Cité du Design
Jusqu’au 23 juin, la Cité du design de Saint-Etienne présente « Être là », seconde exposition du cycle Présent >< Futur. Consacrée à Guillaume Bloget, celle-ci dévoile différents travaux du designer, dont deux réalisés en collaboration avec La Verrerie de Saint-Just.
Lancé par la directrice du pôle diffusion du design Laurence Salmon, le cycle d’expositions intitulé Présent >< Futur a pour objectif de mettre en avant le travail d’un designer. Guillaume Bloget succède ainsi à Laureline Galliot, qui avait été exposée entre septembre 2023 et janvier 2024. Dans ce cadre, le designer a mené une expérimentation avec La Verrerie de Saint-Just situé dans la Loire, dont le but était de trouver de nouvelles applications de son savoir-faire exceptionnel. De cette collaboration découlent ainsi deux projets inédits : Objet-tableau et Tavaillons, tous deux dévoilés en exclusivité lors de l’exposition.
La Verrerie Saint-Just, un savoir-faire reconnu à l’international
Située non loin de Saint-Etienne, La Verrerie de Saint-Just est connue à travers le monde pour son verre plat coloré. Créée en 1826, la Verrerie est aujourd’hui l’une des dernières manufactures à maîtriser le savoir-faire unique du verre architectural, blanc et coloré, soufflé à la bouche. Désireuse de faire valoir son savoir-faire, l’entreprise s’ouvre aux collaborations et s’associe ainsi avec des maîtres-verriers et des artistes, mais également des architectes et designers contemporains, tels que Guillaume Bloget. “C’est la première fois que je me confronte au verre : ce matériau m’a toujours fasciné par ses paradoxes : visqueux / dur, solide / cassant, transparent /réfléchissant… » confie notamment le designer. Une collaboration inspirante et pour le moins réussie, si l’on en croit les mots de Simon Ballagh, directeur de La Verrerie de Saint-Just : « Guillaume Bloget a créé à partir de nos verres des pièces magnifiques, qui expriment la richesse du savoir-faire de La Verrerie de Saint-Just. Cette collaboration a permis une rencontre entre notre savoir-faire ancien et la modernité incarnée par le design. »
Présentation de deux œuvres inédites à la Cité du design
À la suite de cette expérimentation entre Guillaume Bloget et La Verrerie de Saint-Just sont nées deux œuvres intitulées Objet-tableau et Tavaillons. Pour réaliser la première, le designer s’est inspiré de l’artiste américain Ellsworth Kelly et de ses « tableaux-objets », qui ne sont ni vraiment l’un ou l’autre mais qui sont connus pour aller au-delà du cadre formel. “J’ai remarqué la profondeur des couleurs des plaques de verre qui sont entreposées sur les racks de stockage. En fonction du point de vue, des nuances apparaissent. D’un reflet entrecoupé par de vifs éclats de couleur, on passe à un noir profond. J’ai souhaité reproduire cet effet de miroitement coloré pour en faire un objet à contempler. Comme un tableau ” raconte Guillaume Bloget. Tavaillons quant à elle est issue du savoir-faire des ancelles - des plaques de chêne ou d’épicéa de 60 cm à 1 m pour 2 cm d’épaisseur - utilisées comme des tuiles pour la couverture des toits au Moyen-Âge. Guillaume Bloget en a ainsi repris les principes, avec une fixation clouée et une pose bord à bord à recouvrement vertical. “Ces tavaillons reprennent le mode d’assemblage des tuiles en bois qui couvrent les toitures et les façades des fermes ou des chalets du Jura. Le principe de superposition mélange les couleurs par touches successives, d’infinies possibilités de composition sont alors permises ” raconte-t-il.
Une expérience enrichissante pour le designer, mais également pour la Verrerie qui grâce à cette collaboration peut continuer de transmettre son savoir-faire tout en en explorant de nouvelles applications possibles à travers le design. Ces œuvres ainsi qu’une quarantaine d’autres réalisations de Guillaume Bloget sont à retrouver à la Cité du Design, dans le cadre de l’exposition « Être là », jusqu’au 23 juin !
