Homo Faber 2022 : la transmission comme horizon

Homo Faber 2022 : la transmission comme horizon

La seconde édition d’Homo Faber, intitulée « Leaving Treasures of Europe and Japan » (Trésors vivants d’Europe et du Japon en français) s’est tenue du 10 avril au 1er mai à Venise. Un rendez-vous d’artisanat qui regroupait 850 pièces de 400 designers, réparties en 15 expositions. L’occasion d’en découvrir plus sur les métiers d’art et sensibiliser les jeunes générations. Une question qui a été au coeur de la conférence organisée par la maison Cartier et animée par le directeur de la fondation MichelAngelo et organisateur d’Homo Faber, Alberto Cavalli. Des échanges qui ont été enrichis par les expériences de quatre invités : Anne Midavaine, Pierre Rainero, Philippe Nicolas et Sebastian Herkner.


« Les artisans ont la capacité de transformer quelque chose de beau en quelque chose qui a du sens. » Cette phrase d’Alberto Cavalli prononcée en début de conférence, pose le cadre. Persuadé de la nécessité de nourrir les âmes autant qu’il faut nourrir les corps, c’est avec cette volonté de faire valoir le beau qu’Homo Faber est née. Si la première édition de 2018 avait été remarquée, l’organisation de la seconde, retardée par la crise sanitaire, a enfin pu avoir lieu, avec l’envie toujours plus grandissante de faire découvrir les savoir-faire artisanaux, aussi précieux soient-ils.

Charles Jeanbourquin, marqueteur chez Cartier, en pleine démonstration de marqueterie de paille destinée au bracelet créé spécialement pour Homo Faber 2022

L’artisanat d’art, un travail d’équipe

Anne Midavaine, directrice de l’atelier Midavaine, travaille pour Cartier depuis 2013 : elle imagine et crée les panneaux laqués exposés dans les boutiques du monde entier. Un travail de dur labeur qui est le résultat d’une collaboration entre toutes les personnes qui participent aux projets. « C’est tout l’atelier dans son ensemble qui est le maître d’art. Toutes les personnes qui y travaillent sont importantes et apportent une touche qui fait la différence. L’atelier agit comme un interprète, il n’est pas simplement un exécuteur. » témoigne t-elle. Anne Midavaine collabore ainsi avec des décorateurs tels que Laura Gonzalez, mais travaille également de manière étroite avec les équipes Cartier, notamment avec Pierre Rainero, directeur du patrimoine, de l’image et du style de la maison de haute-joaillerie. Pour lui, ce partenariat était l’opportunité d’un élargissement de la créativité chez Cartier. « Nous avons commencé à travailler avec l’atelier Midavaine dans l’optique d’exprimer les valeurs que nous chérissons, mais d’une nouvelle façon. Cartier ne fait pas de laque dans ses ateliers, c’est donc quelque chose que nous admirons, et nous sommes ainsi très ouverts en terme de propositions artistiques. »

Alberto Cavalli, Anne Midavaine, Pierre Rainero, Philippe Nicolas et Sebastian Herkner (de gauche à droite) lors de la conférence organisée par Cartier le 27 avril à Homo Faber (Venise)

Le temps, coeur du savoir-faire artisanal

Le savoir-faire artisanal s’apprend et se cultive dans le temps, et réussir à sensibiliser le plus grand nombre reste un défi de taille. « Pour arriver à avoir quelque chose de beau, il est important de laisser le temps aux artisans de créer, d’imaginer et surtout il faut prendre le temps d’investir dans une nouvelle génération d’artisans. » commente Alberto Cavalli. Dans cette optique, l’organisation d’Homo Faber avait engagé sur place une centaine d’ambassadeurs pour parler des oeuvres exposées aux visiteurs. Originaires de toute l’Europe, ces derniers sont tous ancrés dans le milieu de l’artisanat d’art. Une initiative qui respecte la volonté d’Homo Faber de sensibiliser la jeunesse, et qui passe par la découverte et l’ouverture au monde de l’art, en témoigne Anne Midavaine : « J’ai envie de dire à tous ces jeunes : laissez l’art venir à vous, ne soyez plus simplement des spectateurs, soyez créateurs ! » Une idée que rejoint Philippe Nicolas, maître glypticien chez Cartier. « La formation passe aussi par la reconnaissance. Si on ne fait que former des gens à une tâche, on les enferme dans une optique précise de création. Mais en leur donnant la possibilité d’exprimer leur vision, ils peuvent ainsi affirmer leur créativité et apporter de nouvelles idées. » ajoute t-il.

