Upcycling
Le recyclage des matériaux est devenu un enjeu majeur pour les créateurs de mode. La remise dans le circuit de matières dont on ne savait pas quoi faire est en train de faire naître un nouveau modèle économique en même temps que cela engendre une nouvelle façon de créer.
Le recyclage ne présente que des avantages a priori. Créer avec seulement de l’existant permet aux uns de se débarrasser d’encombrants stocks alors que les autres peuvent profiter de matières premières à prix cassés et disponibles immédiatement.
Point de départ : la poubelle
Toutefois, la plupart du temps, en s’engageant dans cette chasse au gaspillage, le point de départ d’une collection reste le rouleau de tissu. En créant Ecclo en 2018, Rémy Renard savait qu’il voulait fabriquer un vêtement de mode avec le moins d’impact possible sur la planète mais il ignorait la possibilité de puiser dans les déchets ou les stocks dormants. «En tombant sur une cargaison de 38 rouleaux de 1.908 mètres de denim brut Made in France, juste altéré à quelques endroits, dans une usine des Vosges, j’ai pris la décision de créer une marque de jeans éco-responsable et durable, en ne commandant jamais la production de matières, mais en n’utilisant que de l’existant.» La difficulté pour sa styliste a été de déterminer le mood-board et les premiers modèles avec cette toile brute et très épaisse.
Habituellement, les directeurs artistiques imaginent une silhouette, une ambiance, une posture ; les stylistes transforment ces inspirations en croquis et les modélistes… en modèles. Les sourceurs vont alors chercher les matières qui correspondent parfaitement à l’esprit du directeur artistique, au design voulu par le styliste et compatible aux mesures du modéliste. Avec les stocks dormants et les matières recyclées, tout est chamboulé. « Créer à rebours, une fois le tissu en main, est effectivement un challenge » abonde Claire Alvernhe, la cofondatrice des Hirondelles.
Une originalité de fait
La démarche est similaire chez la marque de lingerie Ré /elle Paris. Sans doute n’aurait-elle pas pris cet accent pointu et audacieux si Eugénie Puzzuoli et son associée Marjorie Dubois n’avaient pas été contraintes de créer en partie avec des chutes. « Aujourd’hui, on attend de nous ces mélanges et ces partis pris que l’on avait faits au départ parce que nous n’avions pas le choix. La très belle soie vert sapin mariée à un tulle crème finement brodés à la main ont été débusqués dans deux hangars différents. Nous n’aurions pas pu proposer, voire imaginer ce niveau de gamme, cette qualité et surtout ce mélange si nous commandions nos matières.»
Laetitia Ivanez, la créatrice de la marque de mode féminine Les Prairies de Paris, s’est également relancée sur ce credo d’une mode plus juste et plus respectueuse. La créatrice pioche dans les stocks de griffes de luxe pour donner accès aux plus beaux matériaux à ses clientes à prix modérés. Les tisseurs et les marques, comble du système vertueux, y trouvent un débouché inattendu pour leurs reliquats, à la fois responsable et solidaire.
Trait d’union
Les start-up qui mettent en relation possesseurs de tissus inexploités et créateurs désargentés mais plein d’idées font florès. Les français UpTrade ou Upcybom pour les tissus de grande diffusion, Sed Nove Studio et Adapta pour les chutes de cuir, rassemblent les matières premières dans des catalogues aussi fournis que ceux des fournisseurs habituels de la mode. La Réserve des Arts, à Vincennes, en région parisiennes, ouvre aussi ses portes aux designers de tout bord, proposant des matériaux souples comme plus rigides. Queen of the Raw à New York, ou The Fabric Sales en Angleterre jouent le même rôle de trait d’union. Tous mettent en relation des tisseurs envahis par les rouleaux dormants et des fabricants, à l’autre bout de la planète, engagés dans « une autre mode ».
Dans le catalogue ressources.green de la Fédération Française de Prêt-à-porter féminin, ils sont légion. D’ailleurs, selon Adeline Dargent, la responsable développement durable de la Fédération, « une grosse poussée de création à partir de matériaux recyclés devrait avoir lieu. L’obligation, au niveau européen, pour une entreprise qui met sur le marché un vêtement, d’inscrire sur ses étiquettes le pourcentage de matières recyclées incluses dans son produit devrait encourager à en utiliser davantage ». Car chacun sait que « si le critère d’achat numéro un est le prix et que juste derrière arrive le style, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à la durabilité de leurs achats de mode ». Certains réclament déjà de leurs marques préférées qu’elles se plient à leurs nouvelles exigences vertes et vertueuses.