Du 25 mars au 7 avril, l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne (Esadse) accueille Arts & Crafts aujourd’hui, un programme de recherche européen dont l’objectif est de faire valoir les savoir-faire locaux. Workshops, conférences, exposition… Voici le détail du programme.
Valoriser les savoir-faire locaux et éco-responsables au travers de la création contemporaine, c’est tout l’enjeu du programme Arts & Crafts aujourd’hui. En partenariat avec six écoles du monde entier - l’Académie Royale des beaux-arts de Bruxelles, ArBA (Belgique), l’Académie d’art et design de Bratislava, VSVU (Slovaquie), la Faculté des beaux-arts de l’Université de Porto, FBAU (Portugal), l’École des arts visuels et médiatiques de l’Université de Québec à Montréal, UQAM (Canada) et l’Institut national des beaux-arts de Tétouan (Maroc) - l’Esadse propose à son tour à des artistes et designers de se former à différents savoir-faire, par le prisme de la création contemporaine et ses enjeux actuels, aussi divers soient-ils. « À travers la collaboration entre métiers d’art, artisans, designers et artistes, le programme Arts & Crafts aujourd’hui favorise l’innovation, la transformation des regards et des usages. Le besoin se manifeste aujourd’hui de revaloriser des savoir-faire locaux. Il s’accompagne d’un intérêt accru pour les processus de réalisation et de tout ce qui relève de l’intelligence spécifique de la main » expliquait notamment le directeur général de l’école et de la Cité du design, Éric Jourdan.
Une semaine de Workshops
Avec près de 80 personnes mobilisées, dont 45 étudiants et enseignants partenaires, la semaine de workshops intitulée Procédure Matériaux, mettra le travail de la main et la relation de l’art à l’artisanat au cœur de ses ateliers. Ainsi, du 25 au 29 mars, sept workshops autour du Paravent, de la Photographie Primitive, du Tufting, des Emaux de Longwy, des Bijoux, de la Lithographie et du Nembok, sont proposés, en partenariat avec les Meilleurs Ouvriers de France, afin d’élargir les pratiques autour du bijou et réaffirmer la relation entre art et artisanat au sein de la pédagogie.
Un programme riche de conférences
En complément des workshops, trois conférences gratuites et en accès libre se tiendront au sein de l’auditorium de l’Esadse. La première, intitulée « Digitization and Fingerwork » aura lieu le lundi 25 mars à 18h avec l’intervention de Tim Ingold, professeur d’anthropologie sociale à l’Université d’Aberdeen (Écosse). À noter que cette conférence sera en visioconférence et se tiendra en anglais. Le mardi 26 mars toujours à 18h, la conférence « Jean Vendome, artiste et artisan » accueillera la restauratrice d’art graphique et historienne d’art Sophie Lefèvre pour présenter Ohan Tuhdarian dit Jean Vendome, connu pour brutaliser les codes de la joaillerie avec des bijoux aux formes abstraites et asymétriques. Enfin, le mercredi 27 mars à 18h, « Michael Woolworth sous pression à Saint-Étienne », troisième et dernière conférence de la semaine, donnera la parole à Michael Woolworth, imprimeur et éditeur depuis 40 ans.
Une exposition dédiée
Sous le commissariat d’Elen Gavillet, Karim Ghaddab, Romain Mathieu et Marie-Aurore Stiker-Metral (Esadse), l’exposition « Travaux en cours » se tiendra à la Platine (Cité du design) entre le 5 et le 7 avril de 10h à 18h. Celle-ci proposera, comme son nom le suggère, de découvrir les réalisations produites au cours de la semaine de workshops, complétées par des créations réalisées lors d’ateliers antérieurs, toujours dans le cadre du programme Arts & Crafts aujourd’hui. Une attention particulière sera portée à la Faculté des beaux-Arts de l’Université de Porto, en résonance avec les 18e Journées Européennes des Métiers d’Art(JEMA) organisées du 2 au 7 avril, qui mettent à l’honneur le Portugal avec le thème « Sur le bout des doigts ».