L'ambassadrice Sara Cappellozza, en pleine explication d'oeuvre lors de l'exposition Homo Faber, Photo : Ginevra Formentini ©Michelangelo Foundation

Un devoir de transmission

Au-delà de cet investissement humain, mobiliser les jeunes générations passe aussi par la transmission de savoirs qui permettront à ces nouveaux artisans d’évoluer. Et qui de mieux qu’un maître d’art pour en parler ? Philippe Nicolas, maître d’art glypticien chez Cartier depuis une douzaine d’années, voit dans sa profession une responsabilité importante de transmission du savoir. Il explique : « J’ai un peu le rôle d’un passeur, c’est-à-dire que j’essaye de transmettre à ma manière l’expérience que j’ai en confrontation avec la matière. Ce que je tente d’enseigner à mes élèves, c’est de réussir à dévoiler ce qu’on ne voit pas, ce qui est un peu la définition de l’art quelques fois. »

Philippe Nicolas, maître d'art glypticien chez Cartier

Et si cette responsabilité de transmettre un savoir-faire artisanal est primordiale entre êtres humains, il est également important qu’ils évoluent. Les nouvelles technologies participent ainsi au développement des savoir-faire, sans les dénaturer. Pour autant, certains d’entre eux peuvent être mis en danger s’ils ne sont pas conservés correctement. C’est l’idée exprimée par le designer et curateur d’exposition, Sebastien Herkner. Parti de son expérience personnelle, il raconte : « La ville où j’ai étudié en Allemagne était très réputée dans le domaine du cuir. Avec les nouvelles technologies, toutes les usines spécialisées ont disparu, ce qui a fait perdre à la ville son identité selon moi. En tant que designer, je pense qu’il est important d’utiliser les savoir-faire artisanaux, mais qu’il est intéressant de se servir des nouvelles technologies pour produire de nouvelles pièces. Tout est question d’équilibre entre les deux. »

Plus que de créer, il faut s’imprégner des histoires qui se cachent derrière les produits. Artisan pour Cartier, designer, ambassadeur, curateur ou simple spectateur, les savoir-faire artisanaux constituent un trésor pour les générations futures, et le plus important est de continuer à les faire perdurer. « En visitant Homo Faber ne soyez pas indifférents, soyez différents. » conclut Alberto Cavalli.

Rédigé par 
Maïa Pois

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Créer des objets lumineux à partir d’objets d’atmosphère, d’était un peu l’idée directrice de « Néophore ». Un projet carte blanche mené par Lionel Dinis Salazar et Jonathan Omar qui forment Döppel Studio depuis 2016. « On a fait beaucoup de collaborations avec des marques et on voulait repasser sur de la pièce unique avec une galerie. On a très vite pensé à Tools pour son esprit avant-gardiste et les prises de risques qu’elle avait pu prendre sur certaines collections. Nous avons rencontré le directeur Loïc Bigot il y a un an et demi avec qui il y a eu un réel échange d’idées tout au long du projet » raconte le duo.

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L’idée de partir de la symbolique de l’amphore, ce vase antique le plus souvent utilisé comme contenant, est venu assez instinctivement. Le duo avait en effet eu l’occasion de travailler sur le thème de l’amphore lors de sa participation au concours de la Villa Noailles en 2016. Pour cette exposition, l’objectif de cette collection était cette fois-ci de lui faire prendre une toute autre fonction. « On a voulu retravailler la valeur d’usage de l’amphore en lui retirant cette faculté de contenant pour apporter de l’immatériel avec la lumière. On a confronté l’artefact de ce vase avec un objet plus technique, qui est ici le néon flex. » Pour réaliser les pièces, le duo s’est accompagné de la céramiste tourneuse Aliénor Martineau de l’atelier Alma Mater, situé à la Rochelle. Une première pour le duo, qui a dû sortir de l’aspect industriel pour se tourner vers l’artisanat et accepter l’aléatoire. Toutes les pièces sont par ailleurs recouvertes d’un émail avec nucléation, dont la composition permet d'obtenir des effets complexes qui laissent une part d’imprévu et rendent ainsi chaque pièce unique.

