Biennale venise
Réputée pour son exposition internationale et les nombreux pavillons nationaux, la biennale d’art contemporain de Venise l’est également pour la kyrielle de ses manifestations satellites. Soutenues par des galeries, des fondations, souvent logées dans de magnifiques palais, celles-ci contribuent à renforcer le caractère immanquable de l’évènement général. Présentation de trois de ces expositions off.
Claire Tabouret en double et en dialogue avec le passé, au palazzo Cavanis
Dans ce palais construit au bord de l’eau, entre le XVe et le XVIe siècle, les toiles majestueuses et sculptures-fontaines de la plasticienne française soutenue par la galerie Almine Rech prennent toute leur dimension. «Claire Tabouret : I’m spacious, singing flesh» est une exposition où l’on relit les thèmes récurrents de l’artiste, à la lueur d’ex-voto archéologiques en tuf représentant des Matres Matutae de Capoue, ces déesses latines du Matin et de l’Aurore (V-II s av JC). «J’ai choisi ces ex-voto pour leur signification et leur dimension rituelle, explique-t-elle. Ils sont le vecteur de l’exploration d’une condition double et multiple du soi en rapport à la fertilité et à la maternité, qui entremêle identité individuelle et forces plus vastes».
Ainsi, son puissant et double autoportrait peint de 2020 fait écho à une majestueuse double Madone ancienne, aux ressemblances troublantes. Rituel, maternité, terre-mère, identité ambivalente, dédoublement, transfiguration sont les sujets qui traversent les huit salles. Au détour de plusieurs d’entre elles, The Team, portrait coloré de figures féminines reliées par leurs vêtements textiles, converse avec l’architecture du lieu, ou encore Snow in the desert (2017), la toile monumentale aux effets chromatiques joue avec ceux d’un splendide lustre de Murano. Organisée par Kathryn Weir, directrice du MADRE à Naples, l’exposition se termine dans les jardins, où les jeunes filles-fontaines en céramique, muettes de Claire Tabouret confèrent au lieu une dimension à la fois douce et ambiguë.
« Claire Tabouret : I’m spacious, singing flesh », Palazzo Cavanis, Dorsoduro 920, 30123 Venise. Jusqu’au 27 novembre 2022.
Antoni Clavé, le guerrier du Palazzo Franchetti
Dans les somptueuses salles du palais, cinquante pièces du peintre catalan Antoni Clavé (1913-2005) dialoguent avec des sculptures et des masques africains, dont cette figure historique de l’art d’après-guerre, ami de Picasso, aimait s’entourer. De dimension souvent imposante, les sculptures, les toiles, les « armoires » et tapisseries révèlent son attirance pour la culture africaine mais aussi les matériaux de récupération, de rebut et les formes simples, presque brutes. Imaginé par Aude Hendgen, directrice des archives Clavé et le commissaire indépendant Sitor Senghor, le parcours de ces œuvres réalisées entre 1958 et les années 1990 met en exergue la figure du guerrier, majeure dans son corpus. De même, il souligne la diversité de ses techniques souvent artisanales, comme le collage, les papiers froissés, gaufrés ou encore le trompe l’œil, la tapisserie, dont ce grand coloriste était un farouche adepte.
Enfin, l’exposition accentue son intérêt pour les couleurs éclatantes, presque ruisselantes, ourlant une figure du combattant de plus en plus évanescente. Dans une des plus grandes salles, la toile monumentale « Toile froissée aux guerriers » aux splendides drapés de 1981 converse en douceur avec cinq masques, créés en 1965, à partir de matériaux modestes. Et révèle sa sérieuse appétence pour le sacré. Mises en scène dans une lumière tamisée conférant à l’ensemble une atmosphère solennelle, les pièces de celui qui avait représenté l’Espagne à la 41ème biennale de Venise, en 1984, atteignent une nouvelle plénitude, à l’intérieur du palais gothique.
« Antoni Clavé, l’esprit du Guerrier », Palazzo Franchetti, San Marco 2842, Venise. Jusqu’au 23 octobre 2022.
Surréalisme et magie, l’exposition historique à la Peggy Guggenheim Collection
Six salles, plus de vingt artistes, plus de quatre-vingt-dix œuvres de nombreuses collections publiques et privées constituent un parcours dense mettant en évidence l’attrait des Surréalistes pour l’ésotérisme, l’alchimie, la magie et l’occulte. En collaboration avec le Musée Barberini de Potsdam, l’évènement propose tant des focus sur des artistes majeurs comme Giorgio De Chirico, Victor Brauner, Kurt Seligmann, que des salles thématiques sur la cosmologie, l’invisible, l’androgynie, en rassemblant plusieurs. Mais surtout, c’est la mise en valeur des artistes-femmes surréalistes qui marque les esprits. Une présentation à la hauteur de leur talent, au sein de laquelle leurs œuvres, connues ou moins connues, révèlent la faculté toute féminine à se métamorphoser, se transfigurer.