Une source intarissable
Ce marché attire de plus en plus de convoitise. Mais pas de panique, les stocks dormants et les bennes de recyclage ressemblent à des puits sans fond. Malgré les efforts immenses des industriels de la mode, des tisseurs aux façonniers en passant par les marques et les créateurs, pour calculer au plus juste leur utilisation de matières premières, la source ne se tarit pas très rapidement. Ils sont certes aidés par des outils high-tech, machines de découpes nouvelle génération ou logiciels d’optimisation de placements. Mais l’accident – l’aiguille qui casse, un fil qui saute, le mauvais rendu de couleurs, un dosage inexact des pigments, ou tout simplement des ventes en deçà des prévisions, un directeur artistique qui change d’avis, une tendance qui ne se confirme pas – n’est jamais exclu. Et puisqu’il interdit de détruire ses invendus désormais et que le réflexe de donner ses anciens vêtements à recycler est acquis, la fontaine ne s’arrêtera pas de si tôt.
Le recyclage des matériaux est devenu un enjeu majeur pour les créateurs de mode. La remise dans le circuit de matières dont on ne savait pas quoi faire est en train de faire naître un nouveau modèle économique en même temps que cela engendre une nouvelle façon de créer.
L’industrie de la mode recherche activement des solutions pour rendre sa chaîne de production plus verte. Un moyen tout simple est vite apparu. Il a même sauté aux yeux de tous, jeunes créateurs indépendants, comme gros acteurs du textile habillement ou majors du luxe. Une évidence. Alors que la planète a chaud, recouverte qu’elle est des tonnes de vêtements que les humains (surtout en occident) jettent au quotidien, il suffit de se pencher et de servir dans les montagnes de déchets et piocher dans les poubelles pour trouver les étoffes des vêtements de demain. Et créer la nouvelle mode.
Prince charmant
Les Anglo-Saxons les appellent «dead stocks» (stocks morts) ou «leftovers» (laissés pour compte). Dans la langue de Molière, le romantisme est de mise : on parle de « stocks dormants »… qui n’attendent qu’un prince charmant pour les réveiller. De jeunes créateurs allergiques au gaspillage et sans le sou se proposent d’endosser ce rôle. Des grandes griffes de luxe se sont aussi essayées à la revalorisation de leurs propres richesses, au premier rang desquelles Chanel. Pour la collection croisière 2021, présentée juste après le premier grand confinement, en juin 2020, le nombre de références avait été resserré et seuls des tissus, cuirs, plumes, paillettes ou dentelles qui se trouvaient déjà sur les étagères des studios de création avaient été exploités.
La créatrice la plus en vue du moment, Marine Serre, est un chantre de l’upcycling. En français, il faudrait dire « recyclage améliorant » ou « sur-cyclage ». Elle fait sensation sur les podiums de la Paris Fashion Week avec des combinaisons ultra sexy faites à partir de surplus de l’aviation américaine, des robes du soir en toiles de parachutes, des vestes dans les draps des uniformes d’agents Sncf. Vendu à prix d’or dans les plus belles boutiques du monde entier, sa mode remet les pendules à l’heure et redonne une nouvelle définition du luxe. Un produit de luxe est rare car il est unique, fait par un créateur à la vision singulière pour une seule personne… Et pour cause, avec des chutes, des stocks dormants ou des Puces, il n’y a pas deux produits semblables.
Pinko a même nommé un directeur du design durable en septembre 2020. La première collection de Patrick Mc Dowell, premier styliste de l’histoire de la mode à occuper ce poste, s’appelle Re-imagine. Elle a été conçue à partir de stocks de tissus qui dormaient dans les hangars de la société, a donné naissance à une grande série. Au point qu’aujourd’hui, la marque de prêt-à-porter prémium italienne envisage de pousser sa ligne éco-conçue en première ligne. De grandes chaînes, dont on sait la difficulté à bouger et à se transformer, sont aussi séduites par la réactivité promise par la réutilisation de rouleaux de tissus déjà sur site.
