École Camondo
Le concours Camondo-Intramuros s’intéresse à cette phase intermédiaire entre le diplôme et le premier projet professionnel. Lauréats de cette première édition, Thomas Carlier, Juliette Droulez et Zeina Sleiman ont été respectivement sélectionnés par les équipes de Lafuma Mobilier, Moore Design et Sunbrella. Séduites par leurs projets de diplôme, elles leur ont proposé de leur donner une autre dimension en les accompagnant sur des problématiques liées à leurs entreprises. Dernier retour d’expérience, avant d’entrer plus en amont dans le parcours de ces trois jeunes diplômés.
Intégrer de la sensorialité dans le mobilier du quotidien, se reposer la question du sens même de la production, explorer le potentiel des biomatières… Les sujets des diplômes de Zeina Sleiman, Juliette Droulez et Thomas Carlier sont au cœur même des questions hautement portées dans ce monde d’après-Covid que tant appellent de leurs voeux… Et c’est bien la preuve que cette génération de designers qui arrivent appréhendent déjà leur discipline dans des champs bien plus larges que ceux auxquels on voudrait les réduire. Certes, le projet de diplôme – selon leurs dires – est aussi une chance à saisir pour créer librement, un espace d’expression et d’intention unique, sans les contraintes ni les ajustements inhérents à toute collaboration. Et pourtant, en choisissant leur sujet, Zeina Sleiman, Juliette Droulez et Thomas Carlier étaient bien loin d’imaginer l’aventure qui en découlerait.
Zeina Sleiman et l’interrogation de l’espace (Sunbrella)
Chez Sunbrella-Dickson, Zeina Sleiman a trouvé un écho particulier à sa recherche de sensorialité ; en associant le textile à un piétement de table, elle recrée un espace de jeux et d’intimité pour les enfants et confère un double usage à ce mobilier : la partie visible sur laquelle on s’appuie, la partie cachée, comme un abri secret. Le fabricant de textile a accepté de plonger dans cet univers bidimensionnel et il a accompagné la réalisation d’un premier prototype à l’échelle 1. Auprès d’eux, Zeina s’est familiarisée à un nouveau revêtement et maîtrise désormais toutes les étapes importantes de la fabrication et les différents tissages.
Juliette Droulez réinterroge le mobilier de travail (Moore Design)
Pour ce partenariat, Moore Design a laissé carte blanche à Juliette Droulez pour développer et apporter son regard neuf sur l’activité BtoB. Trois critères ont été demandés en postulats de base : « L’utilisation de matériaux recyclés ou recyclables pour proposer un mobilier qui soit le plus respectueux de l’environnement possible. Le deuxième critère a été de dessiner un produit qui puisse exister dans des espaces de travail partagés, comme les open spaces ou les bureaux, mais qui soit aussi esthétiquement proche d’un mobilier domestique, permettant aux utilisateurs qui pratiquent les nouveaux modes de travail à distance d’aménager leur intérieur avec un mobilier à la fois esthétique et ergonomique. Pour finir, il fallait que cela soit industriellement réalisable. »
Juliette travaille ainsi sur deux projets : le premier est une assise dynamique qui permet aux utilisateurs d’être en mouvement et ainsi de réduire les problèmes de santé, notamment les maux de dos, liés à une mauvaise posture de travail. « Nous pensons déjà à une variante de ce projet en dessinant un mobilier pour enfants, ludique et coloré, qui serait composé de plastique recyclé (des jouets cassés, par exemple) », explique Julien Diard, directeur général de Moore Design ; le second porte sur une cloison acoustique modulaire et modulable, composée de panneaux en textile recyclé et de trame grillagée.
Thomas Carlier et l’intégration de nouvelles solutions de matériaux ( Lafuma Mobilier)
Comme recherche appliquée, Lafuma Mobilier a proposé à Thomas Carlier d’enquêter sur leurs chaînes de production et de pointer des pistes à explorer pour intégrer de nouveaux matériaux ou de nouvelles solutions pour faire évoluer leurs process de fabrication. C’est sa démarche « révolutionnaire » autour des biomatières qui les a séduits, et aujourd’hui, forts de ces préludes, comme le rappelle Baptiste Neltner, directeur marketing et des collections, « nous devons désormais réfléchir à la meilleure manière d’intégrer sa vision personnelle dans notre process industriel ».
Cette année, Intramuros s’est associé à l’École Camondo pour une collaboration inédite : donner l’occasion à des étudiants sélectionnés de travailler sur des projets qui auront vocation à être édités. Pour cette phase 3, les jeunes diplômés choisis par Sunbrella, Lafuma Mobilier et Moore Design ont reçu le brief de leurs parrains et sont dans la phase de réalisation. Point d’étape avec René-Jacques Mayer directeur de l’École Camondo, en attendant de retrouver l’article complet dans le prochain numéro d’Intramuros (sortie 22 décembre).