Exposition "Néophore" par Döppel Studio à la Tools Galerie © Ophélie Maurus

3 dessins, 12 possibilités

L’exposition « Néophore » présente ainsi douze pièces, sur une base de trois dessins qui ont ensuite été déclinés en fonction du passage du néon dans le vase. « On a volontairement pensé à des formes simples et archétypales, car on savait que la complexité, on l’amènerait avec le tressage et le néon. » Une technique minutieuse, puisque chaque vase est entouré ou enroulé de 2 à 3 mètres de néon, tressés par le duo lui-même. Une exposition qui ne manquera pas de retenir l’attention, à l’heure où les journées se raccourcissent et la lumière naturelle se fait de plus en plus rare…

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Sur le stand D18 du salon, la marque française Meljac, spécialisée dans la conception d’interrupteurs haut de gamme présentera une large gamme d’interrupteurs, prises de courant, liseuses. En effet, les visiteurs pourront découvrir les diverses gammes standards mais également quelques exemples de réalisations sur-mesure, qui sont un des incontestables atout de la marque.

Allier savoir-faire, qualité et personnalisation

Meljac c’est surtout des pièces qui mettent en avant la noblesse du laiton, proposé sous divers formats et combinaisons possibles de mécanismes. La marque présentera également à ses visiteurs tous les offres en termes d’habillages, qu’il s’agisse de thermostats, de systèmes domotiques, de commandes de climatisation, de stores, de son… Des pièces proposées avec 29 finitions, issues d’un traitement de surface effectué en interne, gage du savoir-faire minutieux de la marque, permettant de fait de pouvoir proposer des Nickels, des Chromes, des Canon de Fusil, des Bronzes ou encore de la dorure.

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©Stéphane Ruchaud

Une association de techniques et de connaissances

Derrière son nom allemand, Unheimlichkeit est le fruit d'une rencontre transalpine. Inspiré par l'Hôtel Nissim de Camondo et sa vaste collection de pièces du XVIIIe siècle, Edgar Jayet avait depuis quelque temps l'idée de conjuguer son goût pour le mobilier d'antan et la création contemporaine. Une envie « de prolonger l'histoire » concrétisée en 2022 lorsqu'il rencontre à Venise où il séjourne fréquemment, la designer textile Chiarastella Cattana. Débute alors une collaboration faite de savoir-faire croisés où le travail de l'ébénisterie historique rencontre celui du tissage. Un projet nouveau pour le designer qui mêle ainsi « la structure d'un meuble typiquement français du XVIIIe siècle réalisée avec des pièces en fuseau (modules de forme pyramidale) reliées entre elles par des dès d'assemblages (petits cubes situés aux intersections du meuble), et un travail de passementerie issu d'un tissage italien originellement utilisé pour les lits de camp et nommé branda. » Une association esthétique mais également technique. « Avec la réutilisation de cette structure constituée de modules développés au XVIIIe siècle, nous pouvons facilement ajuster nos pièces en fonction des besoins de nos clients. » Un atout renforcé par l'absence de contrainte structurelle de l'assise, uniquement maintenue par deux cordons de passementerie. Une finesse grâce à laquelle « la toile semble flotter sur le cadre comme par magie, dégageant ainsi cette notion d'inquiétante étrangeté » résume le créateur.

©Stéphane Ruchaud

Travailler le présent pour ne pas oublier le passé

« Concevoir des collections contemporaines en y incorporant les techniques du passé est presque un exercice de style auquel je m'astreins pour faire perdurer ces savoir-faire, explique Edgar Jayet. C'est la raison pour laquelle on retrouve la passementerie dans plusieurs de mes créations. » Convaincu par l'importance de rassembler les époques, le designer précise avant tout travailler l'épure de chaque projet. « Unheimlichkeit montre qu'il est possible de faire du contemporain avec les techniques anciennes. Mais cela passe par la nécessaire obligation de faire fit de l'ornementation car c'est elle qui vieillit dans un projet, pas la structure. Ce décor servait autrefois à transmettre des messages ou des idées. Au XIXe siècle son utilisation surabondante et en toute direction menant à l'éclectisme signe véritablement sa fin et conduit progressivement vers le XXe siècle et sa maxime : form follows function. » Une lignée dans laquelle le designer s'inscrit. « A l'agence, nous essayons de récupérer l'essence même du mobilier en le dégageant au maximum de l'ornementation contextuelle et souvent anachronique. De cette façon, nous pouvons restituer des pièces de notre temps, mais semblant malgré tout flotter entre les époques. » Une démarche engagée dans les dernières collections d'Edgar Jayet où se retrouvent des typologies de meubles aujourd'hui disparues. On note par exemple le paravent d'un mètre de haut présenté à la galerie Sofia Zevi à Milan en 2023, mais également le siège d'angle. « Finalement, je crois que la permanence du style passe par le travail de la main. C'est elle qui apporte le supplément d'âme, le Unheimlichkeit théorisé par Freud, mais c'est également par son biais que les techniques refont vivre les époques passées » conclut-il.

©Stéphane Ruchaud
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