Voyage en Faïencerie à Gien
À Gien, dans le Loiret, région Centre-Val-de-Loire, Mathilde Brétillot signe la nouvelle scénographie du musée qui a ouvert ses portes le 29 avril 2022. Dans un bâtiment industriel rénové par Atelier Jourdain Architecture, à l’occasion des 200 ans de la manufacture en 2021, on peut découvrir sur 400 m2 une présentation historique et thématique de la faïence.
Couleur « terre crue », ambiance « crayeuse »… un environnement idéal pour mettre en valeur dans trois espaces différenciés, les couleurs de la manufacture, secret de fabrication industriel. Car il ne suffit pas de mélanger, la terre, la craie, le feldspath et l’eau pour obtenir cette pâte que l’on appelle faïence à Gien et qui nécessite trois étapes de cuisson dans des fours à très haute température dont une après émaillage et une après peinture délicatement faite à la main. Car le fait-main reste l’atout maître de l’industrie française qui n’a jamais autant cherché de personnels maîtrisant ces savoir-faire plus que les tableaux Excel de rentabilité.
200 ans d’histoire
Innovations techniques, succès des expositions universelles du 19ème siècle, l’entrée dans la modernité (avec la fourniture des carreaux du métro parisien), les collaborations avec les artistes du 20ème siècle et les designers du 21ème siècle, sous un rayonnage chronologique, le visiteur peut découvrir des pièces uniques, issues des 2000 pièces de la collection Gien : Fornasetti, Pascal Mourgue, Paco Rabanne, Martin Szekely, Isabelle de Borchgrave et son assiette Millefleurs, incontournable et best-seller depuis 2005…
Le cabinet des dessins a fait un choix exigeant entre les 12000 dessins et 8000 planches numérisés en 2018. Dans le salon Bapterosses, du nom de l’ancien propriétaire de la manufacture, trône une cheminée ayant appartenu à Jean-Felix, qui côtoie le fameux vase Paon de 3 m de haut mais aussi les beurriers, les pendules, les aiguières, les gourdes, les encriers, les bénitiers, les bonbonnières, les barbotines et les dinettes pour enfant… que l’on peut toujours demander à compléter et à acheter dans le magasin d’usine.
Yves de Talhouët, le nouveau propriétaire depuis 2014 des 8000 m2 du site, a pour ambition de construire une résidence pour artistes au dernier étage du musée, un espace où ils pourraient affiner leurs dessins et bénéficier directement de la proximité de l’usine pour les mettre au point. Si les rencontres avec JonOne, Pen Yong, Ines Longevial ou Julie de Libran ont été le fruit d’excellentes recommandations, les 800000 pièces produites à l’année sont le résultat du savoir-faire inestimable de 150 ouvriers, en permanence au feu.
Un propriétaire engagé
Yves de Talhouët aime raconter son entreprise. « Cette ouverture pendant l’année du bicentenaire est d’une importance capitale. Et il y a de nombreuses anecdotes à raconter sur son histoire comme celle par exemple des carreaux du métro : le carreau à bord biseauté a été mis au point pour rassurer les premiers utilisateurs du métro qui au début du 19ème siècle n’avaient aucune envie de circuler sous terre. Paris, percé de toute part, paraissait fragilisé. Mais pour la faïencerie, cela a été de suite un énorme marché qui l’a fait connaître de par le monde entier grâce aux expositions universelles. Il reste une douzaine de stations toujours équipés du carreau d’origine sur la ligne à l’époque recensée comme Nord/Sud et l’on peut encore trouver sur certain carreau ce monogramme N/S qui fait la fierté du métropolitain. Ces carreaux réfléchissaient la lumière quelque peu blafarde des premiers éclairages au gaz et donnait un sentiment de solidité des accès aux tunnels. Pour cette faïencerie qui reflète un art de vivre à la française et bénéficie à l’étranger de l’image de marque de la France, je ne pouvais résister à la tentation de l’aider dans son développement. Pour moi qui aime le bois, la ferronnerie, la chaux, originaire d’un village des Vosges à côté de Lunéville, ingénieur de formation (Polytechnique et Telecom) je me suis engagé dans cette croisade. Les derniers designers suggérés par Nathalie Cesbron sont des talents de la mode avec qui elle a pris contact et avec lesquels ce fut à chaque fois une rencontre, un projet de notoriété, une envie réciproque sous-tendue par autre chose qu’une simple motivation financière. Yaz Buckey signe le service du printemps, Julie De Libran des assiettes personnalisées qu’elle vend également dans son showroom et La Prestic Ouiston (Laurence Kiberlain, Laurence Mahéo et Stéphanie Bonvicini) essaient de tirer le meilleur de la proximité avec les ouvriers et ouvrières de la faïencerie. »
Le musée donne l’opportunité de voir un best-seller, le jardin de Kyoto édité à 20 exemplaires et vendu 9000 euros pièce, sans oublier le service à thé Tara de Claude Bouchard ou les Naïades, quatre ondines, Céleste, Grace, Ondine et Victoire, porteuses d’eau où dessiner à la main le filet manganèse qui les entoure est un véritable honneur pour les jeunes recrues.