Jusqu’au 23 juin, la Cité du design de Saint-Etienne présente deux expositions inédites : « Être là », seconde exposition du cycle Présent >< Futur et consacrée à Guillaume Bloget ainsi que « Réels », qui présente les projets des diplômés 2023 de l’Esadse.
« Illustrer la nouvelle ambition de la Cité du design », c’est toute l’ambition de l’établissement, qui sous la direction de son nouveau président Eric Jourdan, présentait ses nouvelles expositions pour la première moitié de l’année 2024. « Ce qui m’intéresse c’est montrer du design. Je cherche à remettre le designer et le design au cœur de ce qu’on présente » expliquait notamment Eric Jourdan. Une volonté de réaffirmer la place de la cité du design à travers des cycles et une présence régulières d’expositions, pour la faire devenir un lieu de rencontres et un rendez-vous de design en dehors de la traditionnelle Biennale, pour le public mais également pour les designers. C’est dans cette optique que les deux nouvelles expositions de ce début d’année ont été présentées.
« Etre là », seconde exposition du cycle Présent >< Futur
Après Laurelinne Galliot en septembre, c’est au tour du designer Guillaume Bloget de se prêter à l’exercice. Lancé par la directrice du pôle diffusion du design Laurence Salmon, le cycle Présent >< Futur a pour objectif de mettre en avant le travail d’un designer en faisant le constat d’un travail - Présent - afin de pouvoir se projeter pour la suite - Futur -. « Il existe une génération actuelle de designers qui méritent de se faire connaître et qui ont déjà une pratique bien identifiée mais qui n’ont jamais eu l’occasion d’avoir une exposition. L’objectif de Présent >< Futur est de leur proposer assez d’espace pour voir la globalité d’un travail et le faire comprendre au plus grand nombre » expliquait notamment Laurent Salmon. Ainsi, Guillaume Bloget expose au sein des 200m² mis à sa disposition, un panel de réalisations effectuées depuis sa sortie de l’ENSCI en 2016. La scénographie, elle aussi menée par le designer qui avait carte blanche, est à l’image de son design, épurée et d’une simplicité formelle.
Par son travail, Guillaume Bloget cherche à s’ancrer dans les objets dits « ordinaires », tout en mêlant des recherches sur leurs formes et leurs évolutions possibles. Ce sont ainsi des travaux très éclectiques qui sont présentés à l’instar du kayak Sharp en aluminium et liège (2023), de la théière Thé et Café (2020) ou la lampe M (2012). En plus de ses travaux personnels aboutis, le designer a réalisé dans le cadre de l’exposition, une expérimentation avec la verrerie de Saint-Just (Loire) et ainsi découvrir plus en détails ce savoir-faire exceptionnel et proposer une œuvre découlant de ces recherches.
L’exposition « Réels » dédiée aux projets des diplômés 2023
Sous la curation de Didier Courbot, co-fondateur de la galerie A1043 (cf portrait Intramuros 213), l’exposition « Réels » présente les 30 projets de diplôme de la promotion 2023 de l’Esadse. Et la direction par une personne extérieure est loin d’être hasard, puisqu’elle permet une nouvelle lecture des projets, tout en transparence et avec une parfaite égalité de leur mise en exposition. Une démonstration qui présente ainsi des projets tous singuliers, réalisés en fonction de leur option ou mention spécifique qui sont au nombre de cinq ici, à savoir l’option Art, l’option art & design, l’option design mention objet, la mention objet et la mention Public(s).
Jusqu’au 7 janvier 2024, le Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne installe une maison fictive à la Platine, la salle d’exposition de la Cité du design. En six pièces (de la cuisine à la chambre, en passant par la salle de jeux ou le bureau) et près de 120 objets industriels des années 1920 à aujourd’hui, s’y raconte, par les petites choses du quotidien, une plus grande histoire de l’habitat et de l’évolution de nos modes de vie.
