Lille 2020

Dans le cadre de l’événement Lille 2020, Jean-Louis Fréchin et son studio NoDesign ont proposé une exposition passionnante autour d’une centaine de projets français : autour d’une déclinaison de verbes (initier, interroger, proposer, interagir, surprendre, rassembler…), le Français concocte un parcours vivant qui montre les multiples facettes du design industriel et termine sur des champs d’application prospectifs. Le grand public trouve ses marques dans le caractère très concret de l’exposition, tandis que les professionnels en ressortent avec l’image d’un secteur dynamique et d’avant-garde. [mise à jour article paru le 12/9]
« Pourquoi faites-vous du design? » c’est la question que Jean-Louis Fréchin a posé à une douzaine de designers, de générations différentes, et qui donne lieu à une installation vidéo présentée au début de l’exposition. Après un hommage à des figures qui ont marqué la discipline, comme Charlotte Perriand, Jacques Viénot, Roger Tallon ou encore Marc Berthier, et qui ont formé des générations bien en place aujourd’hui, cette entrée en matière plutôt directe a le mérite d’éviter de perdre le public dans une énième définition de ce qu’est le design, en mettant directement l’accent sur les projets, comme une preuve par l’action, tout en partageant directement la passion de ces professionnels.

Le parcours continue avec une salle dédiée à Philippe Starck (« parce qu’il représente bien l’absence de limite du design » selon Jean-Louis Fréchin : le designer le plus connu des Français est présent avec des projets totalement éclectiques, depuis le projet d’éolienne individuelle à la voiture électrique, la chaise AI pour Kartell, les lunettes aux articulations bioniques brevetées… mais lui succède dans la salle suivante le kayak et les vélos conçus par l’équipe interne de Decathlon, le premier téléphone mobile grand public réalisé par Alcatel, les projets de Stéphane Thirouin avec SEB, de Fritsch + Durisotti (par exemple le voilier ) et bien d’autres insistent sur les fondamentaux du design industriel : répondre à des usages, des pratiques, dans une conception pensée pour une diffusion pour le plus grand nombre. C’est d’ailleurs la force de ce tour d’horizon français : à côté de fortes personnalités qui travaillent à l’international, le rôle important des équipes de design intégrées est également mis en avant.

Le design, force de propositions
À travers les projets de Constance Guisset, de Jean-Baptiste Fastrez, de Mathieu Lehanneur… l’exposition se poursuit en se focalisant sur la force de propositions du designer. Ici, les frontières entre artisanat et industrie sont brouillées : que ce soit en déclinant la lampe de chevet dans les TGV (Saguez & Partner) aujourd’hui reprise par l’éditeur Moustache, ou des recherches sur les matériaux (recyclage de pneus, fibres de jute…) ou sur des sources plus inattendues en « cofabricant» un luminaire avec l’intervention directe de vers à soie (Twill Light, d’Elise Fouin), le designer surprend par les réponses et les pistes d’exploration qu’il propose à des questions environnementales et sociétales plus larges.


Compte tenu de la personnalité du commissaire de l’exposition, le parcours prend évidemment en compte la révolution numérique, qui « élargit le rôle et le potentiel des objets ». On y découvre les recherches d’EDF Lab, comme différents objets connectés, mais aussi des recherches sur des polices de caractère pour le design d’interface , des badges capteurs de pollution… Enfin, comme un écho à l’aménagement de l’espace urbain traité au début du parcours – à travers l’évolution de la définition des projets de la RATP et de la SNCF – la dernière partie du parcours insiste sur la question de l’intérêt général abordés par les designers : rafraîchissement urbain, mobilier urbain, impression 3D à la demande …
Dense, mais accessible au grand public par une scénographie bien soignée, cette exposition dresse un panorama vivant des acteurs français du design (une soixantaine sont cités, toutes générations confondues), montre combien un designer peut travailler sur des sujets extrêmement variés alors qu’il est toujours tentant de d’enfermer dans des catégories. Dans son témoignage vidéo, au début du parcours, Jean Marie Massaud exprimait » je fais du design parce que je ne peux appréhender une question que globalement », Mathieu Lehanneur » parce que j’ai besoin qu’on me pose une question« . Et pour Mathilde Brétillot « j’essaie de trouver une forme entre ce qui est profondément personnelle et une question empathétique« .
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Au Tri Postal, dans le cadre la Manifestation Lille 2020, Ramy Fischler et Scott Longfellow de RF Studio s’interrogent sur le rôle de la fiction d’anticipation pour imaginer les usages de demain. Ils explorent ce sujet à travers une exposition et un laboratoire de création.
L’exposition met en lumière, à travers un regard de designer, les fictions et les récits d’anticipation de l’ère industrielle qui ont inspiré voire forgé nos usages quotidiens. Œuvres littéraires, cinématographiques et projets de designers sont mis en relation pour agir sur les visiteurs comme des révélateurs de nos façons d’être au monde, notamment face aux technologies. Dans un second temps, RF Studio et son Bureau des usages expérimentent une démarche de création collaborative, où récit et design se conjuguent pour imaginer des futurs alternatifs. Ainsi, auteurs de fictions, experts, opérateurs du quotidien et designers se réunissent dans un laboratoire dématérialisé pour contribuer à l’émergence d’autres imaginaires désirables.