Serait-ce un premier pas vers la relocalisation ? Bizzbee ou Tape à L’œil, enjoints par Le Plateau Fertile de Roubaix, se lancent dans la transformation de leurs chutes en accessoires, sacs, pochettes, quand Jules et Brice, vont faire refabriquer des jeans en France avec des chutes pour limiter les coûts. De son côté, Promod met même en place la vente de coupons. A l’autre bout de l’échiquier, chez les jeunes créateurs indépendants, c’est là que cela s’active le plus pour mettre en place un nouveau système de la mode.
Corriger les défauts du neuf
Faire du neuf, du désirable et de l’éco-responsable avec du vieux, du rejeté, du mal aimé : c’est ce que Yolande Klaassen propose avec Revive Clothing. « Chaque produit est fait à partir d’un vêtement déjà existant, invendu dans les boutiques. » Bien avant que la loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire (Agec) n’entre en vigueur, la créatrice s’invitait dans les arrière-boutiques. « Il y a trop de gaspillage dans le textile-habillement. Bien sûr, il se peut qu’il y ait des erreurs d’achats, des tendances qui ne se confirment pas, des couleurs qui ne rendent finalement pas très bien. Mais j’ai été témoin de productions énormes réalisées exprès pour être vendues pendant les soldes, avec l’éventualité d’être à côté de la plaque. »
Analyser les raisons de ces échecs commerciaux et proposer des solutions pour qu’ils ne terminent pas chez des déstockeurs ou en chiffons (puisqu’il est interdit de brûler ses invendus depuis janvier 2021) est sa nouvelle mission. « Nous réinventons le vêtement pour corriger un défaut ou pour transformer un élément qui n’a pas plu au consommateur. C’est ici un look trop masculin pour une chemise militaire où il suffisait d’enlever les rabats des poches et d’ajouter des lisérés de dentelles pour qu’elle décolle. Là, une combinaison trop chaude et pas pratique qui ne demandait qu’à être coupée en deux pour trouver preneuse. »
Alexandre Iris et Gauthier Desandre Navarre invitent même depuis le mois de juin à découvrir « Cent Neuf, la marque qui injecte du sang neuf dans votre vestiaire. Sans neuf. » Ils promettent réinventer la seconde main. Cent Neuf est la première marque à développer, grâce à un directeur artistique, ses propres collections 100% seconde main. « Cent Neuf ne crée rien, à part une nouvelle approche de la mode », promettent les deux spécialistes de la mode, connus pour avoir été à l’œuvre chez Ba&Sh notamment.
Sans le sou mais plein d’idées
La préférence pour des stocks dormants n’est pas forcément un choix d’emblée. Mais cela devient un moyen de se différencier, d’autant plus évident pour de jeunes marques qui se lancent. « On ne peut pas arriver dans ce secteur aujourd’hui en reproduisant les schémas délétères du passé », indique le duo de créatrices de Salut Beauté Sarah Nimir et Mathilde Gindre. Grande consécration : elles ont fait leur apparition dans le temple de la mode, the place to be lorsque l’on embrasse la carrière de créateur de mode : le Printemps, boulevard Haussmann, à Paris, a déroulé le tapis rouge à leur approche éco-responsable de la mode – et à leur style bien sûr.
Elles font remarquer que « l’offre de matières à recycler est si large que nous pouvons nous permettre d’obtenir notre premier choix de tissu, celui que nous avions imaginé dans nos croquis. Nous pouvons même travailler comme n’importe quel studio de création en commençant par dessiner et chercher ensuite le tissu qui rendrait le mieux. Si d’aventure, une superbe matière n’était disponible qu’à raison de 30 mètres, le défi est de trouver le meilleur complément pour finaliser la silhouette ».
Pour cette 2e édition du concours Ecole Camondo-Intramuros, les partenaires Adagio, Serge Ferrari et Lafuma ont respectivement sélectionné les lauréats Thomas Delagarde, Léna Micheli et Clémentine Doumenc. En attendant de découvrir les parcours de ces trois jeunes créateurs dans le prochain numéro d’Intramuros, la rédaction fait le point sur chaque «duo». Retour de Bergamote Dubois Mathieu, Brand & PR Manager, et de Constance Kocher, chef de marché mobilier chez Serge Ferrari.