« Nous nous sommes beaucoup amusés à imaginer une maison à partir des collections du musée. Une maison où les époques cohabitent, comme chez soi au fond, expliquent les commissaires de l’exposition. Cela nous offrait la possibilité de montrer autre chose que les pièces qui sont sans cesse exposées. Un design moins connu, plus anonyme et qui raconte cependant une histoire tout aussi précieuse et riche. Une histoire matérielle, des formes, des techniques, des usages, sociologique aussi. » Dans le salon, un téléviseur Téléavia aux allures de fusée racontent comment le foyer s’est réorganisé sans la cheminée, tandis que la cuisine, pièce traitée comme le laboratoire de la ménagère dès les années 1920, équipée de machines de préparation complexes (une collection d’objet d’électtoménager s’étale presque comme sur une table d’autopsie), s’est progressivement rouverte, remeublée et colorée.
L’histoire est traitée avec humour aussi, à l’instar d’une petite vitrine consacrée au poil (de barbe, de patte, de tête, etc.) dans le diorama (échelle un, et sonorisé) consacré à la salle de bains. Ou encore, dans la chambre, ce vibromasseur Calor pour les pieds, dont les commissaires nous apprennent que la notice évoque d’autres usages, négligemment posé près d’un lit monocoque en plastique Prisunic (Marc Held, 1968). Une manière de rappeler aussi que design, c’est vivant. Même au musée !
La Cité du design vient d’inaugurer « Présent > < Futur, » un cycle d’expositions qui mettent en lumière de nouvelles générations de designers. Et c’est Laureline Galliot qui ouvre le bal, avec une première rétrospective baptisée « Vrai ou fauve ». Une très belle plongée dans l’univers de cette créatrice au sens large.
Artiste-designer, Laureline Galliot a développé sa propre méthode créatrice, basée sur la parfaite intégration dans ses projets de ses sources d’inspiration. Car elle a fait de son amour de la peinture ou de ses pérégrinations dans l’espace et le temps, un creuset d’intuitions. L’exposition commence par un exemple parlant : elle repère dans le Portrait de Johanna Staude de Klimt un textile de Martha Alber, qu’elle va redétourner dans un motif textile, reproduit sur une chemise, vêtement qu’elle mettra en scène dans un autoportrait.
Et c’est ainsi, que pas à pas, elle a construit sa trajectoire : captant çà et là un motif, une réminiscence, les copiant pour mieux se les approprier, les détourner ; les absorbant jusqu’à en faire son terreau personnel, à l’image d’un sculpteur. De ce magma naîtra un nouveau dessin, un volume, un textile, un objet, qui retournera en stade ultime en peinture digitale : comme on naît de la poussière pour y retourner, chez Laureline Galliot, toute idée génère un média, puis prend corps, pour finalement générer une nouvelle idée. Loin de tourner en boucle, son esprit est en perpétuel mouvement, et on comprend ainsi ce qui anime celle qui fut danseuse, avant de devenir plasticienne et designers.
Recherche et associations d’idées
Car loin d’une exposition chronologique, « Vrai ou Fauve » retrace avant tout cette vivacité, en insistant sur ce principe d’associations d’idées, de cheminement, d’avancée par étapes, jusqu’à la bonne incarnation. À l’image de sa peinture digitale, la designeuse pose le trait, le geste, la texture, dans un ancrage bien contemporain : ici elle travaille l’impression 3D avec une maîtrise de la matière, pour mieux revenir à la céramique dans un travail de haute volée avec des artisans spécialisés, et in fine se former à la conception de moule. Ailleurs, elle insiste sur sa recherche du motif à partir d’une étude des chemises malgaches, pour mieux accompagner l’atelier Polyflos Factory pour la conception de tapis à partir de matériaux recyclés à Madasgascar (projet soutenu par la Fondation Rubis Mécénat).