La Grande Dame (1951), sculpture représentant un être hybride de Leonora Carrington, ou le splendide Portrait de la princesse Francesca Ruspoli (1944) de Léonor Fini, d’autres de Dorothea Tanning, de l’artiste espagnole Remedios Varo, attestent de ces ambivalentes créatures, entre déesse-mère, sorcière, ogresse, chimère et fée. Une exposition historique témoignant sur toutes ces invisibles du clan surréaliste, agissant comme une mise en bouche à la 59ème édition de la biennale de Venise, dont Le Lait des Rêves, titre du thème, est emprunté au livre éponyme de Leonora Carrington.
« Surréalisme et magie : une modernité enchantée », collection Peggy Guggenheim, Palazzo Venier dei Leoni, Dorsoduro 701, Venise. Jusqu’au 26 septembre 2022.
Réputée pour son exposition internationale et les nombreux pavillons nationaux, la biennale d’art contemporain de Venise l’est également pour la kyrielle de ses manifestations satellites. Soutenues par des galeries, des fondations, souvent logées dans de magnifiques palais, celles-ci contribuent à renforcer le caractère immanquable de l’évènement général. Présentation de deux de ces expositions off, parmi tant d’autres.
Kehinde Wiley, christique, à la fondation Cini
Sous le commissariat de Christophe Leribault, président du Musée d’Orsay, environ 35 pièces du plasticien américain Kehinde Wiley convient ici le public au royaume des gisants, de la lutte et de l’introspection. Dans une pénombre intrigante, « Archaeology of silence » présente des peintures et sculptures en bronze qui reprennent souvent la posture du Christ mort au tombeau (1521) du peintre allemand Holbein Le Jeune, affectionné par l’artiste chouchou de la Galerie Templon. De ce christ mort monumental, mais aussi des grandes œuvres jalonnant l’histoire de la peinture, Kehinde Wiley va transposer les expressions dans des corps de jeunes afro-américains, hommes et femmes « martyres » des violences policières, héros et héroïnes déchus du XXIè siècle, mis en scène de manière colossale. Sans trace de violence ni de souffrance, les figures souvent anonymes, peintes sur des fonds végétaux au chromatisme saturé, comme les bronzes à l’échelle démesurée, sont impressionnants de vérisme moderne. Et surtout, la gigantesque figure équestre, reprenant en partie l’attitude des grandes sculptures historiques de ce type est très marquante par sa monumentalité exacerbée et sa scénographie théâtrale. Par ces prismes, l’artiste souhaite faire la lumière sur la communauté noire, grande oubliée de l’histoire de l’art. Une exposition radicale, engagée, pouvant déplaire par sa folle démesure mais qui jamais ne laisse indifférent.
Exposition « Kehinde Wiley, Archaeology of Silence », Fondazione Giorgio Cini, Isola di San Giorgio, Sale del convitto, 30133, Venise. Jusqu’au 24 juillet 2022.
À la fondation Cini, « On fire » met le feu !
Dans une autre partie de la fondation, des pièces des artistes Yves Klein, Alberto Burri, Arman, Jannis Kounellis, Pier Paolo Calzolari et Claudio Parmiggiani sont réunies par le commissaire italien Bruno Corà, dans le cadre de la première exposition entièrement vouée au thème du feu. Les six sections de l’exposition mettent en avant ce phénomène utilisé à des fins plastiques. En contrepoint aux œuvres des chapitres dédiés chacun à un créateur, les films documentaires contextualisant le propos de ces œuvres très fortes aident à la compréhension des divers processus de production. Les trois premières salles valorisent les effets de la combustion sur divers supports : la trace sur carton chez Klein, l’apparition de paysages lunaires ou volcaniques issus du plastique fondu, présents dans « Grande Nero Plastica » (1964) de Burri, ou encore de formes fantomatiques de l’objet consumé présentes à travers le fameux « Fauteuil d’Ulysse » (1965) d’Arman.
En fin de parcours, Parmiggiani fait du noir de fumée une matière très poétique. « Sans titre », son œuvre réalisée in situ fait délicatement surgir le fantasme d’une grande bibliothèque. Au pays de figures historiques et radicales de l’art d’après-guerre, cette exposition pédagogique atteste de l’importance de cet élément ayant transformé l’art du XXème siècle.
