Aux Magasins généraux à Pantin, l’exposition « Clinique vestimentaire » de la jeune designeuse Jeanne Vicerial vient de présenter le résultat de ses recherches expérimentales et doctorales sur le vêtement. Une exposition-résidence d’un mois, miroir de sa pratique interdisciplinaire et collaborative, questionnant les canons standardisés sur le sujet.
Magasins généraux, Pantin.
Photo : Mathieu Faluomi − © Magasins généraux
Investissant 800 m² du rez-de-chaussée de l’édifice, la proposition de la créatrice-chercheuse (cf Intramuros # 206, pp 88-90) invitée par Anne Labouze et Keimis Henni, directeurs artistiques du lieu, donnait à voir un vêtement pensé et conçu en relation au corps anatomique, mais aussi, de manière fragmentaire, son atelier, lieu d’une création collective en perpétuel devenir. Dès l’entrée, le visiteur était plongé au cœur d’un défilé à la croisée d’un bloc opératoire et d’un catwalk couture, dans une ambiance musicale feutrée produite par des plasticiens sonores tels Joseph Schiano di Lombo ou Marco Paltrinieri.
Sur les côtés, ses tissages faits main, à partir de fil recyclé sur plusieurs dizaines de kilomètres, sont les premiers témoins de son inspiration du tissage musculaire d’épines dorsales humaines. « Clinique vestimentaire est un environnement de recherche, écrit-elle dans ses notes au public, […] sans la contrainte de produire une collection finalisée. […] l’univers de la clinique me permet d’accueillir plusieurs « laboratoires » fictifs […] et également d’entamer un jeu d’associations entre l’univers du couturier et celui du chirurgien. » Au centre du plateau, telles des Gorgones d‘un autre monde, ses « sculptures vestimentaires », toutes de fils et cordes noirs vêtues, portaient leurs têtes sur leurs ventres. Somptueuses, fantomatiques, ces robes « biomimétiques » au style japonisant sont le fruit de sa réflexion avec des ingénieurs en robotique, ayant donné naissance à la technique du « tricotissage », brevetée par ses soins.
Le corps-organe, dans tous ses états textiles
Le parcours libre de l’exposition mettait aussi en exergue son passage déterminant à la Villa Médicis, entre 2019 et 2020. Les tirages photo de sa « quarantaine vestimentaire », projet mené avec l’ancienne pensionnaire et photographe Leslie Moquin, sont des autoportraits végétaux, résultant de sa cueillette quotidienne de fleurs dans les jardins de la Villa, durant le confinement. Mais surtout, ses nouvelles « Vénus ouvertes » sont le point d’orgue d’une manifestation truffée de références sur l’histoire de l’art, les mythes, la mode, les sciences et l’artisanat. Gisante médiévale ou « écorchées » textiles debout, elles laissent entrevoir des viscères-fleurs colorés, issus du collage des végétaux séchés à la Trinité-des-Monts. Réinterprétations très « couture » de la Venerina, petite vénus en cire du sculpteur-céroplaste Clemente Susini, au XVIIIe siècle, symbolique de l’histoire de la dissection anatomique, ces « présences » presque sacrées, ensemble aux autres pièces textiles exposées, battent en brèche certains poncifs sur la mode contemporaine. « Le vêtement actuel ne se contraint ni ne se transforme en fonction des corps, écrit-elle encore. De nos jours, ce sont plutôt les corps qui se transforment pour tenter de répondre aux « normes » élaborées par l‘industrie de la mode, en se soumettant aux tendances du moment. »
Evoquant de même l’univers de la danse, du parfum, l’exposition aux multiples ramifications, conçue comme une œuvre globale, vivante, entrevoyait le vêtement-corps dans les replis de son anatomie invisible. Un vêtement-peau, « étoffe du XXIe siècle », résultat d’une pensée et d’une économie circulaires, d’une designeuse prometteuse contrevenant aux modèles actuels.
Virginie Chuimer-Layen