Et si elle a conçu des papiers peints pour YO2 Design, elle a également imaginé des tissus pour Backhausen, et n’hésite pas lors d’une résidence à la Villa Kujoyama au Japon à revisiter dans des tissages le traditionnel motif yagasuri. Ce dialogue entre les époques est aussi présent dans son travail de sculpture digitale où elle revisite des formes ancestrales asiatiques. Cette carte blanche à Saint-Etienne a été l’occasion d’une collaboration avec Benaud Créations, une entreprise locale qui préserve un savoir-faire spécifique autour de la moire. La designeuse a dans ce cadre travaillé la difficileinsertion de motifs, via une transposition dans une modélisation en 3D.
En utilisant pour sa scénographie une succession de modules qui rappellent les caissons d’archives, Laureline Gaillot façonne l’exposition à l’image d’une réserve personnelle, et convie le spectateur à y déambuler, revenant sur ses pas pour mieux se plonger dans un détail, ou au contraire s’éloigner de quelques mètres pour embrasser des vues d’ensemble, et à son tour se nourrir des traits de couleurs, des aplats, des éclats, de celle qui ressent une forte filiation avec le fauvisme. Car à l’image de ses sculptures 3D teintées dans la masse, c’est finalement ce que le travail de Laureline Gaillard va révéler : l’énergie chromatique qui fait vibrer toute chose.
« Vrai ou fauve », Laureline Galliot, jusqu’au 7 janvier, Cité du design, Saint-Etienne. À lire aussi : la monographie « Laureline Galliot, Vrai ou FAUVE », collection Présent Futur, édition Cité du design, 10€.
Derrière ses allures de showroom de technologie deux-roues hi-tech et ludique, l’exposition « Bicyclette(s), Faire Des Vélos » commissionnée à la Cité du Design de Saint-Étienne par le designer Jean-Louis Fréchin, redessine le paysage innovant d’une industrie française et européenne du vélo en plein boom. Une vision stratégique dans laquelle le design s’est clairement emparé du maillot jaune.
À Saint-Étienne, le vélo est une histoire ancienne. C’est là que le premier vélo français est né en 1886 et que sa première version populaire (le modèle Hirondelle) voit le jour cinq ans plus tard, lançant le sprint pour de très nombreuses entreprises (Mercier, Mécacycle, Vitus, etc.) qui fleuriront dans les décennies suivantes. Aujourd’hui, ce fleuron de l’industrie locale a quasiment disparu (à l’exception de la réputée entreprise de jantes Mach 1 encore située dans les environs). Pour autant, le vélo n’a pas dit son dernier mot dans la Préfecture de la Loire, et l’exposition « Bicyclette(s), Faire Des Vélos » commissionnée à la Cité du Design de Saint-Étienne par le designer Jean-Louis Fréchin de l’agence NoDesign, où se retrouve quelques dizaines d’exposants, rappelle opportunément que le vélo est aujourd’hui l’élément central des nouvelles mobilités et un fantastique produit fonctionnel et stimulant pour les nouveaux usages. Mais, par-delà ce principe (presque) unanimement établi par nos besoins de nouvelles circulations douces, c’est à la découverte du « paysage du renouveau d’une industrie » française et européenne que nous invite d’abord Jean-Louis Fréchin.
Comme il nous le rappelle, « l’avenir du vélo passe par le design », que cela soit à travers la technologie et la définition des nouveaux usages, mais aussi derrière ce besoin « qu’il faut aussi des gens pour construire des vélos » ici en Europe. Et ces gens justement sont bien là, qu’ils soient entrepreneurs, start-ups, ingénieurs, et surtout designers, tissant le lien nécessaire entre la créativité de l’atelier artisanal et les nécessités industrielles qui s’imposent. « « Bicyclette(s), Faire Des Vélos » est moins une exposition de bicyclettes que la démonstration du savoir-faire de gens passionnés, d’agences, de designers qui permettent d’avoir accès à des objets de culture, au même titre qu’un livre ou un film », explique Jean-Louis Fréchin en précisant que « les objets disent souvent qui nous sommes, mais qu’avant de penser leurs usages, il faut savoir les produire ».
