâce au design, l’individu devient-il le point de départ d’un projet ? Ainsi je matérialise son histoire, sa perception du territoire, afin d’habiter un espace, d’affirmer une identité ou bien de le questionner.
Plus largement, la notion d’habiter engage la question du vécu, de la présence dans un espace. Je suis pour ma part très attaché au territoire, notamment au 93, département dans lequel je suis né et je travaille. La notion d’habitat est centrale dans ma démarche et liée à une forme d’engagement en rendant visible la parole des habitants. La rue n’est plus un lieu de passage, elle devient un lieu d’expression singulier, que les gens se sont appropriés.
La notion d’habitat va de pair avec celle de la temporalité. Vous investissez l’espace public avec des formes, des temporalités et pour des publics différents. Pouvez-vous nous parler de ces multiples approches ?
La temporalité est la rencontre de cinq facteurs : le commanditaire, le type de commande, mes envies créatives, les contraintes du territoire et les habitants. Dans la commande publique, la temporalité est déjà posée, les attentes aussi. Le projet « J’habite ici : à Saint-Ouen ! » s’inscrivait dans le cadre des Journées européennes du patrimoine. Le temps d’immersion était court, je devais imaginer une façon de faire lien dans l’espace public en plein été. J’ai eu envie de donner la parole aux adolescents afin de comprendre leur appréhension de leur ville. Après un mois d’ateliers, j’ai choisi de donner forme à leurs questions en les imprimant sur des objets du quotidien : des transats. Le contexte du parc public de la ville y était propice. Ce support fonctionne car il est mobile, les habitants peuvent se l’approprier simplement ou bien être intrigués en lisant les questions.
Pour d’autres projets, les choix sont plus pérennes, comme dans le cadre du projet d’inscription urbaine sur la place de la mairie de Saint-Ouen. Il faut tenir compte des flux, des déplacements, des accès métro, du mobilier urbain, faire signe tout en restant respectueux d’un espace qui est habité au quotidien. Ou encore, l’intervention investit un lieu de passage de manière éphémère. C’était le cas pour mon projet à l’Institut du monde arabe en 2017. J’ai calligraphié un texte sur le lien entre la France et l’Algérie, faisant écho à mon histoire personnelle, avec une encre effaçable, ce qui permettait aux usagers d’interagir en effaçant des mots, donc d’installer un dialogue avec eux. Enfin, les résidences artistiques m’offrent un temps d’immersion long avec une vraie liberté comme le projet de fresques développé à Épizon. Mon rôle varie selon les contextes, et il est essentiel de savoir m’y adapter.
Comment partir d’un espace pour lui donner corps graphiquement ? Comment appréhendez-vous les questions d’échelle, de déambulation, de cartographie et de typographie ? Et quel est votre rapport à la couleur dans l’espace public ?
En tant que designers, on a une responsabilité, car nos actions touchent directement le champ spatial et visuel des gens. Je fais donc en sorte de rendre les espaces chaleureux, plus accueillants. Je dessine souvent des formes courbes, avec des typographies aux lignes franches, lisibles. Je travaille avec la couleur sans excès, afin d’apporter du contraste qui va mettre en lumière une information particulière, indiquer une déambulation ou la détourner et attirer l’attention sur des phrases qui méritent d’être lues.
Le design graphique a un effet direct sur notre quotidien, il façonne notre environnement urbain. Quelle est ta relation entre signe graphique et architecture ?
L’architecture ne vit pas au même rythme que le graphisme, c’est évident, quoique dans certaines situations, notamment de signalétique et d’orientation, le graphisme est en dialogue à valeur égale. Cela dit, dans mes projets, je pars souvent de l’existant : l’architecture et l’urbanisme. L’analyse de l’espace et de ses flux m’aide à comprendre comment l’intervention graphique prendra forme. Puis la question de la temporalité me donne plus ou moins de liberté dans le projet. Bien entendu, une intervention pérenne est plus engageante, elle mérite plus de réflexion et de sobriété pour que les signes continuent de faire sens dix ans plus tard.
Beaucoup de vos réalisations s’inscrivent dans une démarche tournée vers des préoccupations sociétales. Quel rôle peut jouer le design graphique pour favoriser les nécessaires transformations sociales dans des contextes urbains en transition ? Autrement dit, quelle est la responsabilité du designer graphique dans l’espace public ?
Je pense que, en incluant les habitants dans les projets, on les invite à reprendre place dans leur ville et à mieux comprendre ou à mieux s’approprier les transformations urbaines. En cela, le design joue un rôle, il crée le lien et permet de valoriser des voix. Cette démarche remet aussi le design graphique à sa place : celle d’exister pour les gens et de faciliter la vie en société. Je ne sais pas s’il faut parler de design « social ». Cette étiquette est une façon rapide d’identifier une démarche, mais je pense que le design graphique est présent partout dans le quotidien, que chaque action portée par le design a une force sociale directe ou indirecte. Le design graphique est social, c’est tacite.
En quoi vos projets en cours et à venir illustrent-ils cette force sociale ?
Actuellement, je travaille sur des projets à l’échelle de la ville. Je conçois une intervention graphique pensée comme un parcours, dans le cadre de la construction du Grand Paris Express. En parallèle, j’essaie d’intégrer les habitants à des commandes d’identités visuelles, comme celle du Pôle national cirque, en Bretagne. Enfin, je poursuis mes engagements dans l’enseignement, tels que le programme La Renverse, que je coordonne avec l’Ensad, et des futures missions dans le nouveau mastère en design social et éthique au Campus Fonderie de l’image.