Brigitte Silvera : "Il faut un amour du design pour être prescripteur"
© Silvera

Brigitte Silvera : "Il faut un amour du design pour être prescripteur"

Créée en 1990, Silvera distribue plus de 500 marques pour des projets d’aménagements d’intérieur portant aussi bien sur du résidentiel que du contract. Un véritable écosystème, organisé autour de showrooms, d’un centre logistique, d’une flotte de véhicule et bien entendu d’un e-shop. Assumant un rôle de pivot dans le marché du mobilier, l’entreprise familiale a forgé son assise par une sélection très ciblée de mobilier contemporain, voire des exclusivités, et suit de près les parcours des créateurs. Conversation libre avec Brigitte Silvera, directrice commerciale, qui pose un regard empreint de respect sur le design français.


Comment définiriez-vous votre rôle de distributeur ?

Les demandes varient en fonction de la localisation des showrooms. Les particuliers viennent chercher chez nous des éléments de mobilier cossues, qui durent longtemps. Les prescripteurs, les architectes nous sollicitent, car nous avons évidemment des marques importantes, et nous sommes au courant des nouveautés. Mais notre savoir-faire est aussi de proposer des pièces que l’on ne voit pas partout, qui soient aussi des pièces de marques connues mais que l’on ne voit pas souvent, que nous allons dénicher, car nous les connaissons bien.

Quelles évolutions majeures avez-vous vues sur le marché ces dernières décennies ?

Je pense spontanément à l’ouverture des marques italiennes. Elles ont une identité très forte, un savoir-faire et une qualité exceptionnels. Ce qui est intéressant, c’est que Les Italiens, qui étaient très fermés sur leurs propres studios de style ou leurs propres designers , se sont ouverts aux designers français, vraiment. Si l’on prend l’exemple de Christophe Delcourt, il a dessiné pour Minotti un canapé, une table de salle à manger, un fauteuil. Baxter aussi a fait appel à lui pour un lit incroyable, et une table basse Fany, qui cartonne car elle est très originale.

D’ailleurs, si on parle des anciens, tous les grands designers français font quand même partie de leurs fonds de commerce d : les grandes marques comme Cassina, Vitra… capitalisent sur les pièces de Le Corbusier, Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Jacques Adnet, Mathieu Matégot… Mais ces éditeurs bougent aujourd’hui et on a vu  convier des designers comme les frères Bouroullec,  Patrick Jouin, Christophe Pillet, Matali Crasset, Ora Ïtao…

Pour quelles raisons selon vous ? Cette génération est déjà bien établie à l’international, qu’est-ce qui fait leur force ?

Je pense que ce sont nos écoles de design, en France. À mon avis, les designers français ont un vrai talent aussi pour traiter l’espace, pour prendre en compte l’aspect architectural d’un projet. Ils ont souvent une double casquette. C’est aussi leur côté « touche-à-tout » :  regardez le parcours de Philippe Starck, Jean-Marie Massaud a dessiné des valises… La patte des Italiens est différente, la ligne est belle, entre la classe et une forme de « cool attitude ». Chez les Français, les lignes sont différentes, il y a une culture de l’architecture.  Par exemple, Poliform  est positionné à l’origine sur les cuisines et le dressing : quand ils ont voulu développer le mobilier, ils ont appelé Emmanuel Gallina qui a fait des produits incroyables, comme la table Concorde qui est un succès en vente. Et regardez leur canapé Saint Germain : Jean Marie-Massaud les a vraiment aidés à être dans le qualitatif sur les produits qu’ils ne savaient pas faire, car ce n’était pas leur métier. À Milan, ils viennent de présenter une collection outdoor avec les mêmes designers.

Régulièrement, vous mettez en avant les designers français dans vos espaces.  Je pense notamment à une très belle présentation du travail de Victoria Wilmotte, il y a deux ans.

Oui , son travail est assez étonnant, il a une véritable identité ! Parfois des architectes nous demandent l’espace pour exposer leurs produits, comme Laurent Maugoust. Philippe Cosson et Virginie Mo ont proposé aussi une collection capsule Géronimo, d’inspiration amérindienne  très délicate. Avoir une telle pièce, dans un intérieur, c’est très intéressant. À côté du showroom de la Rue du Bac, on va promouvoir Youth Editions fondée récemment par Joris Poggioli, notamment une bibliothèque, des lampes originales. Les petits objets seront sur le site mais les pièces seront ici. Nous travaillons aussi avec Uchronia , pour des projets d’architectes mais aussi des pièces d’exception.