Exposition « On Fire », Fondazione Giorgio Cini, Isola di San Giorgio, Sala Carnelutti e Piccolo Teatro 30124, Venise. Jusqu’au 24 juillet 2022.
Dirigée par quatre designers de légende, l’agence milanaise de production de verre FontanaArte a fait du verre un matériau élégant, affranchi de ses contraintes industrielles. Ce qu’explique « Vivere nel vetro », exposition satellite à la 59e biennale d’art contemporain de Venise. Un hommage muséal immanquable à cette société iconique.
Depuis 2012, sur l’île de San Giorgio Maggiore, le projet culturel et espace d’exposition Le Stanze del Vetro, abrité par la fondation Giorgio Cini, a pour but de proposer des évènements dédiés « à l’étude des formes modernes et actuelles de l’art du verre. » Cette année, sous la houlette de Christian Larsen, curateur au MAD de New York, « Vivere nel vetro, House of Glass » présente environ 85 pièces produites par FontanaArte, agence de verre flotté créée par Luigi Fontana, en 1881. Didactique, chronologique, l’exposition très esthétique démontre à travers six salles le rôle majeur de la société italienne dans l’évolution formelle et fonctionnelle de ce matériau, au fil de ses différentes directions.
Gio Ponti et Pietro Chiesa : de l’Antique Revival au modernisme des formes
Après un plongeon au cœur du savoir-faire de l’agence, dans les années 1930, à travers un film, focus est fait sur l’apport de Gio Ponti, directeur entre 1932 et 1933, au design inspiré de l’antiquité classique, illustré parmi d’autres exemples par coupe et piédestal (1934), en verre, bois et métal, évoquant un fût de colonne cannelée. De même, l’évènement explique le travail du maître verrier Pietro Chiesa, qui le rejoint à la direction à partir de 1933. Ce dernier ayant fait intervenir les artisans de son propre atelier au sein de la société a su proposer un langage plastique neuf dont témoignent des tables en verre incurvé, à l’épure moderniste.
Max Ingrand, poète de la lumière et des reflets
Les deux salles suivantes réévaluent à juste titre la contribution du maître verrier français Max Ingrand, à la tête de FontanaArte, entre 1954 et 1967. Ses lignes de lustres et de miroirs figurent parmi les objets en verre design les plus poétiques à la maison. Son Chandelier Dahlia de 1958 rappelle les pétales d’un bourgeon en fleurs de verre courbé, fixées à une structure métallique rayonnante, alors que son miroir avec lampe pilote (1955), composé de verre concave et réfléchissant, de cabochons de cristal et laiton, crée de splendides jeux de lumière exacerbés par le rétroéclairage et les cristaux.
Gae Aulenti, le verre personnalisable
Directrice entre 1979 et 1996, Gae Aulenti innove avec un design multifonction et met en exergue la créativité de ses créateurs – Piero Castiglioni, Renzo Piano, Ettore Sottsass et Umberto Riva -. Giova, sa lampe de table iconique en verre soufflé et métal, à la fois luminaire et vase (1964), implique le propriétaire dans l’usage de la pièce. Ainsi disait-elle, en 1972, lors de l’exposition « Italy, The New Domestic Landscape », au MoMA de New York : « Un objet design est constitué d’éléments mettant en exergue leur finalité d’origine, tout en restant ouvert à leur fonctionnalité future. » Près de splendides pièces de Sottsass ou Riva, on découvre encore Tour, table d’Aulenti en verre, acier chromé et pneu (1993), aux titre et pieds évoquant la légendaire compétition française, tout en faisant joyeusement allusion à Roue de bicyclette, premier Ready Made de Marcel Duchamp.
« House of Glass », une utopie ?
Au fil du parcours, le visiteur prend réellement la mesure du caractère visionnaire de l’agence, culminant dans les derniers espaces. Là, une enfilade de salles rythmée par des murs de verre illustre une « maison de verre » constituée uniquement d’objets FontanaArte, interagissant entre eux et dans l’espace. Le verre comme matériau idéal ? Certes, si des modernistes comme Pierre Chareau ou Mies Van Der Rohe ont repris en partie ce postulat, le mérite revient à Fontana et Ponti qui, avant eux, ont su détourner le verre industriel en matériau pour objets et mobilier domestiques élégants et luxueux.
