Entreautre, la culture du « Faire »
Entreautre, design scénographique, La fenêtre modeste et appliqué

Entreautre, la culture du « Faire »

Si la crise du Covid a définitivement mis en lumière le besoin de nouvelles proximités, le milieu rural, longtemps délaissé, était déjà devenu un territoire d’expérimentation pour beaucoup de créateurs qui s’emploient à retisser des liens avec la nature et le vivant. L’histoire d’Entreautre, pour ce qu’elle illustre d’un mouvement fait pour durer, affirme sa vocation d’agence de design transversal et récuse fortement la formulation primaire et réductrice de design rural ! Un témoignage à retrouver lors des talks de la Paris Design Week, vendredi 8 septembre.


Ingénieur-designer à Paris chez Parrot, Bertrand Vignau-Lous a créé l’agence de design Entreautre aux côtés de Christophe Tincelin en 2011, avec l’ambition de monter une maison d’édition autour de mobilier et d’objets écoconçus. Avec le temps, l’agence se consacre uniquement à une pratique transversale du design. L’envie d’être plus proche de la nature, d’avoir un cadre de vie plus agréable que celui de la ville, pousse Bertrand à s’installer dans la Drôme, territoire familier des deux cofondateurs depuis l’enfance : « J’ai toujours eu l’envie de connecter des mondes qui ne se parlent pas ; ici dans la Drôme, les gens que je fréquente ont bien souvent des modes de vie alternatifs, mais je côtoie également d’autres mondes qui sont ceux de la technologie. L’état d’esprit de l’agence est de chercher à faire des passerelles entre des sphères qui ne communiquent pas.»

Décloisonnement stratégique

Ce choix de territoire est aussi stratégique. Il s’agit de rester en lien avec la ville – ce que permet Crest où l’agence est implantée. La gare de Valence TGV est à 3h de Paris et 1h30 de Lyon. Cela permet conserver et d’agrandir son réseau, avec, surtout la possibilité de décloisonner. Parce qu’il ne s’agit pas de s’isoler ! L’agence est d’ailleurs multi-sites : la moitié de ses collaborateurs sont installés à Montpellier, à la Halle Tropisme. Équipe curieuse, collaborative et toujours prête à expérimenter, elle trouve sa place dans des espaces partagés où une rencontre inattendue peut amener l’agence vers une nouvelle collaboration, expertise ou projet. Cette double implantation – à la fois rurale et urbaine – permet à l’équipe de l’agence d’avoir une vision large et agile : « Mon envie, c’est d’avoir une boîte qui tient dans un ordinateur parce que le métier de designer peut s’exercer partout. C’est une des raisons pour lesquelles bon nombre de designers se disent : moi aussi je veux un cadre de vie plus agréable. Cette mobilité souvent présente dans les métiers de la création, ce besoin de rester en mouvement fait qu’il n’y a plus de frontière ».

Ce lien avec les autres designers, Entreautre va même jusqu’à le provoquer. Dès ses débuts l’agence ouvre un espace de coworking à Crest. Concept naissant dans la région il y a dix ans, il a permis aux créatifs voisins de s’y retrouver naturellement et de collaborer en plaçant le design au cœur des projets. Aujourd’hui les designers et autres métiers de la création qui arrivent dans la région, pour la qualité de vie et pour son développement économique, poussent régulièrement la porte de l’agence. La région Auvergne-Rhône-Alpes est bien située au niveau de la Recherche et de l’Industrie, et la Drôme est particulièrement reconnue pour ses capacités d’innovations.

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Pour l’agence, la réception de bon nombre de candidatures pour des stages, laisse d’ailleurs à penser que le design est aussi une activité économique qui donne envie aux jeunes de se projeter. Cet indicateur permet également d’envisager que, plus tard, l’on ne parle dorénavant plus de « néo » [pour néo-ruraux – ndlr], mais que le design devienne un métier comme un autre dans la région, et non plus un métier « importé ».