Où « sourcez-vous » ces pièces et talents ?

Nous avons souvent repéré des nouvelles marques et talents au Salon de Milan,  notamment au salon Satellite. Pour les jeunes créateurs, c’est compliqué quand ils ne sont pas édités pour nous. On est positionné sur une garantie et une qualité, avec un suivi, et un SAV efficace. On ne fait pas vraiment d’édition, ou à la marge. Beaucoup de gens nous ont demandé de le faire, mùais il faudrait dédier quelqu’un. Nous ne sommes pas fabricants, c’est un vrai métier qui demande une présence. Et c’est difficile de nous positionner  en cohérence avec les marques que l’on vend, leur qualité de détails, de tissus, de structures… Mais on a eu des projets, avec Patrick Norguet par exemple.

Après, dans le sourcing, il y a des nouvelles marques très intéressantes, avec des prises de risques sur un secteur particulier. Je pense par exemple à Noma. Je trouve  aussi que des éditeurs comme La Chance ont un regard très pointu,  remarquable. Et Petite Friture ! on connaît le succès de la Vertigo de Constance Guisset . On essaie aussi de mettre en avant des pièces qui nous paraissent intéressantes, comme la collection Greenkiss d’ Hubert de Malherbes avec Paolo Castelli, et sa chaise incroyablement réalisée. Cette collection s’appuie sur une sélection pointue de matériaux recyclés.

Des pièces spécifiques, c’est aussi pour séduire les prescripteurs ?

Nous travaillons de façon fidèle avec les prescripteurs, et dans notre équipe, qui est aussi prescriptrice. Il faut avoir un vrai  amour du design pour pouvoir être prescripteur. Nous ne perdons pas de vue que nous parlons d’aménagement d’espaces de vie. Nous aidons à trouver des pièces, parfois spécifiques. On peut avoir des pièces atypiques qui rejoignent la démarche de la galerie, pour des pièces d’exception. Dans tous les cas, il s’agit d’aider le client à s’approprier l’espace. En ce qui concerne le contract, notre showroom de l’avenue Kléber est spécialisé, et assure une veille.

Et Silvera a une rentrée bien chargée ?

Oui, nous venons d’achever une extension du showroom rue du Bac. Nous ouvrons un store Cassina à Lyon. Nous allons ouvrir un concept multi-marques à Marseille, sur une très grande surface, et à Bordeaux, sous une nouvelle forme, proche d’une « maison témoin », accessible par rendez-vous.

Rédigé par 
Nathalie Degardin

Vous aimerez aussi

Temps de lecture
5/2/2025
Atlas Concord x Intramuros : Design & Matériaux - Paroles d'experts

Design & Matériaux - Paroles d'Experts - Interview Henry Gagnaire (Directeur design urbain Agence Patrick Join ID)

Design & Matériaux - Paroles d'Experts - Interview Paul Jarquin (Président REI Habitat)

Design & Matériaux - Paroles d'Experts - Interview Brice Errera (Président Groupe Galia)

Design & Matériaux - Paroles d'Experts - Interview Alice Barrois (Directrice d'Agence Grimshaw Paris) & Hélène Duault (Directrice de projet Grimshaw Paris)

Temps de lecture
3/2/2025
Moustache présente l’extra BOLD sofa, toujours designé par BIG-GAME

15 ans après la sortie de la chaise Bold, l’éditeur français Moustache a dévoilé début janvier l’extra Bold sofa, le canapé de son modèle iconique. Une pièce modulable selon les envies, toujours imaginée par le studio suisse BIG-GAME.