FontanaArte, Vivere nel vetro, Le Stanze del Vetro, Fondazione Giorgio Cini, Isola Di San Giorgio Maggiore, 30124 Venezia (It) – Jusqu’au 31 juillet 2022. Entrée Libre.
Sans jamais sombrer dans le pathos, les 82 pavillons nationaux dispersés entre les Giardini, l’Arsenal et la cité, traitent de nombreux thèmes d’actualité comme la femme au sein des sociétés, les communautés, le genre, l’environnement, l’histoire ou la notion de migration. Focus sur quelques immanquables, primés ou non.
Coup de cœur pour le pavillon polonais, revanche des « Rom »
Douze installations textiles monumentales réalisées par Małgorzata Mirga-Tas, artiste-activiste rom forment « Re-enchanting the World », œuvre flamboyante inspirée des fresques de la Renaissance du Palazzo Schifanoia, à Ferrare. Ce splendide patchwork est un plaidoyer en faveur de l’identité rom, de son art au sein de l’histoire de l’art européen. Intime – l’artiste y a représenté sa famille – et collectif – il évoque la minorité rom – il propose un nouveau récit sur la migration culturelle, fondé sur l’idée de « transnationalité » et d’appropriation des images.
Zineb Sedira fait son cinéma au pavillon français
Promesse tenue et mention spéciale du jury pour Zineb Sedira et son projet « les Rêves n’ont pas de titre ». Le public pénètre un lieu de tournage inspiré des années 60-70-80 où un couple danse un tango dans un bar, comme il est invité à s’engouffrer dans l’intimité de la plasticienne. L’artiste de Kamel Mennour raconte sa propre histoire au sein de la grande, dans une atmosphère postcoloniale, entre la France, l’Algérie et Venise. Comme si on y était.
Les USA célèbrent la femme afro-américaine « invisible », l’Afrique et ses mythes avec Simone Leigh
Avec « Sovereignty », le lion d’or 2022 redonne fierté et noblesse à la travailleuse afro-américaine, tour à tour femme-cuillère d’inspiration Zoulou, reine-cauri, ou encore femme-masque d’influence Baga, dans ce qui ressemble à une maison d’ancêtres. Des corps sculptés féminins noirs, en céramique ou bronze, à travers lesquels la Chicagoenne parle d’exploitation, de colonialisme, mais aussi crée une nouvelle communauté née de l’hybridation des cultures, au-delà des genres et des frontières.
L’Autriche, au pays dingo de Knebl et Scheirl
Remarqué sur Art Paris (galerie Loevenbruck), en 2021, le duo Jakob Lena Knebl et Ashley Hans Scheirl propose “Invitation of the Soft Machine and Her Angry Body Parts”. Un projet coloré, ludique questionnant l’identité, le corps et ses transmutations, à travers une pluralité de médiums. Scénographiés de manière délirante, tout en posant de vraies interrogations, leurs peintures, sculptures, photographies, mobilier design, œuvres textiles, écrits, vidéos, et collection de mode, forment un « tout organique, hybride et vivant », que le visiteur expérimente.
Poétique universelle de l’enfance en Belgique
Depuis 2017, le plasticien belge Francis Alÿs filme l’enfant qui joue, aux quatre coins du globe – Hong Kong, République Démocratique du Congo, Belgique, Mexique -. Avec poésie et humilité, « The Nature of the Game », installation de vidéos et petits tableaux parle de colonialisme, comme d’actualité. « J’ai souhaité remettre au centre de l’attention les enfants qui ont beaucoup souffert durant le confinement », souligne-t-il. À travers un parcours entre les écrans, il évoque aussi la similitude de l’être humain. Loin du fracas de l’univers adulte, l’enfant joue avec la même insouciance, qu’il vive dans un monde protégé ou soumis à ses turbulences.
À l’Arsenal, l’Arabie Saoudite tire la sonnette d’alarme sur l’environnement
Le riyadien Muhannad Shono a imaginé une installation mouvante de 40 mètres de long, réalisée à partir de feuilles de palmier peintes en noirs. « The Teaching Tree », tel un « arbre vivant » entre déesse-mère et animal fantasmagorique, semble nous avertir de l’impact du changement climatique, comme il fait allusion à l’espoir d’une renaissance. Une leçon de résilience de Mère-Nature à l’Homme.
Subjective, cette sélection illustre toutefois la récurrence des thèmes que l’on retrouve encore au pavillon anglais de Sonia Boyce, Lion d’or pour la meilleure participation nationale, mettant à l’honneur les femmes noires à travers le chant et son projet « Feeling her way ». De même, les pavillons danois, coréen, nordique nous invitent au pays de la transmutation, de l’étrange ou de la communauté Sami. Des nations illustrant des préoccupations dans l’air du temps, en symbiose avec le thème général de l’évènement.