Oser de nouvelles façons de produire

En 2014, Bertrand Vignau-Lous participe à la création du 8 Fablab. Vecteur de rencontres, ce fablab fut dès le départ l’un des plus performant à l’échelle européenne avec un équipement en machines important (son imprimante 3D Céramique grand format fut la première en France). Ce projet fou et ambitieux n’a été possible que grâce à l’écosystème mis en place. Parce qu’il y avait de la place, de l’énergie, de l’envie, et une concurrence presque inexistante : « La Drôme est un territoire historique de céramique. Ça a été une grande question quand on a souhaité équiper le 8Fablab de l’imprimante 3D de céramique. C’était tout autant un défi technologique que culturel. Être sur un territoire de potiers et apporter l’outil diabolique qui va couper des mains ! Il y a eu tout un travail à faire auprès de la communauté des potiers pour assurer que notre volonté n’était pas de remplacer les céramistes. La machine permet de prolonger le geste, de faire ce qu’on ne peut absolument pas réaliser à la main. Patience et dialogue font que la machine est acceptée par les artisans d’art. Aujourd’hui c’est assez  plaisant de voir des céramistes « traditionnels » venir se servir de l’imprimante 3D. »

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Fab Unit et micro-usine de fabrication

Dans cette dynamique d’innovation du territoire, l’agence et le 8 Fablab ont porté le projet de la Fab Unit – unité locale de fabrication d’objets en petites et moyennes séries. L’objectif : relocaliser la production sur les principes de l’économie circulaire. De l’espace de recherche en impression 3D céramique à la création d’une micro usine de fabrication de mobilier conçus à partir de déchets plastiques, l’événement a été l’occasion de partager les pratiques collaboratives, les process de production et l’utilisation de nouveaux matériaux.

Pour Entreautre, le constat est le même que pour beaucoup d’autres : on importe beaucoup trop de produits. « Si l’on prend l’exemple du mobilier, 92% de celui qu’on utilise est importé ; les 8% restant sont issus de l’artisanat. Dans ces 92%, plus de 70% viennent de l’étranger. Quand on parle de mobilier, on se dit qu’il y a tellement de choses qu’on pourrait faire localement, il n’y a aucun verrou ethnique, technologique, alors pourquoi ne pas s’organiser pour le faire ? (…) On a des ressources locales, on va les utiliser pour répondre aux besoins qu’on a sur le territoire à l’échelle d’un bassin de vie défini par sa géographie, la Drôme.» Avec le Fablab, les outils numériques qui servent aux prototypages et expérimentations étant déjà présents, il ne restait plus qu’à s’en servir comme outils de production et trouver le mi-chemin entre le travail de l’artisan et le travail de l’industrie avec des produits pensés pour ces outils-là, avec aussi la volonté d’offrir des prix accessibles.

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Les industriels de la plasturgie du bassin industriel local, les recycleries ou autre ressourceries, fournissent les matériaux choisis pour leur qualité et facilité de réemploi des petites et moyennes séries produites à la Fab Unit. À ce jour, la FabUnit est un lieu de transformation où les broyats de plastiques permettent d’obtenir des plaques avec lesquelles sont produits des objets ; mais pour Bertrand Vignau-Lous, il manque encore un lieu de collecte, de tri et de broyage, afin de créer une plateforme complète pour la mise en œuvre du plastique.

La plus-value du design

C’est la vision globale du designer qui permet d’imaginer les différentes briques de l’écosystème, de faire les liens entre les personnes et de fédérer : « C’est cette vison-là qui sert vraiment les projets de territoires. Ce n’est pas que nous, bien sûr, mais il y a des points de départ qui, à chaque fois, sont des points d’impulsion des designers. Et c’est aussi grâce à ces outils qui ont été pensés que nous pouvons mener nos propres sujets de recherches. » Depuis ses débuts l’agence revendique un design du Futur simple. Designer le Futur simple, c’est adopter une grille de lecture et d’analyse à 4 marqueurs : son impact positif (un futur responsable d’un point de vue environnemental et social), son potentiel révolutionnaire (un futur avec une vision ambitieuse de l’avenir, dont le modèle économique est en adéquation avec sa réalité), sa simplicité (un futur régi par le bon sens et adapté aux besoins réels et aux nouveaux usages, dans une logique de sobriété) et enfin, sa désirabilité (pour un futur inspirant, vecteur d’émotion et d’une belle qualité d’expérience).