La science au cœur d’un nouveau genre de fiction : le merveilleux scientifique
Dès le début de la révolution industrielle, le Frankenstein de Mary Shelley, les aventures scientifiques de Jules Verne ou encore les romans philosophiques de H.G Wells placent – pour le meilleur et pour le pire – la science au cœur d’un nouveau genre de fiction : le merveilleux scientifique. L’exposition dédie une salle à une figure plus tardive, moins connue que Raymond Lœwy ou Norman Bel Geddes, et pourtant particulièrement importante dans l’histoire du design d’anticipation : Hugo Gernsback. À l’orée du XXe siècle, il est l’un des initiateurs de la science-fiction comme la promesse d’un progrès technique transformateur de nos vies et de nos quotidiens. Hugo Gernsback conçoit, par tous les médiums à sa portée, un réservoir abondant d’innovations technologiques, de nouveaux usages précurseurs, le tout mis en récit, et diffusé abondamment par le biais de publications populaires. Il démultiplie ainsi la force du pouvoir d’enchantement des technosciences et ouvre la voie à de nouveaux imaginaires.
Après-guerre, une autre approche, à la croisée de l’innovation, de la conquête des marchés et de la communication, émerge.
Elle émane en général de l’industrie lourde ou de l’énergie. Ces entreprises commandent à des illustrateurs des visions du futur qui attestent que leurs industries incarnent – et construisent – au mieux le futur de nos usages. La prophétie devient alors utilitariste. Le syndicat de l’acier américain commande un portfolio d’illustrations du futur à Syd Mead, le célèbre designer qui officiera par la suite dans le cinéma de Science-Fiction. à partir d’un calendrier de prédictions, il dépeint ainsi une vingtaine de scènes de vie du quotidien de demain : le transport individuel et l’automobile y ont un rôle dominant.
L’exposition apporte également une réflexion contemporaine : quels futurs souhaitons-nous vraiment ? Le Bureau des usages, cellule de maîtrise d’usage intégrée à RF Studio,se transforme ici en incubateur d’imaginaires alternatifs. Auteurs, experts, penseurs et acteurs du quotidien sont invités à imaginer des pistes d’avenirs incarnés par des personnages vivant dans le futur. Le public les découvrira dans une salle immersive, dans laquelle un dispositif audio lumineux diffuse ces témoignages qui sont autant de nouvelles façons de se projeter dans le monde à venir.
Dans le cadre de Lille 2020, du 16/09 au 18/11, au Tri Postal, Lille.