Pour cette version canapé du Bold, le studio BIG-GAME et Moustache proposent un modèle modulaire, qui offre une multitude de possibilités. En effet, ce dernier peut prendre plusieurs formes et directions - droit, rentré vers l’intérieur ou vers l’extérieur - pour des compositions à l’infini. « La chaise BOLD jouait avec un principe d’entrelacement de lignes, qui a ensuite été repris sur le tabouret, le banc et le fauteuil. L’extra BOLD sofa a une nouvelle logique constructive, puisqu’il s’agit d’un système modulaire qui s’appuie sur des éléments répétitifs. Conçu à la demande grâce au configurateur numérique de Moustache, il peut être réalisé en lignes droites ou en courbes dans n’importe quelle forme en utilisant un seul module d’assise et un seul module d’accoudoir » racontent les designers de BIG-GAME. Un modèle d’autant plus modulable qu’il existe en 15 coloris différents, ici encore totalement personnalisables selon les envies. Que ce soit en version monochrome ou multicolore, les combinaisons possibles se comptent par centaine !

Extra Bold Sofa, design : BIG-GAME © Moustache

Un modèle pensé comme une suite logique

Dans la continuité de la chaise sortie en 2009 qui sera ensuite suivie du tabouret et du fauteuil, la version canapé de la collection BOLD semblait être une évidence. Pour autant, les 15 années qui séparent la chaise et le canapé ont permis à la marque et aux designers de développer de nouvelles techniques pour s'affranchir de certaines contraintes. « Nous avons longtemps été limités par le diamètre de la chaussette qui sert de housse par exemple. Aujourd’hui, grâce à une collaboration fructueuse avec Kvadrat, la housse sans couture en 100 % laine a été développée exclusivement pour Moustache et permet de recouvrir des tubes beaucoup plus larges. En termes de confort, il s’est amélioré grâce à la structure de l’assise fabriquée en France avec une technique de production zéro déchet de mousse haute densité spécialement formulée pour Moustache » confient les designers. À l’heure où les intérieurs ne cessent de changer et que l’heure est à la modularité, ce canapé ne devrait pas avoir de difficulté à se faire une place dans les intérieurs.

Temps de lecture
29/1/2025
« Speed dating... Love stories » au FRENCH DESIGN by VIA

Le FRENCH DESIGN by VIA présente « SPEED DATING... Love stories » jusqu'au 25 avril. Une exposition rétrospective sur 15 années de rencontres entre designers et éditeurs, initiée par l'institution.

Lancés en 2010 dans l'optique de favoriser l'émergence de nouvelles collaborations, les FRENCH DESIGN SPEED DATING OBJET comptent parmi les événements importants de la création. Favorisant l'échange d'idées novatrices entre les designers et les maisons d'édition porteuses d'un savoir-faire et d'un support industriel, ces rendez-vous annuels ont permis de donner naissance à une multitude d'objets. C'est avec l'idée de réunir sur le devant de la scène les créations les plus emblématiques de ces rencontres et celles passées malheureusement inaperçues que cette exposition a été pensée. À la fois célébration d'une décennie et demie de création contemporaine française, et mise en avant des deux principales familles du design que sont les designers et les éditeurs, “SPEED DATING... Love stories” expose la fécondité d'un concept.

©FRENCH DESIGN by VIA

De petits et de grands noms en face-à-face

Dispersées dans une scénographie signée Maison Sarah Lavoine et faite de drapeaux colorés, comme un clin d’œil aux Jeux olympiques de Paris, 20 pièces prennent place. Assises, luminaires, tapis ou encore bureaux se côtoient et avec eux, leurs designers. Parfois reconnus et déjà bien installés, parfois révélés comme Elise Fouin, Bina Baitel, et Julien Vidame dont on peut penser que les rencontres générées par le Speed Dating Objet ont significativement contribué à leur notoriété.

Sélectionnés pour leur diversité typologique, mais aussi esthétique, chaque objet a également été regardé sous l'angle de l'innovation. En accord avec la volonté de l'institution de favoriser une évolution plus verte de la discipline, quelques pièces s'affichent comme des pistes d'exploration à l'image de la lampe Scalaé de Martin Thuéry et la maison d’édition Boutures d'objets réalisées en 2020 à base de briques concassées. Une manière de démontrer, outre l'intérêt de ces rencontres, que l’addition d'une vision et d'une technique peut aussi être source de nouvelles perspectives.

Temps de lecture
31/1/2025
La maison L. Drucker signe une collaboration avec BrichetZiegler

Connue pour ses chaises en rotin, la Maison L. Drucker l'est aussi pour ses collaborations avec divers designers. Parmi eux, le studio BrichetZiegler qui vient de signer la chaise colorée Valmy.