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La pandémie n’a fait qu’ajouter des arguments pour défendre l’ambition de l’agence Entreautre. « Aujourd’hui, on a d’autres sujets de recherches où l’on travaille sur des objets qu’on pourrait fabriquer avec ces composants de réemploi. Comme par exemple une cafetière conçue à partir de déchets électriques et électroniques. (…) C’est déjà une réalité pour les entreprises du secteur, et qui ne trouvent pas ou difficilement des composants. Cette tension est déjà palpable et le projet de design de recherche va se transformer en projet de design tout court. Et il y a une véritable opportunité à ce que cela se fasse maintenant. » La question de savoir comment parvenir à une esthétique désirable du recyclé pour le plus grand nombre n’est pas négligée.

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Pour l’agence Entreautre, si l’industrie doit continuer d’exister, son contenu, lui, est amené à être différent : sur le plan social, environnemental et économique. Il y a des liens qui mettent longtemps à se construire, mais une fois qu’ils sont établis, c’est pour durer. « Dans certaines régions où c’est la culture du dossier, de la carte de visite, peut-être qu’en ruralité, si la ruralité doit exister, c’est peut-être plus la culture du « faire », », la culture de l’intelligence de la main qui prime. La paysannerie, quand tu débarques, tu es souvent perçu comme un « néo », ils vont te regarder un peu bizarrement, mais quand tu vas donner la main, entrer le bois ou quand tu vas faire quelque chose – quand tu es dans le faire, eh bien, le lendemain tu es accueilli à l’apéro ! C’est peut-être ça que ça apprend aussi, ces territoires-là, c’est le respect humain, c’est le temps de faire les choses mais de FAIRE… d’être dans le faire. »


Rédigé par 
Sandra Biaggi

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21/11/2025
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Pour sa troisième édition, EspritContract organisé en parallèle d’EspriMeuble, était de retour à la Porte de Versailles du 15 au 18 novembre. Un moment de rencontres et d’échanges entre les marques et les professionnels mais également l’occasion pour Intramuros de prendre part à la médiation de plusieurs conférences thématiques.

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17/11/2025
EspritContract : le contract nautique, une part majoritaire chez CELIO

Depuis plus de dix ans, le secteur nautique structure l’activité de l’entreprise CELIO. Un domaine à part, dans lequel l’innovation du bureau d’étude joue un rôle primordial. Rencontre avec Thomas Liault, responsable de la branche contract de la marque.

Pour sa troisième édition, EspritContract se tiendra du 15 au 18 novembre au Parc des Expositions de la Porte de Versailles.Plus d’informations sur : https://www.espritmeuble.com/le-salon/secteurs/secteur-contract.htm

Comment le contract structure votre activité ?

Aujourd’hui, le contract est un secteur important dans notre entreprise puisqu’il représente entre 15 et 20 % de notre activité totale, avec une croissance constante sur les quatre dernières années. C’est aussi une branche plurielle, qui se divise en quatre segments : le nautisme, par lequel nous avons commencé il y a dix ans et qui représente toujours plus de 80 % de notre activité ; les établissements de santé, comme les cliniques et les EHPAD ; l’hôtellerie, principalement l’aménagement de chambres dans des structures quatre étoiles ; et enfin un segment plus divers, comme le projet d’une école de gendarmerie sur lequel nous travaillons actuellement.

Vous parlez du domaine nautique, comment êtes-vous entré dans ce secteur ?

C’est par là que nous avons commencé le contract. Une entreprise travaillant avec Les Chantiers de l’Atlantique a été liquidée il y a une dizaine d’années, et comme il s’agissait d’amis, mon père, Alain Liault, aujourd’hui directeur de CELIO, a proposé de continuer leur activité au sein de notre société. Nous avons donc recruté la personne à la tête de leur bureau d’étude, le chargé d’affaires et le dirigeant de l’entreprise. C’est ainsi que nous avons mis le pied à l’étrier en 2014. Ce secteur reste extrêmement porteur pour nous : nous venons de signer un accord pour la réalisation de six navires de 2 000 chambres chacun, qui devraient être livrés au cours des trois prochaines années.

Quelles sont les différences entre ce domaine et l’hôtellerie classique ?

