Collectible
Fondateur de Paf atelier, l’architecte Christopher Dessus remet en cause les pratiques de son métier. Orienté vers les évènements éphémères, il trouve avec la scénographie un puissant vecteur de sa réflexion et une action en faveur du réemploi.
En sortant diplômé de l’École de Versailles en 2015, Christopher Dessus fonde la plateforme pluridisciplinaire de l’association Pli (Éditions et Workshop) qui a pour ambition de questionner la création des architectes et designers d’aujourd’hui. Il s’investit dans ce projet bénévole, au cœur duquel 289 personnalités du monde de l’architecture et du design ont été représentées sur six éditions print. « Ces publications accompagnent mon travail dans une réflexion nécessaire. Cette une épopée formidable m’a donné l’occasion de rencontrer de nombreux designers dont matali crasset, très inspirante »… Aujourd’hui, cette aventure est en stand bye, mais prête à redémarrer.
Autonomie et liberté créative
A la Villa Noailles, il s’exerce en tant que producteur d’expositions. S’ensuit la création de Paf atelier en 2017 qui couvre un champ très large d’activités, de la scénographie aux images de marques jusqu’au spectacle vivant. « En créant mon propre atelier, je redéfinis une nouvelle vision de mon métier de directeur de création, sans être dans le moule d’une agence et de ses contraintes de durée parfois trop longue des projets ». La question de l’immédiateté et du sens se conjuguent ; dans sa démarche, Paf atelier a l’envie de poser les (bonnes) questions et d’y répondre avec des solutions adaptées.
Fondateur, coordonnateur d’une équipe d’indépendants et de salariés, d’ateliers de décor et de construction, Christopher Dessus c’est l’homme-orchestre, présent de la conception à la production avec à la clef le projet d’un lieu autonome de fabrication… Au fur et à mesure de l’expertise, les projets traités en direct avec les marques sans l’intermédiaire des agences pour rester légers et versatiles, s’enchainent de manière empirique, dans des délais parfois très courts ! Entier, intuitif et passionné, il consacre toute sa vie ou (presque) à son activité, se souvenant ému de ses parents horticulteurs à Nice, « J’ai connu ce monde agricole qui ne lâche rien et doit travailler dur au jour le jour … »
Des scénographies plus propres
« J’aime subvenir à mes obsessions ; déployer les étapes du réemploi en fait partie, mais ce n’est pas si simple… » Si la réutilisation des matériaux a un coût, celui de la main d’œuvre et du transport, elle doit s’inclure dans une démarche RSE, un écosystème éthique et global. Sachant aussi que la réhabilitation d’un atelier de décor demande 5 à 6 ans de transformation… Cependant, Paf atelier a réutilisé pour le défilé 2023 du créateur de mode Louis Gabriel Nouchi, 100 % du décor récupéré de la marque Nike soit deux paravents de 25 m de long en tôle. Sur la mezzanine du Palais de Tokyo, l’installation était contraignante du fait de la hauteur sous plafond, et les délais très courts. « On a imaginé un nouvel assemblage en cube maintenu par des sangles, pour un décor démontable et réutilisable » Beaucoup de structures gonflables font partie du langage plastique de l’atelier. Grâce à ce moyen rapide et éphémère, l’entrée de la Collectible Fair 2023 à Bruxelles s’est coiffée d’un toit de 24 structures gonflables reliées à 350 m de corde. Une inspiration assumée de l’iconique structure gonflable de Yutaka Murata, lors de l’exposition universelle à Osaka (1970).
Après une quatrième édition 2021 en ligne, le salon Collectible accueillant la crème du design d’exception et émergent international, a fait son grand retour entre le 20 et le 22 mai dernier, à l’espace Vanderborght. Focus sur une dizaine de pièces, maisons d’éditions, créateurs ou galeries qui font désormais de ce rendez-vous annuel, un immanquable du secteur.