C'est une collaboration née « au culot » résume Caroline Ziegler du studio BrichetZiegler. « Avec Pierre Brichet, mon associé, nous aimons et collectionnons les chaises, comme beaucoup de designers. Alors nous en dessinons, tous azimuts, et puis on affine. Il y a un moment où les planètes s'alignent avec cette méthode. » Tout est parti d'un croquis fait à l'atelier, et puis un autre et encore un autre, tous basés sur l'image d'une chaise de bistrot. D'abord imaginée en métal, le matériau le plus utilisé par le studio, l'assise a rapidement évoluée vers le rotin « pour plus de simplicité » explique la créatrice, convaincue que « la forme est toujours associée à un matériau qui permet de la réaliser. Jamais l'inverse. » Une réflexion qui amène le duo à proposer leurs esquisses à la Maison L. Drucker, spécialiste du mobilier en rotin, il y a un an. « Nous n'avions aucun lien avec eux à ce moment-là, mais ils se sont montrés à l'écoute et très intéressés par notre modèle qui sortait de leurs codes habituels. C'est ainsi qu'a débuté notre travail commun. »

©Maison L. Drucker & BrichetZiegler

Une rencontre entre le design contemporain et l'artisanat patrimonial

« Ce qui est intéressant dans ce projet, c'est ce pas de côté par rapport à la chaise de bistrot classique. On a gardé tous les codes qui lui donnent son identité, tout en l'amenant vers quelque chose d'autre. Si demain on la montre à un brésilien, il se dira certainement que c'est à Paris. Il y a quelque chose de la filiation. » Jusqu'alors inutilisé par les designers – hormis un balai présenté à la Biennale Émergences de 2020 -, le rotin s'est avéré être une source d'opportunité autant que de complexité pour le duo dont le croquis initial a vite dû évoluer, sur le plan structurel d'abord, mais également esthétique. « Nous avons été obligés de rajouter plusieurs renforts sur les intersections ce qui nous a amenés à repenser légèrement l'apparence. D'une certaine manière, ce décalage entre notre vision et celle de l'entreprise raconte cette discrétion structurelle propre aux chaises en rotin, et à côté de laquelle nous étions passés. C'est très intéressant ! » Par ailleurs, c'est aussi visuellement que l'idée initiale s'est enrichie. « Dans notre premier dessin, il y avait moins de textile car nous ne pensions pas qu'il était possible de tisser autour de l'armature. Nous avons été encouragés à le faire et c'est ainsi qu'est né ce dossier si prégnant. » Une pièce à l'allure bien particulière qui a donné lieu à de nombreux prototypes pour trouver le confort optimal, et à de nombreux essais colorimétriques.

©Maison L. Drucker & BrichetZiegler

Tresser la couleur

Rouge, verte, jaune ou bleue, la Valmy tire son identité graphique de sa couleur plus que de sa structure qu'elle « vient habiller ». Pourtant, ce « véritable parti-pris » n'a fait son apparition que dans un second temps, « lorsque Monsieur Dubois, le directeur de la Maison L. Drucker nous a annoncé l'ensemble des possibilités de mise en œuvre du tissage. C'est lui qui nous a recommandé d'y aller franchement sur le design. Assez logiquement, nous nous sommes pris au jeu et nous avons décidé d'accompagner le dessin par la couleur. » Les trois arceaux se sont alors épaissis pour accueillir chacun une nuance différente de façon à créer un dégradé. Trois teintes que l'on retrouve également dans le tressage ajouré de l'assise en plus d'une couleur complémentaire, visible au niveau des jonctions du dossier, et de deux fils, noir et blanc. « La couleur est un exercice que nous aimons travailler, mais qui demeure occasionnel. Elle n'a d'intérêt que si elle amène quelque chose en plus, en venant renforcer un élément graphique par exemple. C'est le cas pour Valmy. » Heureux de cette collection, le studio « amateur d'une certaine abondance formelle et d'une richesse visuelle », se pose d'ores et déjà la question de poursuivre les explorations créatives de ce matériau, source de projets en tous sens.

Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir chaque semaine l’actualité du design.