Pour les navires, nous travaillons uniquement sur les chambres de l’équipage et des passagers, tandis que dans l’hôtellerie, nous pouvons intervenir sur l’ensemble des espaces. La principale différence entre les chambres pour navires et celles pour hôtels réside dans le gain de place et la fonctionnalité : les modules doivent être légers. La culture du poids est particulièrement importante aux Chantiers de l’Atlantique, car elle implique moins de consommation d’énergie. Par ailleurs, la volonté de diversifier les intervenants et les entreprises sur des projets d’une telle envergure reste forte : il n’est pas possible de tout réaliser seul.

CDA Celebrity-edge ©CELIO

Comment votre bureau d’étude accompagne-t-il cette activité ?

Notre bureau d’étude compte six personnes sur les 180 présentes sur le site de La Chapelle Saint-Laurent. Nous avons choisi de ne pas le spécialiser afin de conserver une diversité d’approches. C’est souvent cette vision élargie et l’expérience acquise sur différents projets qui nous permet de trouver des solutions à des problèmes complexes. Notre bureau d’étude joue également un rôle important en termes de créativité, en étant force de proposition vis-à-vis des architectes avec lesquels nous travaillons.

Finalement, comment l’entreprise a-t-elle évolué depuis sa création ?

Quand mon grand-père a créé la société, elle fabriquait des lits de coin, des cercueils et de nombreux autres objets. Progressivement, elle s’est transformée et industrialisée. Lorsque mon père est arrivé, nous nous sommes spécialisés dans les armoires et les dressings, puis dans l’univers de la chambre. Nous sommes restés dans ce domaine jusqu’au milieu des années 2000, lorsque l’univers du salon a fait son apparition, suivi du contract une dizaine d’années plus tard. Cela nous a permis de nous diversifier.

Par opportunité, nous avions déjà réalisé ponctuellement des établissements de santé, mais nous avons décidé de miser sérieusement sur ce segment, à la fois en interne et en participant à des salons comme EspritContract. Il y a quatre ans, nous avons lancé un important projet d’investissement de dix millions d’euros : nous avons agrandi l’usine de 3 000 mètres carrés supplémentaires et mis en place un équipement industriel automatisé. Ce renouveau nous a permis d’entrer sur un nouveau type de marché, avec une capacité de production de petites séries rentables à partir de 15 ou 20 modules. Un nouveau champ des possibles s’est ainsi ouvert à nous !

Okko hôtel ©CELIO
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13/11/2025
Studio 5.5 : Designer à dessein

Designer à desseinCo-fondateurs emblématiques « et de plus en plus radicaux » du Studio 5.5, Jean-Sébastien Blanc et Claire Renard évoquent les enjeux qui émaillent le monde du design et les contradictions qui y sont liées.

« Quand j'étais étudiant, j'avais toujours une forme de déception à toujours créer sans jamais réparer les objets. La forme était généralement davantage valorisée que le concept. Je crois qu'avec les 5.5, on avait besoin de prendre le contre-pied » analyse Jean-Sébastien Blanc, co-fondateur du studio. Alors l'aventure a commencé. Avec « La médecine des objets » d'abord, un projet manifeste et inattendu au début des années 2000, suivi de « Réanim », sa version sérielle à l'origine d'un ouvrage intitulé « Sauver les meubles ». « On a été les premiers à concevoir le design sur la base de l'upcycling, et à l'époque nous avons été très médiatisés pour cette approche. »  

Mais le véritable projet « structurant » du studio, a été la revente de vaisselles en plastique faite par Arc. « La marque est venue vers nous pour faire une collection 100 % plastique. À cette époque, nous avions dit oui, mais en proposant une alternative qui réinventait les invendus de la marque. Ils ont réalisé la première collection avant de nous annoncer sa destruction pour des raisons de réorganisation de la société. On a donc décidé de récupérer les 42 000 pièces et elles ont été vendues en seulement quatre ventes en France et en Italie » explique Claire Renard. Une prise de position qui a permis au groupement de designers de se faire connaître au-delà de la sphère design.