Depuis 2018, les deux fondatrices Clélie Debehault et Liv Vaisberg œuvrent à faire de Collectible, une plateforme valorisant la création design de collection, à travers des créateurs reconnus ou en devenir. « Collectible, c’est plus qu’un salon, c’est une communauté d’acteurs qui se retrouve dans une sorte de Summer Camp », souligne Liv Vaisberg. Cette année, plus de 100 participants internationaux – galeries, studios design, institutions ou maisons de renom – ont participé à l’édition placée sous le signe du renouveau. En effet, l’évènement s’est doté d’une nouvelle section The Editors, regroupant les maisons d’édition prospectives et de niche, à côté de Main, section dédiée au design représenté en galeries et Bespoke, privilégiant matériaux nobles, rares et savoir-faire artisanaux revus par des designers indépendants. Quant à Curated, consacrée aux designers et studios émergents ou indépendants, elle a été conçue cette année par le collectionneur et curateur design Berry Dijkstra qui a imaginé Escapism, une exposition repensant les formes et les matériaux. « Je souhaitais inviter le public à voyager hors de la réalité et le transporter dans un monde éthéré, utopique, fantaisiste, à travers les formes et les objets », relève encore le commissaire hollandais. Dans ce contexte réjouissant, florilège de quelques pièces ou créateurs remarqués.
Section Main
Sur le stand de la galerie belge Maniera, éditant des objets aux confins de l’architecture, du design et de l’art, le designer autrichien Lukas Gschwandtner présente une chaise qui s’appréhende comme un vêtement de cuir, avec une longue écharpe à franges, modulable. Issu du monde de la couture, il s’intéresse au problème d’échelle, au corps, et étudie particulièrement la façon dont un meuble va s’approprier le langage corporel. Une vision du siège à la fois luxueuse et humaine, à travers des formes rappelant des accessoires que l’on porte très fréquemment sur soi.
La galerie barcelonaise présente entre autres pièces Game of synchronocity de StudioPepe, agence de design et d’architecture milanaise, dont les œuvres, souvent poétiques, ont une identité iconographique forte. Cette table s’inspire de la philosophie de Carl Gustav Jung, défendant l’existence de connexions cachées entre des phénomènes non reliés entre eux. En premier lieu, son usager pense à une idée, une question ou un fait personnel. Puis, il fait rouler deux fois une petite bille de métal qui va s’arrêter sur une partie du plateau où est gravée une pensée, telle une réponse à son interrogation. Des réponses qui peuvent être parfois contradictoires. Un objet esthétique, ludique et philosophique !
Le stand de la galerie Maria Karlova d’Amsterdam figure parmi ceux qui ont été les plus remarqués pour ses pièces s’intéressant à la valeur des matériaux et l’esthétique pure des formes. Connu pour son travail à partir de cartons et matériaux de rebut, le créateur tchèque Vadim Kibardin présente pour la première fois Black Mirror, nouvelle collection capsule comprenant une chaise et une table de coiffeuse conçus à partir de papier récupéré. Ses objets aux design organique et coloris noir profond, explorent donc la pratique du réemploi et contribuent à la mise en place d’une économie circulaire. Jesse Visser Designprojects est une agence hollandaise de design, spécialisée dans les meubles et luminaires sollicitant de nombreux sens. Aussi sobre que poétique, la pièce Beacon of Light se compose d’une sphère lumineuse en verre sablé, reliée à une pierre – une roche unique, créée par la nature – par une corde suspendue à une poulie. Evoque-t-elle ce fragile point d’équilibre à atteindre dans notre monde incertain ? En utilisant en partie des matériaux essentiels, bruts, naturels, Beacon of Light met en avant le riche éventail de matières, prêtes à être utilisées, que la
nature met à la disposition de l’homme, et stimule la sérénité du spectateur.
Pour créer le collectif Objects with Narratives, deux jeunes entrepreneurs-designers bruxellois se sont inspirés du peintre surréaliste René Magritte. « Pour lui, la peinture était […] un moyen de raconter des histoires fascinantes, comme l’est pour nous le design de collection, explique le collectif. Comme le suggère le mot « surréel », les œuvres vont au-delà de leur réalité formelle et exigent une seconde lecture […]. » Sur le stand, deux environnements – l’un nocturne et organique, aux couleurs bleues et roses, l’autre plus lumineux et rayonnant, aux couleurs rouge et bronze – se font face. « Deux espaces uniques qui se stimulent et finissent par se fondre en une seule expérience surréaliste. » Parmi les pièces, entre autres de Supertoys Supertoys, Laurids Gallée, Pietro Franceschini, Sabourin Costes, celle du créateur allemand Lukas Cober évoque la force de l’océan. New Wave Side Table Liquid déploie ses lignes oblongues réalisées à partir de résine coulée et sculptée, afin d’obtenir sa forme définitive polie, toute en transparence.