Pavillons nationaux, Biennale Il Latte dei Sogni, Venise, jusqu’au 27 novembre 2022. www.labiennale.org
Dans le pavillon français au sein des Giardini de la Serénissime, « Les Rêves n’ont pas de titre, Dreams have no titles » de l’artiste franco-algérienne Zineb Sedira va évoquer des questions actuelles et politiques, sous couvert de propos éminemment personnels.
Après Xavier Veilhan et son « Studio Venezia » en 2015, Céleste Boursier-Mougenot et sa proposition poétique et environnementale « Rêvolutions » en 2017, Laure Prouvost et son projet très aquatique « Vois ce bleu se fondre » de 2019, c’est au tour de Zineb Sedira de s’emparer des divers espaces du pavillon français pour cette nouvelle édition. Soutenu par l’institut français, curaté par Yasmina Reggad commissaire indépendante et directrice de la Bienal das Amazônias de Belèm, au Brésil, ainsi que Sam Bardaouil et Till Fellrath, commissaires de la Biennale d’art contemporain de Lyon 2022 et fondateurs de la plateforme curatoriale artReoriented, son projet s’envisage comme une installation protéiforme mêlant parcours de vie familiale et interrogations multiples associant la France, l’Algérie à l’Italie.
Installation immersive axée sur le cinéma et la famille
« Etant une plasticienne vidéaste, le fil de mon projet s’articule autour du cinéma à travers une coproduction algéro-franco-italienne et se veut un petit clin d’œil à la Mostra de Venise », explique-t-elle, lors de la présentation presse au cinéma Jean Vigo qu’adolescente, elle fréquentait, à Genevilliers. Toutefois, « Les Rêves n’ont pas de titre, Dreams have no titles » est une installation plus large, rassemblant au sein de l’architecture néoclassique du pavillon – avec laquelle il peut être parfois complexe de négocier -, des films, des objets, des archives et meubles personnels de l’artiste, un peu à l’image de son exposition « L’espace d’un instant » présenté au Jeu de Paume, en 2019, qui reconstituait une partie de son salon, à Londres. Un projet à la fois intime et universaliste, qui parle de sa famille mais aussi de racisme, de solidarité, de colonisation et décolonisation, d’identités multiples, à travers la présentation de « films significatifs, issus du répertoire du cinéma militant algérien des années 1960 ».
Le cinéma militant algérien comme point de départ pour Zineb Sedira
Pour mener à bien ce projet, Zineb Sedira a travaillé pendant plus de deux ans, durant lesquels elle a retrouvé, en Italie, le film « Les Mains libres (ou Tronc de figuier) », réalisé en 1964 par l’italien Ennio Lorenzini. Restauré en partenariat avec la Cineteca di Bologna, avec laquelle Zineb Sedira a beaucoup collaboré, ce premier long métrage algérien « post indépendance », véritable « autoportrait d’un jeune Etat qui vient de gagner sa liberté » sera projeté dans les espaces pavillonnaires.
En complément et conférant une trace écrite à ses recherches multiples, trois journaux portant le nom de ses trois villes de cœur pour le projet – Alger, Paris, Venise – y seront présentés. « Ils synthétisent toutes les longues heures de discussion et de travaux que j’ai pu mener en Italie, en France, bien que je n’aie pu me rendre en Algérie à cause de la crise sanitaire » explique-t-elle. « Ils relatent tout le cheminement vers cette production finale et informent de ce qui se passe au sein du pavillon. »
Au-delà de cette vision intime et universaliste du monde qui montre combien des propos personnels peuvent avoir une résonnance internationale, l’on peut se poser la question du choix de la plasticienne et de son projet pour représenter la France. Si la franco-algérienne soutenue par le galeriste Kamel Mennour se défend d’avoir imaginé une proposition aux accents politiques, alors que le 18 mars 2022 marque le 60e anniversaire de la signature des accords d’Evian mettant fin à la guerre entre l’Algérie et la France, la coïncidence reste troublante. « La biennale a été reportée d’une année, ajoute-t-elle, je n’ai pas pris cela en compte… » Et Yamina Reggad d’ajouter : « son propos est plus en continuité avec celui de Laure Prouvost pour le pavillon. »
Zineb Sedira, Les Rêves n’ont pas de titre/ Dreams have no titles, Pavillon Français, Giardini dell’Arsenale, Venise, du 23 avril au 27 novembre 2022.