Une chaise réparée grâce au projet Réanim ©5.5

Interroger la contradiction

« Charlotte Perriand disait que le design doit servir l'humain. Or, l'humain a déjà tout ce qui lui faut et il n'y a, de fait, plus de nécessité de créer. On doit vraiment se questionner sur notre rôle » avoue Jean-Sébastien Blanc, selon qui les 5.5 sont les premiers designers de la décroissance. « Aujourd'hui, un bon designer fait décroître la consommation. Ça paraît contradictoire, mais c'est notre vision. Notre place en tant que créateur ne doit plus être de proposer de nouveaux objets, mais de questionner notre rapport à eux. Et c'est ce qui nous a fait connaître quand on a commencé à réparer des objets du quotidien en 2002. » Un paradigme en place depuis longtemps, à associer avec la question du design démocratique. « Notre démarche a toujours été de faire du design pour tous. Le problème, c'est qu'aujourd'hui cette notion est souvent associée à celle du consumérisme. Pour nous, l'enjeu ne concerne pas tant les utilisateurs que les créateurs. C'est l’idée que nous avions en travaillant avec les artisans de chez Bernardaud pour la série 1 000 tasses. L'enjeu était de redonner du pouvoir et de la liberté de création aux ouvriers. En fait, la démocratie dans le design, c’est surtout s'interroger sur la manière de valoriser toutes les classes sociales » explique Claire Renard.

Le projet Bernardaud ©5.5

Mais outre l'humain se pose aussi la question environnementale éminemment centrale dans l'histoire du studio. « Aujourd'hui, nous ne voulons plus être au service de, mais exprimer notre opinion. Le design doit être politique avant d'être esthétique. » C'est sur le fond de cette perception que le studio a présenté à l’exposition universelle d’Osaka son projet Muji-Muji, une matérialisation de notre vision, à l'échelle de la micro-architecture. Initiée pour repenser l'image de Muji, cette construction est un véritable lieu de vie basé sur les objets de la marque japonaise. « On s'est dit que pour incarner la marque, il fallait la vivre et c'est pour ça qu’on a créé un meuble à habiter qui répond à des fonctions simples comme se nourrir, se laver ou dormir. » Un bâtiment imaginé en six modules comme six tranches de vie, conçu dans la lignée d'autres constructions réalisées il y a quelques années par Jasper Morrison, Konstantin Grcic et Naoto Fukasawa. Un projet « au design universel » qui propose une relecture de l'habitat en phase avec les exigences de notre époque et la volonté du studio de ne plus créer de nouveaux objets mais d’inviter à décroitre en repensant les acquis. Un changement de paradigme, où l’objet cède progressivement du terrain à la parole, de nouveau illustré lors de la Paris Design Week 2025, ou « 577 chaises : l’hémicycle citoyen », a été présenté dans la cour d’honneur du musée des Archives nationales pour dénoncer « la mise en danger de la démocratie ».

La Manifesto House réalisé avec Muji ©5.5

Un retour personnel au design manifeste

En parallèle de son activité au sein du studio, Jean-Sébastien Blanc développe son propre univers, en rupture totale avec les conventions. Du diffuseur AIRWICK à la lampe iJobs en passant par l’haltère Red bull, les formes « se rapprochent du design froid et aseptisé des premières créations du studio. » Plus personnel et dans une certaine mesure poétique, chaque objet trouve un écho dans l'approche globale des 5.5 : sobre et upcyclé, radicale et engagée. Réalisée comme des pièces uniques, ces créations invitent l'utilisateur – ou le spectateur – à questionner son rapport à l'objet, à sa propre consommation. « L'idée n'est pas de créer pour créer, mais d'initier des changements » affirme le designer. Bien loin des créations à succès des 5.5 comme la clé USB en forme de clé, écoulée à cinq millions d'exemplaires, et du design sériel auquel il a été formé, Jean-Sébastien Blanc propose une approche alternative, où le sens remplace le besoin, et la réflexion, l'acte d'achat.

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13/11/2025
L'Orient Express de Maxime d'Angeac, un voyage dans l'Art déco

Pour célébrer les cent ans de l’Art déco, le Musée des Arts Décoratifs de Paris rend hommage à ce style majeur. Au cœur du parcours, les wagons signés Maxime d’Angeac offrent une relecture contemporaine du luxe et du voyage selon l’esprit Art déco.