Section Bespoke
Le jeune créateur français Leo Orta imagine des « œuvres d’art fonctionnelles », aux formes hybrides rappelant étrangement celles des humains et des végétaux et quelque peu surréalistes. Son ensemble est composé d’une table basse à deux plateaux et de deux chaises en fibre de verre, aux couleurs acidulées. « Le titre de cet ensemble est inspiré des propos du psychiatre Serge Tisseron dans son livre « Le jour où mon robot m’aimera », explique-t-il. Celui-ci évoque nos relations avec les machines, les robots et l‘intelligence artificielle. Avec certains objets, nous créons des liens affectifs. […] Grâce à ces liens, certains meubles nous permettent de ne pas avoir à rentrer dans une « surconsommation » du produit. »
Créé en 2022, le bureau Heim + Viladrich est né de l’association de Lauriane Heim et Johan Viladrich, créateurs hollandais au design sensuel, direct et sans compromis. Pour leur première participation à une foire, ils présentent AIRE 75, ensemble d’objets et meubles s’inspirant d’une aire d’autoroute. « Ces lieux toujours différents et pourtant toujours identiques nous ont inspirés sept œuvres, explique Lauriane Heim. Ayant récemment déménagé de Rotterdam à Montpellier, nous avons décidé de rendre hommage aux objets peu glorieux rencontrés le long de l’A75, pour rejoindre le sud de la France. Les matériaux et dimensions des tables de pique-nique, cendriers et bancs ont été balayés, étirés et transformés, afin de générer des pièces familières tout autant qu’inattendues. » Des objets souvent d’une seule matière, affichant joints et structures. A noter, leur miroir en inox brut, travaillé de manière à rappeler l’image de la buée dans les voitures…
L’atelier anversois de taille de pierre Studio DO, fondé par Dana Seachugan, créatrice de bijoux et l’artiste Octave Vandeweghe, analyse le rôle matériel et culturel des gemmes. Leur collection Gemma ex Lapide démontre la force du minéral utilisé comme matériau fondamental et comme support pour leurs multiples parures… Intervenant de manière quasi minimaliste sur la pierre, ils en extraient la forme traditionnelle liée au bijou et à sa fonction. Une vision délicate et innovante de la gemme, comme de la valeur d’usage de l’objet, mettant en exergue la simplicité et le caractère essentiel du matériau-support à exposer. Studio DO, un bijou à porter, une pierre à exposer !
Section The Editors
Créé en 2019 par le designer Clément Rougelot et le jeune entrepreneur Kevin Dolci, 13Desserts est un label français original et visionnaire. Sur leur stand, le luminaire rouge Venus de Sophia Taillet interpelle par le détournement de la technique de la cive, utilisée pour la création de vitraux contemporains. « Entre surface onduleuse et courbe voluptueuse, Venus est un luminaire en verre soufflé explorant les techniques traditionnelles du verre en fusion, explique-t-elle. En suspension, sa forme organique et gracieuse révèle une légèreté visuelle qui illumine l’espace. » En outre, Venus interroge l‘usage d’un verre aux antipodes de sa fonction. À tout moment, la cive ainsi courbée, à l’allure étrangement molle, semble basculer de part et d’autre du néon lumineux.
La seconde collection de la maison française Theoreme Editions, Collection 02, réunit des pièces de dix designers tels qu’entre autres, SCMP Design Office, Services Généraux, Adrien Messié, Victoria Wilmotte ou encore Wendy Andreu, ayant collaboré avec des artisans européens. Sur le stand mêlant scénographie aux couleurs pop acidulées et pièces aux lignes pures, souvent géométriques, Maze Mirror de Wendy Andreu est un long miroir conçu par des artisans italiens. Il ressemble à un monolithe minéral, à ceci près qu’il est composé de panneaux de verre fumé et miroirs. Une « sculpture-miroir » qui permet de voir sans être véritablement vu, jouant sur les reflets et les perspectives.
À l’espace Vanderborght, Collectible 2022 a tenu toutes ses promesses, offrant une belle visibilité à un design visionnaire, parfois radical, entre art architecture et design. Et confirmé sa place de choix au sein du Design contemporain et de son marché.