Écologie
Qui aurait pensé qu’un jour, on associerait au terme de paysan celui de designer ? À l’aune des bouleversements que l’on connaît, l’agriculteur actuel repense son métier, ré-appréhende les sols, crée de nouveaux outils pour mieux vivre et nous nourrir, tout en valorisant Mère-nature. En combinant pratiques anciennes et high-tech, ce gentleman farmer version XXIe siècle défend la notion d’agroécologie et tente de répondre aux questions fondamentales de notre époque et celles à venir. Une exposition-manifeste.
« Paysans designers, l’agriculture en mouvements » explore la notion de Farming design [design de l’agriculture, ndlr], en dressant le portrait d’une nouvelle génération de paysans, à travers la présentation de leurs visions très à l’écoute de la nature et de ses comportements. « Agriculture et design ? Le lien va de soi, car le premier domaine constitue un des enjeux majeurs de notre société et une des grandes questions du design, ce sont les procédés de production, explique Constance Rubini, directrice du musée et commissaire de l’exposition. Et puis, un des rôles du design actuel n’est-il pas d’inventer de nouvelles réciprocités ? On dénombre aujourd’hui beaucoup de parallèles entre ces pratiques et celles du design. » Prenant place dans les espaces d’expositions temporaires installés dans l’ancienne prison du XIXe siècle accolé au bâti fondateur du musée, le parcours, divisé en deux parties par un couloir orné des portraits des « pionniers » de la tendance, se déploie de chaque côté de deux grandes cours, autour desquelles les anciennes cellules carcérales traitent de nombreuses thématiques.
Exposition ''Paysans designers, un art du vivant'' © madd-bordeaux
''Des Jardins dans la ville'', Les graines comme patrimoine vivant, cour d’honneur du madd-bordeaux. Jardin imaginé et parrainé par Caroline Miquel, paysanne maraîchère, fondatrice des Jardins Inspirés au Taillan-Médoc, Gironde
Portraits de paysans en designers
Dans la première des cours intérieures, tel un état des lieux sur le sujet, l’exposition évoque les avancées de neuf « paysans-chercheurs » internationaux à travers une scénographie végétale, en mue. Dans la Drôme, Sébastien Blache, ex-ornithologue du Muséum d’Histoire Naturelle et Elsa Gärtner plantent entre autres des arbres et des haies, installent des nichoirs, afin de développer et regénérer la biodiversité. Au Burkina Faso, la démarche agroécologique globale du domaine d’Adama Dialla s’est mise en place avec l’association locale « Association Inter-zone pour le Développement en Milieu Rural » (AIDMR) et une seconde, française, « Terre & Humanisme ». Alliance et rotation des cultures, gestion rationnelle de l’eau constituent quelques-unes de ses pratiques agroécologiques adaptées au lieu. Autre exemple, au Brésil, Ernst Götsch, qui ne se sépare jamais de sa machette ici exposée, a observé ses sols dégradés, destinés à des projets immobiliers, et y a retrouvé quatorze sources. Le résultat ? En dix ans, une forêt dense a pris place et redonné au terrain toute sa fertilité.
Le design pour une image plus désirable du métier
Quant aux douze cellules attenantes, elles abordent des points clés comme les semences, le levain, la standardisation du vivant, mais aussi présentent une image plus attractive de cet acteur de la terre, à travers des installations, interviews et film. Dans l’une d’elles, le reportage de Colombe Rubini présente trois « jeunes pousses » à l’écoute sensible de leurs bêtes ou de leurs terres : la bergère Maina Chassenet, l’éleveuse de cochons Nina Passecot et le producteur de thé en pays basque, Mikel Esclamadon. Au fil des espaces, se dessine donc le visage d’une paysannerie en lien très intime avec sa terre, qui travaille en réseau, partage ses connaissances, ses outils, ses matériaux. Pour preuve, la coopérative française l’Atelier Paysan diffuse librement des plans sur internet, comme ceux des maquettes exposées de « l’Aggrozouk », porte-outil respectueux des sols, au design très lunaire, ou du « cultibutte » conçu pour façonner ou entretenir les buttes.
Une autre section évoque par un jeu de comparaisons la régénération des sols, sous le prisme de la permaculture ou de l’agroforesterie redessinant les paysages. L’exposition nous amène également à réappréhender l’eau comme un « cycle », avec l’installation de l’atelier CTJM des designers Charlotte Talbot & Jonathan Mauloubier, évoquant la transpiration journalière d’un chêne – jusqu’à 500 litres d’eau -, en été. Mais aussi à « entendre », « observer » l’intelligence des plantes qui transmettent et émettent des signaux, comme le démontre le neurobiologiste végétal italien Stefano Mancuso, mais aussi la conférence du biologiste Francis Hallé, spécialiste de l’écologie des forêts tropicales, à Montréal, en 2018, audible in situ.
Design repensé des outils et étudiants-designers en agriculture
« Campagnoles », « presse-mottes », « grelinettes » … Dans la seconde cour sont réunis de « nouveaux » outils paysans plus malléables, s’inspirant de ceux avant l’ère industrielle, dans une scénographie de François Bauchet et Jean-Baptiste Fatrez. Enfin, comme un clin d’œil à l’avenir de ce thème en regard du design, le musée expose les propositions des étudiants de l’ECAL – Ecole cantonale d’art de Lausanne – sous la direction d’Erwan Bouroullec, petit-fils d’éleveurs. Des installations un tantinet pince-sans-rire, qui rafraîchissent notre mémoire en dénonçant, entre autres, la mainmise de la Chine sur la banane ou le transport toujours très polluant de marchandises.
Proposant un éclairage prospectif, inédit et instructif sur l’agriculture, l’exposition peut paraître complexe par ses propos très scientifiques et ses multiples points de vue, pour le simple amateur de design. Cependant, cette présentation qui s’étend dans certaines fermes et vignobles bordelais ainsi que dans les espaces plantés, à dessein, dans divers quartiers de la ville, est aussi la parfaite illustration des propos du designer américain Paul Rand, stipulant que tout était design. Everything is Design, comme l’agriculture !
Paysans designers, l’agriculture en mouvement, Musée des Arts décoratifs et du Design, 39 rue Bouffard, Bordeaux (33000).
www.madd-bordeaux.fr jusqu’au 8 mai 2022.
Début mars, dans le cadre d’Intramuros Lab, Isabelle Daëron présentait ses expérimentations en cours autour du rafraîchissement des villes .Retrouvez la vidéo de son intervention.
Formée à l’ESAD de Reims, puis à l’Ensci-Les Ateliers, Isabelle Daëron développe depuis une dizaine d’années une réflexion autour de multiples champs du design avec son Studio Idaë : design produit, scénographie. Engagé, inscrit dans les défis écologiques actuels, son travail se distingue par une exploration des ressources naturelles, une optimisation des flux d’un environnement donné. Elle a reçu de nombreux prix, dont le prix Lille Design en 2012, Le Grand Prix de la ville de Paris en 2013, le prix Audi Talent Award en 2015, finaliste du prix COAL -Art et Environnement en 2017, lauréate du FAIRE DESIGN en 2018…
Isabelle Daëron a exposé en France dans des événements majeurs comme la Biennale de Saint-Etienne, mais aussi à l’étranger (Taipei, Helsinki, Japon…). Récemment, outre une scénographie pour l’exposition « Champs libres » pour le Maif Social Club, elle a dessiné des luminaires pour Leroy Merlon tout en menant une expérimentation au long cours sur le design urbain. Lors d’une conférence dans les locaux d’Intramuros, elle présentait ce dernier pan de son travail.