À l’occasion de la nomination de Lille comme capitale mondiale du design en 2020, le nouveau numéro de Septentrion, Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas est largement consacré au design. Une bible qui offre un panorama du design dans les régions de Flandre, Wallonie, Pays-Bas et France.
Lancée en 1972, Septentrion est une publication en français de l’institution culturelle flamando-néerlandaise Ons Erfdeel vzw. Biannuel, chaque magazine embrasse une thématique déterminée. Sorti en avril, le nouveau numéro de Septentrion est entièrement consacré au design, avec un point sur les tendances fortes : économie collaborative, design et durabilité et architecture belge.
Comme le souligne dès l’édito le rédacteur en chef Luc Devoldere, « Le design est aujourd’hui beaucoup plus qu’il n’a été dans le passé : esthétique et fonctionnel portant la griffe personnelle du fabricant, destiné à une clientèle choisie. Le design contemporain peut tout à la fois embrasser la réalité et la défier. Le design a une vocation sociale, politique et existentielle. »
Et c’est bien ce que les 164 pages qui suivent vont chercher à illustrer. On retiendra avant tout l’interview fleuve de l’experte en design Giovanna Massoni, consultante, journaliste, commissaire d’expos et qui participe à Lille 2020. Elle interroge le sens même du design, et les évolutions des pratiques ( « Le design est partout, souvent «invisible»: car le travail du designer consiste à transformer un objet, un contexte, un service en l’améliorant, en plein respect des utilisateurs qui en bénéficieront »). Elle interroge aussi les discours actuels, avec une vision claire, pragmatique, notamment dans l’importance des enjeux sociétaux et environnementaux : « Depuis 40 ans déjà, on parle notamment du cycle de vie d’un objet, de l’importance de concevoir le produit du «berceau au berceau» et de définir donc en amont son impact environnemental. À l’époque, bon nombre de designers et d’industriels comprenaient déjà ce problème. Aujourd’hui tout le monde cherche l’adhésion à un nouveau programme écologique. Il faut toutefois faire attention. La vie d’un objet, le réemploi, la réutilisation, le upcycling – tous ces mots qui proviennent du champ lexical de l’économie circulaire – ne sont pas des vérités absolues ».
Tout en appelant à être vigilant à la prise en compte des contextes, et l’importance d’adapter des programmes, des modèles au territoire sur lequel il se situe, que le design avant tout est un domaine qui prend sens et formes dans les échanges, les dialogues, les ajustements perpétuels, elle n’hésite pas à mettre en perspective les histoires et cultures et la nécessité de prendre en compte les contextes : « Si on pense au design comme à un milieu de développement économique et industriel, le fait de disposer ou non d’un tissu industriel traditionnel, historique, est essentiel pour la profession de designer. Je constate, en comparant la Belgique à mon pays d’origine, que le tissu industriel italien a généré un tout autre type de designers que ceux présents en Belgique, où la tradition industrielle design n’est pas aussi présente, malgré un passé pourtant relativement florissant. La Belgique a abrité des designers, mais il n’existe pas de véritable design belge, ni de tradition industrielle forte, contrairement à l’Italie, à l’Allemagne, ou encore aux Pays-Bas où se situe entre autres Philips, à Eindhoven. »
Outre l’économie circulaire, le magazine aborde aussi le point de vue de l’économie collaborative, interrogeant la nébuleuse d’initiatives que regroupe cette expression, la question réelle du partage, les variations législatives propres à chaque pays, et la nécessaire réflexion à aborder pour trouver un équilibre entre des modèles viables économiquement et une certaine vision du service.
Dans la présentation de projets d’avant-garde, la question du design et de l’eau est aussi présente dans les champs d’interrogations néerlandais. Un article recense notamment des expérimentations diverses, à l’images les dalles poreuses de Fien Dekker, ou les concepts proposés l’agence de design Studio Bas Sala, pour récupérer l’eau de pluie dans son jardin. Mais surtout revient sur la vision très novatrice d’ Anouk Van der Poll, à l’origine de l’exposition « Embassy of Water » à la Dutch Design Week va plus loin : « «Au cours des prochaines années, les designers concernés par la problématique de l’eau s’attacheront bien plus à développer des projets régénérateurs en étudiant comment améliorer la qualité de l’eau et collaborer avec la nature (…) «Le design régénérateur va beaucoup plus loin que l’imitation de la nature (ce qu’on appelle le biomimétisme), car il ne place plus l’homme, mais bien l’eau et la nature au centre de ses préoccupations.»
Dans cette édition spéciale Design , bien d’autres sujets permettent aussi de mettre en avant l’importance des échanges pour nourrir la créativité et les influences dans les pratiques du design. On y retrouvera bien évidemment l’importance du Grand Hornu dans les coopérations transfrontalières, dans un article où Marie Pok, actuelle directrice du Centre d’Innovation Design, rappelle la déferlante singulière du design néerlandais en Belgique (et plus largement en Euripe) grâce au concept détonnant de l’entreprise Droog Design. Les expériences du récent collectif flamand Brut, révélés dans les dernières éditions de la Milan Design Week, sont aussi un autre approche de l’importance de mutualiser ses forces créatives, quitte à jouer des lignes de démarcation entre art et design. Enfin, le Néerlandais Frank Kolkman propose des expériences et des installations abordant le design d’un point de vue spéculatif : « C’est pourquoi, en tant que designers, nous ne devons pas seulement chercher de nouvelles chances et possibilités, mais aussi tenter de prédire de nouvelles problématiques et de nouveaux dilemmes. Pour que nous puissions en discuter, de préférence sur la base d’un large débat. Il ne s’agit donc pas seulement de concevoir la voiture de l’avenir, mais aussi de réfléchir à la forme que prendront les embouteillages.»
Un numéro passionnant, qui met en lumière les points de rencontres entre les innovations et les terrains de recherche qui existent en Flandres, en Belgique, aux Pays Bas et en France, tout en pointant habilement les spécificités de chaque territoire, qui rendent ces échanges essentiels, et qui devraient animer l’esprit de Lille 2020 (dont les événements d’ouverture sont reportés à septembre). Un positionnement plus que d’actualité, dans cette période où chacun espère que donner du sens à cette crise planétaire inédite, en imaginant que le design, sera enfin reconnu dans l’ensemble des secteurs essentiels à la vie de nos sociétés, dans sa capacité à apporter des réponses, à penser de façon optimale les synergies .
Septentrion, avril 2020, 164 p., 29 euros
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