Comment s’est passé pour vous le choix de votre lauréat parmi les différents projets de diplôme ? Comment Léna Micheli s’est-elle démarquée ?
Après avoir étudié les dossiers de diplôme de l’ensemble des étudiants, nous avons fait une première sélection des trois dossiers qui nous paraissaient pertinents et répondants aux valeurs de notre entreprise et à notre métier.
Léna s’est démarquée de par le professionnalisme de son dossier, la clarté de sa présentation et la didactique de son exposé ; son sujet faisant écho aux préoccupations de notre entreprise.
Quelle est la mission qui lui a été confiée ?
Nous avons demandé à Léna de développer le concept qu’elle avait travaillé pour son mémoire de diplôme en l’adaptant à nos process industriels. Ainsi, Léna mène une réflexion globale en terme d’upcycling.
L’objectif de cette approche vise à créer un produit nouveau à partir des déchets et rebuts engendrés par nos processus de production. À terme, cette logique pourrait être intégrée de façon systématique à toute notre chaîne de fabrication, créant ainsi une nouvelle valeur pour nos matériaux de production initialement perdus.
Cette démarche fait écho à l’un de nos objectifs RSE.
Comment s’est organisé son travail ?
Sur le dernier trimestre 2021, Léna a été intégrée chez Serge Ferrari en tant que stagiaire. Depuis le 1er janvier, elle est à son compte et nous sommes liés par contrat pour ce projet. Léna dédie une journée par semaine à ce projet et vient dans nos locaux dès que le besoin s’en fait ressentir afin de pouvoir collecter des matériaux pour le prototypage, échanger avec les différents services sur des problématiques de faisabilité et de sécurité sanitaires. Nous sommes encore à l’étape étude de faisabilité.
Globalement que retirez-vous de cette collaboration ? Est-ce ce que vous attendiez ?
Nous sommes ravies de pouvoir accompagner Lena dans ce projet qui a beaucoup de sens pour Serge Ferrari. Léna apporte de nouvelles perspectives sur nos problématique et un regard neuf sur le sujet de l’upcycling.
Transilien SNCF fait appel à 5 studios de design pour repenser des pièces du « Petit Gris » et met aux enchères 90 pièces originales de ce train emblématique du paysage francilien, ainsi que 35 pièces repensées par 5 studios de design français : Formel, Studio BrichetZigler, Désormaux&Carette, Studio Monsieur et Rémi Perret, dans le cadre de l’exposition « Nouvelle Destination – Les Petits Gris se réinventent ».
La centaine de pièces tirées de ces caisses en inox qui ont sillonné l’Ile-de-France pendant 50 ans est réunie à Ground Control (75012) jusqu’au 1er décembre prochain. Le lendemain, elle sera mise aux enchères, au profit de l’association des Restos du cœur. Comme Airbus en avril dernier, Transilien SNCF mise sur l’upcycling pour donner une seconde vie à ces pièces de l’iconique train aux banquettes en skaï orange.
Lier vintage et design
Transilien SNCF et les studios partenaires ont une volonté commune de transformer certaines pièces des « Petits Gris » en objets du quotidien. Tandis que certains se sont concentrés sur les pièces iconiques, comme Rémi Perret qui repense l’utilisation des banquettes, d’autres, à l’image du Studio BrichetZiegler, ont souhaité révéler les pièces invisibles telles que les phares du train tôlé.
Le duo Formel effectue un travail historique autour de ces pièces et décortique les charnières des strapontins des « Petits Gris ». Les deux designers Timothée Concaret et Nicolas Mérigout adoptent une approche rationnelle quant à la création de leur objet et proposent ainsi des tablettes murales rabattables qui usent de ces charnières encore fonctionnelles.
Une 2e vente au profit des Restos du Cœur
Après 2012, Transilien SNCF organise sa 2e vente aux enchères solidaire, dont l’intégralité des profits sera reversée aux Restos du Cœur. Une démarche qui résonne chez les 5 studios partenaires puisqu’ils présentent des objets non seulement esthétiques, mais aussi utilisables.
Les 125 pièces des « Petits Gris » sont exposées jusqu’au 1er décembre 2019. La vente aux enchères se tiendra le 2 décembre prochain à 18h30 et simultanément à Ground Control (75012).