Dans le cadre de l’exposition « 1925-2025. Cent ans d’Art déco » visible au Musée des Arts Décoratifs de Paris jusqu’au 26 avril 2026, l’architecte et designer Maxime d’Angeac dévoile le futur Orient-Express. Un véritable hommage à ce train mythique, mais également aux savoir-faire d’excellence et au raffinement stylistique de ce mouvement. À cette occasion, nous lui avons posé cinq questions sur sa démarche, ses inspirations à l’origine de ce projet hors du commun alliant au patrimoine, la création contemporaine.

Depuis quand travaillez-vous sur ce projet et combien d’ateliers ou d’artisans vous accompagnent ?

Je travaille depuis janvier 2022 sur ce projet. Ce qui est exposé au Musée des Arts Décoratifs représente près de 180 000 heures de conception. Nous avons travaillé avec de nombreux savoir-faire qui ont nécessité une trentaine de maîtres d’art et d’artisans de haute facture.

© Alixe Ley

En quoi l’imaginaire autour de ce train mythique vous a-t-il inspiré ?

La marque Orient-Express est source de curiosité, de développement, de richesses… Elle est en réalité plus riche d’imaginaire que de matérialité. Elle est porteuse de légendes et convoque la géographie, l’histoire, la littérature et le cinéma. C’est une marque culturelle qui a marqué son temps par la vision du voyage au début du XXᵉ siècle, et dont je me suis inspiré.

© Alixe Ley

Justement, comment avez-vous travaillé les ambiances pour que l’intérieur soit à la fois un hommage à l’Art déco et un décor contemporain ?

Je me suis inspiré du vocabulaire et de la grammaire de l’Art déco, puis j’ai réappliqué les mêmes principes à la conception d’un train. Je me suis aussi appuyé sur les archives de l’Orient-Express, auxquelles j’ai fait des références subtiles et des clins d’œil, sans pour autant copier ou reprendre avec exactitude et nostalgie. Il a également fallu intégrer des technologies inexistantes à l’époque. J’ai donc surtout fait un travail d’ensemblier contemporain, en me nourrissant des savoir-faire de mes interlocuteurs, tous ancrés dans le XXIᵉ siècle et les préoccupations actuelles. Nous avons par exemple sourcé des bois, limité l’utilisation des cuirs, évité le gâchis, réduit les transports inutiles, fabriqué en France, contrôlé l’isolation des volumes pour éviter les déperditions…

© Alixe Ley

Dans l’exposition, on voit de nombreux croquis et vous abordez la question du Modulor développée par Le Corbusier. Votre approche est-elle proche de celle que l’on pouvait rencontrer il y a un siècle ?

Dans mon studio, nous travaillons beaucoup à la main. Chacun a un crayon et du papier à côté de son ordinateur, et je tiens à ce que les idées soient d’abord exprimées ainsi. Cela ne donne pas forcément de beaux croquis, mais permet une expression directe des intentions : les épaisseurs, les jonctions, les finitions, les proportions. L’ordinateur est évidemment indispensable, mais il ne suffit pas à lui seul. Quant au Modulor, j’ai toujours accordé une grande importance aux proportions, à la recherche du bon rythme, du bon plan, des bonnes lignes. Mes études m’ont conduit à explorer Pythagore, le nombre d’or, puis leurs prolongements, dont le Modulor de Le Corbusier, un système intéressant. Le fond du sujet reste pour moi la place de l’homme dans l’espace, qu’il soit assis, debout, couché.

© Alixe Ley

Les pièces utilisées dans ce projet ont-elles été créées pour l’occasion ou proviennent-elles de mobilier déjà édité ?

Tout a été dessiné sur mesure, puis créé par mon studio. J’ai la chance d’avoir autour de moi des personnes talentueuses et curieuses, qui me permettent d’assurer une production importante afin de répondre aux attentes de la marque, que ce soit sur rail ou sur mer. Par exemple, le fauteuil du train est dissymétrique, car il est toujours placé contre un mur. Il doit pouvoir pivoter, passer ses accoudoirs sous la table lorsqu’elle est levée, rester stable grâce à une base plutôt que des pieds afin de préserver les orteils, et être suffisamment large pour éviter tout basculement. Certains meubles, lampes ou tapis du train ou du navire sont entièrement dédiés à la marque et ne seront pas commercialisés. Les autres, nombreux, seront édités par différentes Maisons qui nous font déjà envie.

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