Wai Ming Lung : “J’aime avoir cette double casquette de directeur de création et d’artiste”
Après une première vie dans la publicité et la communication digitale au sein d’agences telles que BBDO, B2L ou Ogilvy One, Wai Ming Lung possède aujourd’hui son propre studio de création tout en se consacrant parallèlement à une activité artistique. Intramuros Group lui a confié la refonte de l’identité graphique des magazines. Rencontre.
Avant d’être sollicité pour la charte graphique d’Intramuros, quelle était votre perception du titre ?
Pour moi, c’était vraiment un magazine dédié au design qui parlait à la fois aux professionnels et amateurs éclairés. J’ai d’ailleurs été lecteur moi-même puisqu’une de mes premières volontés, quand j’étais en école d’art, était d’être designer de mobilier. Je m’intéresse beaucoup à ce type de sujets et j’ai pu compulser les différentes parutions du titre.
Comment avez-vous construit votre réflexion sur la création de la nouvelle identité du magazine Intramuros ?
Pour concevoir cette identité, je me suis basé sur les grandes tendances et je me suis surtout replongé dans l’univers du magazine. Je travaille toujours en essayant de me mettre dans la peau du lecteur, et je me suis amusé à chercher à savoir, avant toute chose, comment j’aurais voulu qu’il soit. L’important, c’est évidemment de parler à son public, mais c’est aussi de le projeter quelque part. En tant que créatif, je cherche toujours des espaces vides ou des espaces d’expansion, des territoires à conquérir.
Quels ont été vos partis-pris ?
Je l’ai exprimé comme un lecteur de 2021. Je ne voulais pas que ce soit monolithique, uniquement destiné à des spécialistes. J’ai essayé de faire une proposition composite, ce qui à mon avis reflète bien l’esprit de l’époque, avec un aspect très tranché autour de de la typographie.
Je ne voulais pas que ce soit très classique, même si ça aurait pu l’être car Intramuros est resté pour moi “classique”, un “incontournable” dans ce domaine.
Fort de ce constat, qu’avez-vous voulu exprimer à travers ce nouveau logotype, à la fois dans ses intentions et dans son traitement ?
Il fallait mettre en avant la puissance du titre, ne pas être timide, mais plus ouvert, plus osé, plus explorateur. J’ai l’impression qu’il y a eu une grande vague de design et de décoration intérieure dans les années 2000 et que la communication autour de ces sujets est restée comme “coincée” à cette époque.
Les années 2010 constituent une période beaucoup plus éclatée. Je l’ai retranscrit par cette typo bâton légèrement customisée, légèrement personnalisée, très affirmative et résoluement moderne. Et qui peut être extrêmement versatile.
Parallèlement à votre métier de directeur artistique, vous vous êtes depuis peu lancé dans une activité d’artiste.
Oui, je me suis remis à la création plastique très récemment, et actuellement mes peintures sont très inspirées par l’architecture brutaliste : le béton brut, l’art suprématiste du 20e siècle avec un retour aux formes essentielles telles que le rond, le triangle, le carré, le parallélépipède et les couleurs primaires. Ce sont de beaux univers avec des images très absolutistes : on fait table rase d’une forme qui, parfois, peut être considérée comme agressive pour recréer quelque chose de nouveau. On est pleine déconstruction, révolution, reconstruction en ce moment, et c’est pour ça que la sémantique révolutionnaire m’intéresse. Sachant que “révolution” comme disait un philosophe contemporain, c’est aussi un retour à la case départ.
Pourquoi ce “retour aux sources” ?
J’ai fait les Arts Déco de Paris. Ensuite, j’ai vécu ma vie de créatif “mercenaire” (rire) en agence et j’ai créé pour les autres : je me suis mis au service des marques, de la publicité.
Aujourd’hui, à l’aube de mes 50 ans, j’ai envie de créer pour moi-même. Ce retour à la case départ, cette forme de révolution dans ma démarche, est en cohérence avec ce que j’ai pu faire avec Intramuros, c’est-à-dire revenir à la base avec un vocabulaire volontairement très restreint : du noir, du monochrome, mais du figuratif quand même pour que cela ait un sens immédiat.
Ce retour aux sources, c’est SHDW BXNG (ndlr : Shadow Boxing), votre série inspirée par l’univers de la boxe. Comment l’avez-vous appréhendée ?
J’ai commencé par une série d’une vingtaine de pièces sous forme de peintures, de dessins, ou en intervenant sur des objets existants, comme des sacs de boxe ou des gants de boxe.
La plupart des pièces sont en noir sur noir. Les objets en cuir, quant à eux, sont directement gravés au scalpel. Ainsi, ce sont uniquement les lumières qui donnent la profondeur. J’ai par conséquent involontairement créé une collection 100% analogique, qui ne se regarde qu’“en vrai”. Comme à la boxe, c’est une confrontation physique que je sentais nécessaire. J’avais besoin de revenir à de la matière, aux matériaux, au toucher. Même si ça ne se fait pas, j’incite les gens à s’approcher et à toucher les œuvres.
Cette approche est d’ailleurs conservée sur la 2e série sur laquelle je suis en train de travailler, pour une présentation à la rentrée.
Car vous prévoyez une nouvelle expo ?
C’est ça. J’ai eu la chance que la galerie David Cha s’intéresse à moi et me signe en sortie de confinement pour une première exposition. J’ai également eu la chance de ne pas faire d’exposition collective, de ne pas exposer dans les endroits qui selon moi dégradent l’artiste plus qu’ils ne le valorisent. Mon but est vraiment d’avoir un corpus de travail beaucoup plus conséquent. J’ai actuellement une vingtaine de pièces, mais il m’en faudrait 50, 70 voire 100 assez rapidement si je veux devenir intéressant pour le marché. Parce que malgré tout, arrivé à maturité professionnelle, je n’ai plus le luxe de faire le naïf et de croire que tout le monde m’attend.