Un paysage industriel en forme de topologie de machines
Ces objets, ces vélos en l’occurrence, emplissent le premier espace d’exposition selon une véritable topologie de machines, derrière laquelle la main de l’homme et du designer n’est jamais très loin. Il y a des vélos « taffeurs », pour aller quotidiennement au travail, comme les références en vélos à assistance électriques Moustache Bikes ou ce modèle de l’autre marque française qui monte, Iweech, qui associe algorithmes et machine learning pour calculer sa vitesse et potence escamotable pour le rangement. Il y a des vélos « transporteurs long tail » ou des bicyclettes pensées pour le voyage, comme les modèles des cycles Victoire – structure qui se trouve derrière Le Syndicat des Artisans du Cycle, ou encore le modèle PechTregon, designé par Matthieu Chollet ancien de l’ENSCI comme Jean-Louis Fréchin. Il y a aussi dans la deuxième salle labellisée « atelier », les représentants des fabricants de composants : boyaux FMB, jantes Mavic, boîte de vitesse automatisée Cavalerie ou batterie réparable Gouach, pour n’en citer que quelques-uns, tous partie prenante de cette économie créative pour qui la roue semble à nouveau tourner. Un modèle électrique spécial, le cycle Batspad, en acier durable, a même été spécialement conçu par Jean-Louis Fréchin à partir de multiples composants parmi ceux exposés.
C’est d’ailleurs cet esprit d’ingénierie innovante, dans lequel la patte des designers est prépondérante, qui retient le plus l’attention. La marque portugaise Autorq (le Portugal est le premier producteur européen de vélos et dispose donc de l’écosystème économique et technique le mieux fourni du continent) a ainsi développé un boîtier de pédalier mesurant avec précision la force du décalage pour l’adapter à la conduite la plus naturelle. Le prototype Cocotte de H3Bike entend simplifier l’usage de la bicyclette avec sa boite de vitesse robotisée.
La forme procède directement de ces avancées où les passerelles avec l’industrie automobile sont patentes, comme on le constate avec les produits du groupe Rebirth qui propose un vélo électrique Matra, directement inspiré des principes d’utilisation de fibres de carbone recyclées et recyclables de la maison-mère automobile, permettant par exemple de travailler la partie creuse du cadre pour tout le câblage. Idem Pour le modèle Multipath d’Ultima Mobility dont le cadre monocoque en plastique est complété de carbone injecté comme dans les dernières innovations pour voitures. Les choix de matières sont d’ailleurs essentiels là aussi, avec par exemple le cadre en bambou, matériau naturel et renouvelable, développé par l’entreprise lyonnaise Cyclik, déclinable dans des versions étonnement « luxe », comme ce vélo Hermès conçu par le designer Antoine Fritsch.
Le vélo perd son genre
De fait, la réflexion très globale, industrielle et designée, qui sous-tend « Bicyclette(s), Faire Des Vélos » se nourrit de multiples points d’entrée. Et le moins crucial n’est sans doute pas cette réflexion particulièrement portée par Jean-Louis Fréchin autour d’un changement de paradigme de genre dans l’usage du vélo. Il rappelle ainsi combien « les pistes cyclables dans les grandes villes deviennent des lieux de mixité » offrant entre autres « les refus de la promiscuité dans les transports et un sentiment de sécurité. » Surtout, il note que l’industrie du prêt à rouler, qui avait ajusté la bicyclette aux mensurations masculines, change son fusil d’épaule avec la création de toutes ces marques et gammes spécifiques. « Aujourd’hui, les hommes ont adopté les cadres à vélo ouvert en V [comme ceux présentés dans l’exposition par les modèles de la marque belge Cowboy] », souligne-t-il, tout en reconnaissant « qu’il reste à accompagner la montée en nombre d’une pratique de mobilité populaire et commune qui ne doit pas être réservée qu’aux femmes et aux hommes jeunes et en bonne santé grâce à des infrastructures adaptées et sûres. » Un nouveau défi dans lequel le design peut sans doute apporter aussi sa pierre à l’édifice, dans des considérations de design d’intérêt général notamment.