Comment s’est passée cette fin de diplômes dans les conditions très particulières que nous vivons ?
René-Jacques Mayer : Être un bon architecte d’intérieur designer est une affaire de contexte. Celui de la conception, de la production et de l’invention des diplômes de cette promotion 2020 a été profondément bouleversé. Faire sans aurait été si contraire au principe tant énoncé pendant leur cinq années d’études de faire avec l’existant pour mieux le transformer que nous avons choisi, collectivement, d’aller au bout de cette logique de la distance. Conduite du projet, soutenance et exposition des diplômes ont collectivement basculé dans l’espace virtuel.
Au-delà de la contrainte imposée à tous, ce fut un choix pédagogique audacieux, particulièrement dans une école de création, où la matérialité, l’échange collectif, l’émergence d’une idée au travers d’un simple regard ou d’un geste, constituent la palette des possibles expressions de ce qu’ils sont. Accompagnés par leurs directrices et directeurs de diplômes, nos étudiants furent cependant souvent seuls face à des horizons imaginaires qui ont produit de belles échappées libres. La force conceptuelle et l’approfondissement d’une narration engagée marquent profondément le travail de ces jeunes diplômés qui forment collectivement une promotion d’exception.
Pour eux, nous avons créé une plateforme digitale d’exposition de leur travail : Diploma.ecolecamondo.fr. Pensée comme un véritable réseau d’alumni, cette plateforme permet de découvrir en trois temps (un sujet imposé, un mémoire, un sujet libre) et de manière pérenne l’identité singulière de chacun des 60 étudiants qui composent cette promotion 2020, promotion Cynthia Fleury. C’est un jalon formidable pour leur parcours qui révèle la grande diversité des approches qu’ils peuvent avoir de leur futur métier et des enjeux sociétaux qui les animent.
Comment se sont organisées les auditions avec les équipes de Lafuma Mobilier, Moore Design et Sunbrella ?
R.-J. M. : Toujours dans le contexte du confinement, les rencontres se sont opérées à distance sous forme de visioconférences. Dès l’été, quand ils y ont été invités et parce que c’était possible, les lauréats se sont rendus sur les sites de production des marques pour découvrir leur savoir-faire et leurs outils de production. Depuis la rentrée, les échanges continuent et de beaux projets se dessinent. Nous avons tous hâte d’en savoir plus.
Un trait marquant pour chacun des trois projets de diplômes retenus ?
R.-J. M. : Je dirais qu’à l’instar des valeurs portées par l’École Camondo, ils répondent à des enjeux importants comme le développement durable, les valeurs sociales et de partage, une démarche de recherche créative et originale.
Le projet de Thomas Carlier, Duo, est un ensemble d’expérimentations autour de la biofabrication mettant en avant la collaboration entre le designer et l’organisme vivant. Les résultats de ces expériences lui permettent de développer une gamme de mobilier en sel et en mycélium. Travailler sur des biomatières pour un designer, c’est proposer une alternative aux ressources non renouvelables. Et c’est plutôt une bonne nouvelle puisqu’elles visent à laisser une empreinte écologique minimale et bénéficient parfois de propriétés pour le moins étonnantes.
Le projet de Zeina Sleiman propose d’intégrer de la sensorialité dans nos mobiliers du quotidien. L’intention du projet consiste à concevoir une gamme qui combine les deux aspects : formel et sensoriel. Enfin, celui de Juliette Droulez, dans un mouvement de décélération de la production matérielle, livre une collection d’objets mentaux, qui n’existeront jamais et qui ne sont pas faits pour exister. Ils sont seulement là pour ouvrir nos imaginaires, pour nous questionner, et pour que la frustration de ne pas pouvoir les acquérir soit remplacée par la beauté de les posséder dans un coin de sa mémoire.
Qu’est-ce que signifie pour l’École Camondo d’être partenaire de ce concours avec Intramuros ?
R.-J. M. : Après le temps de l’apprentissage libre et créatif, pouvoir directement travailler avec des entreprises partenaires est une formidable chance pour de jeunes diplômés. Valoriser et accompagner par un grand média spécialiste du design le travail de jeunes architectes d’intérieur est un signal fort de la porosité et de la complémentarité de ces deux disciplines. Le faire comme s’ils constituaient un collectif envoie aussi une adresse forte à la vaste communauté des étudiants en arts appliqués pour qu’ils travaillent ensemble, au-delà de la valorisation individuelle des parcours de chacun. Un partenariat et trois signaux forts, donc.