Avec l’extension du télétravail, les frontières entre vie privée et vie professionnelle sont devenues extrêmement poreuses : cela impacte aussi bien l’aménagement du domicile, qui doit répondre à de multiples activités et à une redéfinition de ce qui est de l’ordre du commun et de l’intime, comme cela touche également l’aménagement des lieux de travail. Il faut donner envie de revenir, confiance, que l’employé s’y sente comme « chez lui », et traduire cette volonté dans le choix de mobilier… ce qu’ont bien compris – et depuis longtemps – les éditeurs. Tout le secteur du contract vibre de ces mutations : de l’hôtel à l’hôtel-bureaux, nous passons de l’ère de la modularité à celle de la transversalité.
Au début des années 2000, un jeu en ligne défrayait la chronique : dans un monde créé par les « résidents » eux-mêmes, Second Life proposait, sous couvert d’un avatar, de vous inventer une autre vie. L’emballement fut tel que même des partis politiques ouvrirent dans cet univers des bureaux virtuels pour appuyer leur campagne en vue de l’élection présidentielle. Le temps présent rejoignait celui de la science-fiction. Ce métavers – selon les termes de ce domaine – offrait un espace à conquérir, un monde à construire. Gratuit au départ, il était aussi possible de s’y dégager des revenus via une monnaie dédiée échangée contre de « vrais » dollars : du hobby à l’activité rémunératrice, la ligne de démarcation avait été ainsi franchie allègrement. Si l’engouement est, depuis, bien retombé, Second Life compte toujours une communauté active.
À l’époque, le buzz interpellait clairement sur la porosité des frontières entre réel et virtuel, sphères privée et professionnelle. Sous une autre forme, il semble que la question se repose de nos jours dans les mutations des modes de vie que nous percevons. Ces dernières années ont accentué ce sentiment que l’on peut – en fonction des métiers, bien sûr – travailler depuis n’importe quel lieu, à partir du moment où sont accessibles un ordinateur et une connexion Internet. Et, curieusement, cet accès à des contacts virtuels redéfinit notre territoire bien réel : il interroge de nouveau sur le temps et l’espace, sur ce qui est de l’ordre de notre vie privée et sur ce qui tient de l’activité professionnelle. Il questionne aussi nos modes de relation au bureau comme à la maison, entre un espace commun, qu’on le veuille ou non partagé, et un espace à soi, à déterminer, qui peut être fixe ou variable.
Coliving, famille recomposée, équipe éphémère en mode projets… À l’image du « tout-modulable » et du personnalisable que l’on peut voir dans les collections de mobilier récentes, le défi à venir pour les professionnels du design et de l’architecture d’intérieur ne porterait-il pas sur une modularité optimale des espaces afin de les adapter à nos nouveaux modes de vie ?
À l’instar des métamorphoses sans limites d’un film d’espionnage, on se prend à rêver de murs qui se retournent, transformant une partie d’un salon en chambre provisoire, de plateaux de tables qui se renversent convertissant un bureau en kitchenette…, pour adapter notre environnement immédiat à nos manières de vivre changeantes. En nomades du XXIe siècle, comme les marins, on s’imagine un pied dans plusieurs ports, entre un logement urbain et un refuge à la campagne avec son carré potager autosuffisant, entre résidence principale, semi-principale et location éphémère. Cela, dans un esprit de mutualisation des biens et des services censé rejoindre les enjeux environnementaux.
Oui, on peut rêver… Sauf que, comme vous le lirez dans les pages de ce numéro, nous y sommes déjà : la réalité a rattrapé une fois de plus l’imagination. Et si nos espaces de vie sont donc à réinventer, reste à savoir jusqu’à quel point nous-mêmes serons flexibles.
En vous souhaitant un bel automne sous le signe de rencontres et de découvertes, en présentiel, au cours d’événements design majeurs, que nous retrouvons tous avec bonheur !
Nathalie Degardin
Rédactrice en chef